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de vous importuner. Je n'aime pas à arracher des bienfaits; j'aime qu'ils coulent de fource, & qu'ils aient pour principe la magnani

mité.

J'entrevois cette lettre parmi celles que tant de militaires vous écrivent journellement, comme une bigarrure qui vous amufera. La fignature du frere Ganganelli ne peut avoir de mérite à vos yeux, qu'autant qu'elle fe trouve au bas du profond respect avec lequel j'ai l'honneur d'être, monfieur, votre très, &c.

A Rome, ce 9 Septembre 2748.

LETTRE

A Madame **

MADAME,

X.

La vraie dévotion ne confifte, ni dans un air négligé, ni dans un habit brun. La plupart des dévotes s'imaginent,& je ne fais pourquoi, que les couleurs obfcures plaisent davantage aux efprits céleftes, que les couleurs vives. Cependant on nous peint toujours les anges en blanc, ou en bleu. Je n'aime point la piété qui s'affiche: la modeftie ne dépend point d'une couleur; il fuffit qu'on ait de la décence dans fes habits & dans fon maintien, pour être comme on doit être.

Observez d'ailleurs que fi quelque femme médit dans une affem

blée,

blée, paroît acariâtre, en colere contre le genre humain, c'est le plus fouvent celle qui eft en brun. La fingularité s'allie fi peu avec la vraie dévotion, qu'il nous est ordonné dans l'évangile de laver notre vifage lorfque nous jeûnons, afin de n'être pas remarqués.

Ainfi je fuis d'avis, madame, que vous ne changiez rien à la forme & à la couleur de vos habits. Que votre cœur foit à Dieu, que toutes vos actions fe rapportent à lui; & voilà le point capital.

Le monde n'auroit pas tant ridiculifé la dévotion, fi les dévots n'y avoient donné lieu. Prefque toujours d'un zele amer, ils ne font contens que d'eux-mêmes; & ils voudroient que chacun s'affervît à leurs bizarreries, parce qu'ils n'ont fouvent qu'une piété d'humeur.

Toute perfonne vraiment pieu-
Tome 1.

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fe, eft patiente, douce, humble; ne soupçonne point le mal, ne s'aigrit jamais, & cache les défauts du prochain lorfqu'elle ne peut les excufer. Toute perfonne vraiment pieufe rit avec ceux qui rient, pleure avec ceux qui pleurent, conformément à l'avis de St. Paul, & n'eft fage qu'avec sobriété, parce qu'il faut de la tempérance en toutes choses.

Enfin la vraie dévotion eft la charité; & fans elle, tout ce qu'on fait eft absolument inutile pour le falut. Les faux dévots ne font guere moins de mal à la religion que les impies mêmes. Toujours prêts à s'enflammer contre ce qui ne s'accorde, ni avec leurs opinions, ni avec leur humeur, ils ont un zele inquiet, impétueux, perfécutant, & ils font ordinairement fanatiques ou fuperftitieux, hypocrites ou ignorans. JefusChrist ne les épargne pas dans

l'évangile, pour nous apprendre à nous en méfier.

Quand vous fentirez, madame, qu'il n'y a ni rancune dans votre cœur, ni hauteur dans votre efprit, ni fingularité dans vos actions, que vous obfervez enfin les préceptes de Dieu & de l'églife fans affectation, fans minu

tie; alors vous

vous pourrez

pourrez croire que vous êtes réellement dans la voie

du falut.

Sur-tout rendez vos domestiques heureux, en vous abftenant de les tourmenter. Ce font d'autres nous-mêmes, & il faut continuellement alléger leur joug. Le moyen d'être bien fervi, c'eft d'avoir toujours un visage ferein. La vraie piété conferve en tout tems le même calme & la même tranquillité, tandis que la fauffe dévotion varie à tout inftant. Entretenez vos nieces felon leur condition, & n'exigez pas

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