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L'adhésion de Constantin aux idées chrétiennes avait inauguré une ère nouvelle dans l'histoire du christianisme. Depuis le jour où Constantin présida le Concile de Nicée (325), depuis le moment où, après avoir été le souverain pontife de la religion païenne, il se proclama, devenu chrétien, « empereur et docteur, roi et prêtre », les tendances de la religion de Jésus se trouvèrent profondément modifiées. La parole du Galiléen : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » fut désormais sans application; une confusion s'établit entre le spirituel et le temporel; l'Eglise emprunta, pour s'organiser, les cadres administratifs de l'Empire, et elle fut amenée, par la succession des circonstances, à prendre en mains une part considérable de la puissance temporelle.

Lorsque les Barbares envahirent la Gaule, ils se trouvèrent en face d'une situation de fait l'Empire tombé, l'évêque avait remplacé, presque partout, le fonctionnaire romain et il apparut aux envahisseurs comme le véritable chef de la cité, ayant sa part de Fautorité judiciaire, administrant les fonds du muni

cipe, percevant les impôts, inspectant les édifices publics et dirigeant les travaux de construction et de voirie.

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Le pouvoir de l'évêque était si bien établi dans la cité romaine qu'il devint un des éléments nécessaires à l'installation définitive des envahisseurs sur le vieux sol gaulois,

C'est la raison même de la conversion de Clovis. Le récit qu'en a fait Grégoire de Tours, avec les formes émouvantes de sa foi naïve, nous dit quelle force avait alors la religion sur les volontés hésitantes des chefs barbares. Cet épisode de la conversion de Clovis a été vulgarisé, en une belle langue, par Augustin-Thierry; il est dans le souvenir de tous et nous le notons ici, car il constitue la première étape importante de l'histoire des rapports de l'Eglise et dè la France.

En même temps que Clovis, 3.000 Francs se firent baptiser avec leur roi. Dès lors la victoire de Clovis sur les Burgondes et les Wisigoths fut préparée par les évêques orthodoxes qui, établis au milieu des populations égarées par l'hérésie arienne, se firent les agents du chef catholique. Et quels agents! Certes, de par leur fonction même, ils vivaient confinés dans chacun des royaumes barbares; mais, malgré les frontières, ils étaient en relations les uns avec les autres et leur puissance était décuplée du fait qu'un chef étranger, l'évêque de Rome, coordonnait leurs actions et unifiait leurs efforts. Participant dès cette époque de la puissance romaine, les évêques galloromains furent les plus sérieux adversaires des rois ariens et c'est grâce à eux que Clovis, baptisé, put préparer la domination de la dynastie mérovingienne.

Nous avons des renseignements précis sur les complicités intérieures qui, au sein des nations ariennes, préparèrent la conquête des Francs. Sous prétexte

d'intelligence 'avec les Francs, les évêques Tolusianus et Vérus sont expulsés. Quintianus doit s'enfuir de son évêché de Rodez; enfin nous avons lu la lettre par laquelle l'évêque le plus considérable de la fin du ve siècle, Avitus, métropolitain de Vienne, l'adversaire le plus passionné et le plus intelligent de l'hérésie arienne, félicite Clovis d'une conversion qu'il a d'ailleurs contribué à rendre inévitable.

Cette lettre est le premier texte précis, dans lequel se, manifestent les intentions, les secrets désirs, les espérances de Rome. On y sent déjà quelle force attend l'Eglise romaine de sa collaboration intime avec la nation, que préparent les conquêtes de Clovis. Cette lettre fait prévoir la conception romaine d'un roi de France, fils aîné de l'Eglise et même la prétention qu'aura bientôt Rome, pour établir définitivement son pouvoir, de créer un monarque placé sous sa dépendance, et dont le pouvoir temporel s'étendit aussi loin qu'allait sa force spirituelle. La lettre du métropolitain de Vienne prévoit déjà l'empire chrétien de Charlemagne.

Grâce à l'appui des évêques catholiques, Clovis va pouvoir triompher des Burgondes et des Wisigoths; mais l'Eglise romaine ne perdra rien dans le marché conclu. Désormais, la royauté mérovingienne est liée à l'épiscopat, et nous assisterons bientôt à l'alliance des Carlovingiens avec Rome. Ce lent travail de la papauté qui, à deux reprises, à travers les siècles, fut sanctionné d'une manière éclatante par le concordat de Bologne, une première fois; puis, par la révocation de l'édit de Nantes, commence son action méthodique et persévérante. Il y a une diplomatie ecclésiastique qui, dans ces périodes troublées, fut d'autant plus féconde en résultats qu'elle émanait d'un point fixe, Rome, où convergeaient toutes les forces d'intelligence, toutes les forces d'argent de l'Europe civilisée.

La mainmise de la papauté dans les affaires intéietres de la royauté franque ne s'établit pas cependant sans d'assez grandes difficultés. En face des prétentions romaines, il y eut, dès l'origine, une tendance de la nation à vivre de ses propres ressources et de sa propre pensée, à l'abri de toute ingérence extérieure. Mais, à l'époque qui nous occupe, cette tendance est encore hésitante et imprécise. La loi qui règle les rapports de l'Eglise et de la royauté franque est la loi du chaos. Nous avons remarqué que, à l'arrivée des Barbares, les évêques gallo-romains avaient une puissance administrative et judiciaire. Ils l'ont conservée. Il existe une juridiction ecclésiastique dont nous aurons l'occasion de parler et qui subsiste jusqu'au XVIIe siècle. Cette situation de fait, accrue encore par le prestige que leur donne la foi superstitieuse des peuplades barbares, propice à l'accroissement de leurs biens temporels, les rend puissants et redoutables. Mais ils ne sont pas encore placés sous la domination directe et impérative de la papauté.

Théoriquement, les élections canoniques se faisaient alors par le peuple et par le clergé. Survivance de la primitive Eglise, le suffrage des croyants y maintenait encore dans les rangs du clergé le mouvement et la vie. Il est vrai que cette élection n'était qu'un des actes par lesquels était institué un évêque. Il fallait, par surcroît, la confirmation du roi et le consentement du métropolitain.

Telle était, du moins, la règle, mais en fait, on dut la rappeler fréquemment aux premiers rois, qui avaient inauguré un véritable droit de nomination directe. Saint-Rémi ayant consacré prêtre un certain Claudius, les évêques protestèrent, et saint Rémi répliqua qu'il avait agi ainsi par ordre du roi. L'évêque Quintinius meurt; le roi ne reconnaît pas le nouvel élu. Il en nomme un autre. Nous empruntons à l'His

toire générale de MM. Lavisse et Rambaud un troisième fait des plus significatifs : en 562, un synode de Saintes, présidé par un métropolitain, a destitué un évêque nommé par Clotaire et a mis à sa place Héraclius. Quand ce dernier vint chercher la confirmation auprès de Caribert, le roi le fit jeter sur un chariot rempli d'épines et conduire à l'exil; puis il envoya « des hommes religieux » qui rétablirent l'évêque destitué. Le métropolitain dut payer une forte amende et les autres évêques furent punis de même.

Les évêques eurent une revanche à l'occasion d'un synode, qui tenta de mettre quelque régularité dans la nomination aux grades ecclésiastiques. L'édit de 614 rétablit les élections canoniques pour le clergé et pour le peuple; il maintient l'institution royale, mais avec cette réserve que a si l'on nomme quelqu'un du palais, ce soit pour ses mérites personnels ».

Cet édit avait pour objectif de réduire l'arbitraire royal. Il rétablit également par un texte le droit de l'église à des privilèges de juridiction ainsi que ses privilèges d'immunités. Il constitue une victoire de l'aristocratie ecclésiastique, qui tend, de plus en plus, à se former en un corps distinct, dans la nation.

Sous la dynastie mérovingienne, le roi conserve cependant un certain nombre de droits acquis. C'est lui qui préside les conciles et les synodes et l'on sait que, parfois, dans ce chaos où le spirituel et le temporel voisinent et même se confondent, le roi a souvent employé les conciles aux affaires publiques. Gontran convoqua tous les évêques de son royaume pour les faire décider de sa querelle avec Sigebert. Il prétendit faire juger Brunehaut par un concile; c'était une extension abusive de son droit. La coutume était qu'il jugeât les évêques, comme président d'un synode. Son droit à la présidence des conciles et des synodes est dès lors incontesté. Les conciles ne se réunissent qu'avec son

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