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cueilli: ce ne font pas les murs d'un monaftere qui en font le mérite.

La maifon de la Trappe que nous avons en Italie, & où vous voulez vous retirer, n'eft pas moins réguliere que celle de France; mais pourquoi quitter le monde, lorfqu'on l'édifie? Il fera toujours pervers, fi tous les gens de bien l'abandonnent..

D'ailleurs, l'ordre de Malte, dans lequel vous vivez, n'eft il pas un état religieux & capable de vous fanctifier, fi vous en rempliffez les devoirs?

On doit bien réfléchir quand on fe furcharge d'obligations. L'évangile eft la véritable regle du chrétien; & il faut une vocation bien éprouvée pour s'enterrer dans la folitude.

C'est une voie extraordinaire que celle qui nous tire de la vie commune; & quand on embraffe

le vie cénobitique, on doit craindre que ce ne foit une illufion. J'honore parfaitement les folitaires qui fuivent l'inftitut de la chartreuse & de la trappe; mais il n'en faut qu'en petite quantité. Outre qu'il eft difficile de trouver un grand nombre de religieux fervens, on doit appréhender d'appauvrir l'état, en fe rendant inutile à la fociété. Nous ne naiffons pas moines, & nous naiffons citoyens. Le monde a befoin de fujets qui concourent à fon harmonie, & qui faffent fleurir les empires par leurs talens, par leurs. travaux, & par leurs moeurs.

Ces folitudes profondes, où l'on ne donne extérieurement aucun figne de vie, font exactement des tombeaux.

Saint Antoine, qui vécut fi long-tems dans les déferts, n'avoit pas fait vou d'y toujours refter. Il quitta fa retraite, &

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vint au milieu d'Alexandrie pour combattre l'arianifme, & pour diffiper les Ariens; parce qu'il étoit convaincu qu'on doit fervir la religion & l'état par des actions, encore plus que par des prieres. Auffi quand il eut rempli fa miffion, retourna-t-il dans fon hermitage, fâché d'y reporter le peu de fang que la vieilleffe laiffoit dans fes veines, & de n'avoir pas fouffert le martyre.

Quand vous ferez à la Trappe, vous prierez Dieu jour & nuit, il est vrai; mais ne pouvez-vous pas élever continuellement votre cœur vers lui, quoiqu'au milieu du monde? Ce ne font pas les prieres vocales qui font le mérite de l'oraifon, Le fouverain légiflateur nous avertit lui-même que la multiplicité des mots ne nous obtient pas les fecours du ciel. Plufieurs écrivains refpectables ne font pas difficulté de dire que

le relâchement des monafteres eft venu en partie de ce qu'on a trop multiplié les offices. Ils penfoient, avec raifon, que l'attention ne peut fuffire à des prieres trop longues, & que le travail des mains eft plus avantageux, qu'une continuelle pfalmodie.

Le monde n'auroit pas tant crié contre le moines, s'il les eût vu appliqués à des travaux utiles. On bénit encore la mémoire de ceux qui défricherent les cam pagnes, & qui enrichirent les villes de favantes productions tant fur les faits hiftoriques, que fur la date des événemens.

Les bénédictins de la favante congrégation de St. Maur en France, que nous appellons vulgairement Maurini, fe font fait un honneur qui durera long-tems, pour avoir mis au jour une multitude d'ouvrages, auffi curieux qu'utiles. Le célebre P. Montfau

con, qui n'eft pas un de leurs moindres ornemens remplit toute l'Italie de fon érudition lorfqu'il fe livra tout entier à la connoiffance de l'antiquité.

Saint Bernard, le réformateur de tant de monafteres qui fuivent fa regle, fe rendit très-utile à la religion & à fa patrie, non lorfqu'il prêcha les croifades, qu'on ne peut juftifier qu'à raifon de l'intention, mais quand il donna des avis folides aux papes & aux rois & qu'il compofa des ouvrages immortels. Il ne feroit pas devenu pere de l'églife, s'il n'eût fait que prier.

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Le P. Mabillon, dans fon fameux traité des études monaftiques, me paroît avoir amplement triomphé de l'abbé de Rancé, qui prétend que les moines ne doivent s'appliquer qu'à la contemplation & à la pfalmodie. La deftination de l'homme eft de tra

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