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Dès ce moment je n'ofai plusverfifier. Je me contentai de lire les poëtes, en m'appliquant à connoître leurs défauts & leurs beautés. Tout ce qui me fâchoit, c'eft que mon ouvrage rempli d'imperfections, n'iroit point à la postérité, & que mon ami méritoit à tous égards l'honneur d'être immortel.

Jamais il ne s'effacera de mon coeur; & voilà comment les vrais amis ont une ressource du côté du fentiment, quand l'efprit ne fuffit pas pour bien rendre leur amitié : c'eft ma pofition à votre égard. Faites distraction de mes penfées, pour vous occuper de l'attachement que je vous ai voué; & vous trouverez que, fi je ne fuis pas un beau difeur, je fuis au moins bon ami & bon ferviteur. Mettez-moià l'épreuve.

A Rome, ce zo Décembre 2755.

LETTRE LXIII.

A M. le baron de KRONECH, gentilhomme Allemand.

JE

ne fais, monfieur le baron ce que je dois le plus admirer en vous, ou de l'efprit, ou de l'aménité. Rien ne prouve mieux que votre exemple, combien les Allemands ont les qualités propres à devenir amis. Tous ceux que j'ai fréquentés, m'ont fait voir la plus belle ame du monde.

Si vous continuez à vous occuper utilement, vous honorerez votre nation & tous ceux qui vous auront connu. Je me félicite de ce qu'un fimple hafard m'a procuré le plaifir de votre agréable converfation. J'ai toujours gagné en me rendant communicatif; car j'ai rencontré des per

fonnes qui méritoient qu'on leur fût vivement attaché, ou des malheureux qui avoient besoin de secours & de confeil.

Il est si doux d'obliger, qu'on ne peut trop aller au devant de ceux qu'on rencontre, quand on eft conduit par ce motif. Je voudrois que cette lettre ne finît point, à raison du plaifir que j'ai de vous entretenir; mais je me dois aux offices, à mes travaux ordinaires, & à la crainte de vous ennuyer. Recevez donc fans façon les vœux que je fais pour vous revoir ici, & pour vous redire combien j'ai l'honneur d'être, &c.

LETTRE LXIV.

A M. DE LA BRUERE, chargé des affaires de France en cour de Rome.

MONSIEUR,

Je m'étois rendu chez vous, & deffein de vous voler au moins 'une heure de votre tems, pour en faire mon profit; mais il n'y a pas eu moyen de pénéter dans ce précieux cabinet, d'où vous communiquez avec celui de Verfailles, d'une maniere fi glorieuse pour vous, & fi avantageuse pour votre aimable nation.

Je me fuis bien vîte retiré, moi qui n'ai d'autre politique que celle de n'en point avoir, & je fuis revenu, en me disant à moi-même,

que je ne devois plus paroître chez vous, fans y être appellé.

Si je favois néanmoins l'heure que vous deftinez aux belleslettres, vos bonnes amies, je m'emprefferois de vous aborder. Il fortiroit quelque chofe de votre excellente mémoire & de votre brillante imagination, qui embelliroit la mienne, & je deviendrois intéressant dans la fociété.

Je regrette toujours de n'avoit entendu qu'à moitié la lecture de ce certain manufcrit, où Rome rendue telle qu'elle eft, fatisfait pleinement la curiofité. Les fleurs y font mêlées avec les fruits, & c'eft la plus agréable corbeille qu'on puiffe offrir aux perfonnes qui ont du goût. Mon ame eft avide d'entendre le refte. Je vous crois trop honnête, pour ne pas contenter fon defir.

Vous ne pouviez choisir une plus heureufe époque que le regne

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