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Journée

du 17 juin.

fusion des colonnes; sans cela, il est présumable qu'il eût pris les mesures pour les serrer de plus près. Du reste, si les ténèbres contribuèrent à arrêter la poursuite dans la soirée même, elles durent aussi contribuer à augmenter le désordre dans la retraite de l'aile droite ennemie, et si l'on avait agi, en cette occasion, comme les Prussiens le firent deux jours plus tard à Waterloo, on est fondé à croire que les trophées eussent été plus grands, et que l'on eût évité les fautes commises dans les deux journées suivantes (1). Napoléon leur avait donné bien des leçons dans sa vie; mais ils lui ont appris aussi qu'une poursuite de nuit, malgré ses inconvénients, peut avoir de grands avantages.

Le 17 au matin, Napoléon attendait avec une égale anxiété des rapports détaillés sur ce que Ney avait fait aux Quatre-Bras, et des nouvelles de Paris, où la disposition hostile des chambres ne lui causait pas moins de soucis que l'ardeur révolutionnaire des sociétés fédérées. En attendant la connaissance exacte de ce qui se passait du côté

(1) Les troupes prussiennes, qui tenaient Bry à leur droite et Sombref à leur gauche, étaient en bon ordre, et suffisaient pour arrêter toute poursuite trop audacieuse; cependant il eût été sage de tenter un peu l'attaque à l'entrée de la nuit: on n'avait aucun risque à courir.

des Anglais, il ordonna à la cavalerie de Pajol de suivre les Prussiens sur la chaussée de Namur, qui était leur ligne d'opérations naturelle, en même temps qu'Excelmans éclairerait la route de Gembloux. La relation de Sainte-Hélène ajoute que le général Monthion fut chargé de la poursuite sur la gauche, c'est-à-dire dans la direction de Tilly et Mont-Saint-Guibert. L'Empereur donna ensuite ses soins à l'administration, fit la revue des troupes et du champ de bataille, pour distribuer des secours à la multitude de blessés des deux partis dont il était jonché, et qui en avaient d'autant plus besoin, que les ambulances n'avaient pu suivre les armées dans les marches forcées qu'elles avaient faites.

Pour ceux qui se rappellent l'étonnante activité qui présida aux événements de Ratisbonne en 1809, de Dresde en 1813, de Champ-Aubert et de Montmirail en 1814, ce nouveau temps perdu sera toujours une chose inexplicable de la part de Napoléon. Après un succès comme celui qu'il venait de remporter, il semble qu'il aurait dû, dès six heures du matin, se mettre aux trousses des Prussiens, ou bien tomber de toutes ses forces sur Wellington, dont la réserve de cavalerie, l'artillerie et partie de l'infanterie n'étaient arrivées que dans la nuit harassées de fatigue. La nécessité de ne pas laisser la ligne de retraite de Charleroi à la

Ordre

donné à

poursuivre

merci du général anglais, faisait une loi de se porter de préférence contre lui.

On ne saurait supposer que l'Empereur ignorât entièrement l'échec essuyé par Ney aux QuatreBras; car si le maréchal n'avait pas eu le temps d'en faire le rapport détaillé, il n'avait sûrement pas oublié son devoir jusqu'à laisser ignorer le fait en lui-même. C'était d'ailleurs une raison de plus pour y marcher sans délais. Au demeurant, on savait bien que Ney n'avait pu remporter un grand succès, ni éprouver un grand revers, à cause de l'état de dispersion où se trouvait l'armée anglo-néerlandaise, et du double mouvement du corps d'Erlon. Laisser la matinée du 17 à Wellington pour se reconnaître, était donc une faute plus réelle peut-être, que de laisser celle du 16 à Blücher comme on l'avait fait. Nous dirons plus tard quel en fut le résultat. Sans doute l'Empereur eut de puissants motifs pour se résigner à un pareil délai, qui ne pouvait être que funeste; mais ces motifs ne sont jamais venus jusqu'à moi.

Napoléon ayant enfin reçu, par son aide de Grouchy camp Flahaut, les détails du malheureux combat pour de Quatre-Bras, en même temps que Pajol annonçait la prise de quelques canons prussiens à Mazy, sur la route de Namur, il résolut, vers onze heures seulement, de se porter, avec sa réserve et

les

Prussiens.

.

Ney, contre les Anglais, tandis que Grouchy, avec ses sept divisions d'infanterie et ses deux corps de cavalerie, poursuivrait vivement les Prussiens. Ici se présente une des circonstances les plus graves de cette campagne, et qu'il est de mon devoir d'exposer avec toute la franchise et l'impartialité qu'un historien consciencieux doit professer.

La relation de Sainte-Hélène affirme que Grouchy en recevant verbalement l'ordre de suivre les Prussiens, sans les perdre de vue, reçut aussi celui de se tenir constamment entre leur armée et la route de Bruxelles, qu'allait prendre Napoléon, c'est-à-dire, de manière à ce que les deux masses françaises formassent entre elles deux lignes intérieures ou centrales qui pourraient s'entre-secourir, tout en séparant et divisant les deux armées ennemies. Le maréchal Grouchy, dans une brochure justificative, déclare «qu'il ne lui fut rien dit << de semblable; qu'il reçut, au contraire, sans au<«< tre commentaire, l'ordre de diriger sa poursuite <<< sur Namur et la Meuse; enfin, que s'étant permis <«< de témoigner le désir de ne pas s'éloigner autant « du gros de l'armée, Napoléon lui demanda avec «< humeur, s'il prétendait lui donner des leçons. Le maréchal cite le général Baudran comme un témoin prêt à attester ces faits.

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Il serait fort difficile de prononcer entre des assertions aussi contradictoires; tout ce que je

puis ajouter, c'est que le major général Soult, écrivant le 17 au matin, au maréchal Ney, au nom de l'Empereur, l'informait que Grouchy allait poursuivre les Prussiens sur Namur et la Meuse. Cependant, un peu plus tard, le général Bertrand expédia l'ordre positif de marcher sur Gembloux. Grouchy se disculpe également en reprochant à l'Empereur les longues heures employées à la revue du champ de bataille, et pendant lesquelles on perdit les traces de l'armée de Blücher, qu'on ne retrouva que partiellement. Il observe encore que l'Empereur s'étant réservé le droit de disposer lui-même des troupes partout où il se trouvait, le maréchal n'avait pu, de son chef, prescrire aucune disposition pour cette poursuite, et qu'il réclama, à plusieurs reprises, des ordres qu'on ne lui donnait pas (1).

Après avoir exposé les faits allégués par les deux partis, sans prétendre les juger, il est de mon devoir d'observer que l'ordre mentionné dans la relation de Sainte-Hélène, était tellement con

(1) Il paraît constant que les ordres donnés le 17 au matin aux différents corps de cavalerie pour la poursuite, furent adressés directement par l'Empereur à Pajol, à Excelmans et à Monthion. Ce dernier était aide-major général, et fit ses rapports directement à l'Empereur; il avait fait éclairer la direction de Tilly et Mont-Saint-Guibert.

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