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forme au système des lignes intérieures auquel Napoléon avait dû le plus grand nombre de ses victoires, qu'on ne saurait révoquer en doute qu'il l'ait effectivement donné: mais il faut avouer aussi qu'il eût mieux fait, dans tous les cas possibles, d'assigner positivement à Grouchy la direction intermédiaire entre Liége et Bruxelles, qu'il désirait que son aile droite suivît. Il était évident que Blücher n'avait que trois partis à prendre, savoir: de se replier sur Liége, de gagner Maëstricht, ou de chercher enfin à se joindre à Wellington pour reprendre l'offensive et se venger de l'affront essuyé à Ligny. Le dernier était certes le plus habile, le plus hardi et le plus conforme au caractère du général prussien; mais, pour l'exécuter, il fallait renoncer en quelque sorte à sa ligne de retraite sur le Rhin: outre cela, comme Blücher avait pris le chemin de Wavre, il ne pouvait guère effectuer cette jonction que derrière la forêt de Soignes; car, pour marcher devant cette forêt, il fallait la longer dans toute son étendue, en prêtant le flanc aux Français. Napoléon devait croire que l'ennemi n'oserait point exécuter un mouvement aussi hasardé en présence de Grouchy qui le talonnait; il devait donc supposer que si Blücher ne cherchait pas à gagner Maëstricht ou Liége, il marcherait de Wavre sur Bruxelles, mouvement qui forcerait

Napoléon marche

Wellington à se replier aussi sur cette capitale, ou à combattre seul vers Waterloo.

Dans toutes ces hypothèses, il était convenable de diriger Grouchy sur Mont-Saint-Guibert et Moustier dès le 17 au matin; car la vallée de la Dyle étant la ligne la plus favorable pour couvrir le flanc droit de Napoléon, Grouchy aurait pu passer cette rivière à Moustier; de là il eût été facile de l'attirer à Waterloo pour prendre part à la bataille, ou de le faire marcher à Wavre par la rive gauche, en se flanquant, du côté de Saint-Lambert, , par les dragons d'Excelmans et une division d'infanterie. Par ce moyen, l'Empereur eût été certain de pouvoir attirer toute son aile droite à lui, si Wellington acceptait la bataille le 18 devant la forêt de Soignes, et il aurait pu compter aussi que toute coopération des Prussiens eût été impossible.

Quoi qu'il en soit, les deux fractions de l'araux Anglais, mée impériale devaient s'ébranler en même temps pour marcher à leurs destinations respectives. La réserve, conduite par Napoléon, partit cependant la première pour joindre Ney et l'aile gauche aux Quatre-Bras, afin d'attaquer les Anglais, s'ils voulaient tenir son avant-garde était partie dès dix heures; la garde suivit à onze heures. L'aile droite s'ébranla plus tard; Vandame, qui en formait la tête, se porta d'abord au Point-du-Jour (auberge

située à l'embranchement des routes de Gembloux et de Namur); le corps de Gérard ne partit de Sombref qu'après trois heures. Le maréchal Grouchy ayant reçu l'ordre de se porter sur Gembloux, dont nous avons parlé plus haut, et l'avis que le général Excelmans se trouvait en présence des Prussiens aux environs de cette ville, y courut de sa personne, en dirigeant Vandame et Gérard sur le même point. Pajol seul patrouilla avec ses hussards et la division Teste sur la direction de Mazy et Temploux. Nous allons les laisser là, afin de suivre les opérations de l'armée impériale.

de

Napoléon, arrivé vers Genape, y trouva l'arrière- Retraite garde anglaise. Le temps était affreux, les cata- leur armée. ractes du ciel semblaient ouvertes, et cependant les troupes n'en montraient pas moins une ardeur extrême à suivre l'ennemi. Le duc de Wellington n'avait appris que le 17, à huit heures du matin, et par hasard, la défaite de Blücher (l'officier qui en portait la nouvelle s'étant égaré dans l'obscurité avait été tué). On peut juger quel eût été son embarras si Napoléon eût marché au point du jour contre lui. Le général anglais se hâta de mettre en retraite ses impedimenta, pendant que sa cavalerie exténuée prenait quelque repos. A dix heures, ses colonnes étaient en marche sur la chaussée de Bruxelles, protégées par toute la ca

valerie, réunie sous les ordres de lord Uxbridge, qui prit position à Genape, derrière la Dyle, pour donner à l'armée le temps de gagner du terrain. Cet officier général déploya dans cette occasion le même aplomb dont il avait déjà fait preuve en Espagne (1), en chargeant avec les gardes anglaises les téméraires qui voulurent passer le défilé en sa présence. Les Français le suivirent pas à pas jusqu'à la Maison du Roi, à la hauteur de Planchenois, où l'armée arriva à la nuit tombante.

L'ennemi montrait l'intention de se maintenir en avant de la forêt de Soignes. On crut d'abord que ce n'était qu'une forte arrière-garde pour couvrir la marche des colonnes à travers la forêt; on s'aperçut bientôt que l'armée entière se trouvait là; mais comme il était trop tard pour engager une affaire, les différents corps bivouaquèrent près de Planchenois. La pluie continua à tomber par torrents jusqu'au lendemain.

A trois heures du matin, l'Empereur fit la tournée des postes, et s'assura que l'armée n'avait pas bougé; Wellington était donc décidé à accepter

(1) Lord Uxbridge est le même personnage qui s'était illustré en Espagne sous le nom de sir Arthur Paget, et qui porte aujourd'hui le titre de marquis d'Anglesey. Il s'était distingué à Benavente et dans plusieurs autres rencontres.

la bataille; il en fut ravi, regardant comme un véritable coup de fortune pour lui que les deux armées ennemies se présentassent ainsi isolément dans la lice, chacune à son tour.

Ordre donné

d'occuper

Cependant, pour profiter avec sécurité de cette heureuse chance, il importait de s'assurer qu'aucune jonction des deux armées ne pourrait dé- St-Lambert. sormais avoir lieu. A cet effet, on affirme que Napoléon avait expédié à l'entrée de la nuit un courrier à Grouchy, avec ordre de faire occuper en toute hâte le défilé de Saint-Lambert, afin que, s'il ne prenait pas une part active à la fête en tombant sur la gauche des Anglais, il pût du moins couvrir le flanc droit et leur donner des inquiétudes. Cet ordre, dont l'existence a été contestée, fut adressé à Wavre, dans la conviction que le maréchal aurait atteint cette ville dans la journée du 17, puisqu'il n'avait que sept à huit lieues à faire depuis Sombref(1). Au milieu

(1) Quelques personnes ont été étonnées de ce que Napoléon supposa Grouchy déjà arrivé à Wavre le 17, puisqu'ils ne s'étaient séparés que vers midi, et qu'il fallait bien deux heures aux troupes, qui n'y étaient point préparées, pour se mettre en marche. Il y a du pour et du contre dans ces dires: Napoléon, parti de Ligny, poussa jusqu'à la BelleAlliance or Grouchy n'ayant qu'une lieue de plus à faire pour gagner Wavre, aurait bien pu y arriver à la rigueur. Ce qui serait étonnant, c'est que l'on eût supposé Grouchy

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