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LETTRE

LXXX.

A un curé du diocèfe de Rimini. C'EST très-témérairement,mon

cher pasteur, que vous jugez votre pere, le mien, celui de tous les fideles, le grand Lambertini, pour qui toutes les églifes ont la plus profonde vénération. Outre qu'il eft célebre par fes connoiffances vastes & fublimes, par fon génie pénétrant, par fa prudence confommée, il eft le chef de la religion, le fouverain pontife, duquel on ne peut médire fans blafphémer. Vous n'ignorez pas que St. Paul demande pardon au grand-prêtre de la fynagogue, quoiqu'elle expirât, parce qu'il l'avoit appellé muraille blanchie.

Le traité que Benoît XIV fit avec l'Espagne, pour que les

clercs espagnols ne vinffent plus à Rome, a empêché je ne fais combien de jeunes eccléfiaftiques d'être vagabons, & de mener une vie licencieuse. Rien n'eft plus à propos que de voir ceux qui fe deftinent au miniftere étudier fous les yeux de leurs propres évêques,qui apprennent à les connoître, & qui ne les perdent pas de vue

D'ailleurs, il faut tant de raifons pour juger un fouverain avec équité, que, fi l'on ne connoît ce qui fe paffe dans les cabinets des princes, la nature des événemens, les fuites qu'une affaire peut avoir, & fi même l'on ne pénetre l'ame de ceux qui agiffent & qui font agir, on ne peut que former un jugement très-criminel.

Eh! qui fommes-nous, pour condamner le vicaire du Chrift & fur-tout lorfque nous ignorons

le motif de fes démarches, & que nous ne favons pas ce qu'il a pu prévoir ? Dans une affaire, le préjugé eft en faveur des juges. Comment juftifiera-t-on la licence qu'on fe donne de blâmer fur de foibles apparences, la conduite du fouverain pontife? C'eft fans doute prêter des armes aux proteftans, & manquer effentiellement de respect à l'égard de celui que Dieu a établi fur un trône pour voir & pour juger, & qu'il nous a ordonné d'écouter comme luimême : je dis plus; c'est risquer fon falut.

Il n'y a point de circonstance, point de moment, dût-il en coûter à notre cœur & à notre opinion, où l'on puiffe s'élever contre les démarches du fouverain pontife, à moins qu'on ne forme fon confeil. Il voit ce que

vous ne voyez pas; &, s'il ne nous en rend pas compte, c'eft que fouvent il eft lié par des confidérations qui retiennent fa plume & fa langue. Il est une politique chrétienne qui, fans jamais bleffer la vérité, ne dit pas toute vérité, & qui s'enveloppe d'un filence néceffaire, quand il est avantageux de ne pas parler. Comment prêcherezvous dans votre paroiffe le refpect dû au chef de l'église, fi l'on vous entend vous-même vous échapper contre lui? Suppofons même qu'il ait mal fait; vous devriez comme chrétien, comme prêtre, comme curé, l'excufer en public, & impofer un filence éternel à ceux qui oferoient l'attaquer. Voilà mes fentimens fur les fouverains pontifes. Ce font les oints du Seigneur, les Christs, dont on ne doit jamais mal parler: Nolite tangere Chriftos meos,

& in prophetis meis malignari (1). Je me flatte que vous reviendrez de votre préjugé, & que vous approuverez mes raifons parce que vous avez l'efprit jufte & le coeur droit. C'eft une effervescence d'imagination, qui vous a porté à condamner Benoît XIV, lui dont toutes les démarches font pefées au poids de la justice, & dans le fanctuaire même de la vérité.

Je vous embraffe, mon cher pasteur, & je fuis, &c.

A Rome, ce 24 Mai 2755.

(1) Gardez-vous de toucher à ceux qui me font confacrés, & de maltraiter mes prophêtes.

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