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pas cette colonne prussienne; il n'était plus possible de conserver la moindre illusion; tout ce qu'il pouvait faire était de disputer l'honneur de ce funeste champ de bataille, où sa ligne était débordée au point que les boulets prussiens atteignaient presque la chaussée de Charleroi, derrière son centre. Un succès n'était guère possible, mais, à force de persévérance, il pouvait contraindre l'ennemi à la retraite. Il résolut donc, vers cinq heures, de se débarrasser de Bulow par un vigoureux coup de main, en dirigeant contre lui la jeune garde sous le brave Duhesme, soutenue par le général Morand avec une partie de la vieille garde, puis de venir ensuite tenter un dernier effort contre Wellington, avec ses réserves réunies en attendant l'issue de cette manoeuvre, Ney devait se contenter de se maintenir en possession des postes de la Haie-Sainte et de Papelotte.

Dans ces entrefaites, le maréchal, se trouvant plus isolé par la tournure des attaques du corps de Reille autour du château d'Hougomont, demandait avec instances du renfort. A défaut d'infanterie, l'Empereur lui assigna les cuirassiers de Milhaud. Wellington, de son côté, encouragé par l'attaque de Bulow, et renforcé par les troupes de son extrême droite, avait conçu l'espoir de se remettre en possession du parc d'Hougomont et

Grandes charges de la cavalerie

française.

de la ferme de la Haie-Sainte. A cet effet, il avait lancé à cinq heures les Hanovriens sur ce dernier poste, en même temps que les Anglais de lord Hill sur le premier. Dans le même instant, Ney, dont les troupes souffraient horriblement du feu de l'ennemi, voyant la cavalerie légère de sa droite ranienée par celle des Anglais, chercha à s'emparer à tout prix du plateau de MontSaint-Jean, en jetant ses braves cuirassiers sur le centre des alliés. Malheureusement son infanterie était si ébranlée qu'elle ne pouvait leur prêter qu'un faible secours. Toutefois ces escadrons, rencontrant les Hanovriens en marche sur la Haie-Sainte, se précipitent sur eux, sabrent un régiment, enlèvent ensuite l'artillerie sur le front de l'ennemi, enfoncent un carré de la légion allemande, mais tentent sans succès d'en entamer d'autres; les ennemis, formés en carrés par régiment, recueillirent les canonniers et les chevaux d'artillerie, et, par un feu nourri, déjouèrent les efforts de cette héroïque cavalerie (1), qui, chargée à son tour par la cavalerie anglaise de lord Sommerset, dut songer à se rallier, et

(1) Le duc de Wellington m'a assuré lui-même, au congrès de Véronne, qu'il n'avait jamais rien vu de plus admirable, à la guerre, que les dix ou douze charges réitérées des cuirassiers français sur les troupes de toutes armes.

le fit avec audace sous le feu même de la ligne ennemie.

Il eût mieux valu, sans doute, que cette charge se fût exécutée un peu plus tôt, de concert avec la première attaque d'Erlon, ou bien qu'elle fût différée jusqu'au retour de la jeune garde, qui devait dégager le comte de Lobau, afin d'établir alors un effort combiné des trois armes réunies. Mais le plateau était couronné; il fallait soutenir ce qui était fait, ou voir périr les troupes de Ney. Napoléon ordonne donc, après six heures, à Kellermann (Valmi), de s'avancer avec ses cuirassiers à gauche de la chaussée de la HaieSainte, et de renverser tout ce qu'il trouverait devant lui; la grosse cavalerie de la garde suit ce mouvement, et s'engage, dit-on, contre les intentions de l'Empereur (1). A l'aspect de tous ces renforts, Milhaud renouvelle aussi ses attaques. Ces 10 mille chevaux font un grand dégât dans la ligne ennemie, enlèvent 60 pièces de canon devant le front, enfoncent deux carrés; mais le reste de l'infanterie anglaise leur oppose une contenance admirable; le feu de la seconde ligne abîme les escadrons français désunis par leurs charges;

(1) Napoléon pouvait avoir l'intention de conserver ce précieux noyau de réserve, mais assure qu'il l'avait mis à la disposition de Ney.

enfin, la cavalerie anglaise, belge, hanovrienne et brunswickoise, conduite par lord Uxbridge, se présente en bon ordre pour les charger à leur tour, et ne peut manquer de le faire avec succès. Rester dans une telle situation était chose impossible; il fallut donc sonner le ralliement à quelque distance, abandonner les canons conquis, enfin laisser aux artilleurs anglais la liberté de retourner à leurs pièces et de foudroyer de nouveau cette masse de cavalerie. Cependant elle fit volte-face, et ramena les escadrons de lord Uxbridge jusque sur leur infanterie (1). Il faudrait emprunter les formes et les expressions les plus poétiques de l'épopée, pour raconter avec quelque vérité les glorieux efforts de cette cavalerie, et l'impassible persévérance de ses adversaires. On peut du reste juger ce qui serait résulté de ces belles charges, si le corps de Lobau et la jeune garde eussent pu suivre les cuirassiers au pas de course, au lieu d'être engagés du côté de Planchenois pour tenir tête aux Prussiens. Les témoins oculaires ont attesté le désordre qui commençait à s'introduire dans une partie des troupes combinées, et l'alarme qui se

(1) Lord Uxbridge (marquis d'Anglesey) eut la jambe emportée par un boulet; j'ignore si ce fut dans le moment de cette attaque ou plus tard.

répandit jusqu'à Bruxelles, où l'on attendait à chaque instant les Français.

Napoléon se flattait d'autant plus d'arracher la victoire, que, dans l'intervalle, Bulow, attaqué par Lobau et Duhesme soutenus d'un détachement de vieille garde sous le général Morand, venait d'être refoulé sur le chemin de Pajeau, et que le canon de Grouchy se faisant entendre sur la Dyle, on pouvait espérer qu'il contiendrait du moins le surplus de l'armée de Blücher. Sans doute cette victoire n'eût pas amené d'immenses résultats, mais c'était déjà beaucoup que de la remporter afin de la décider, l'Empereur ordonna à sept heures et demie de réunir toute la garde pour enlever la position de Mont-Saint

Jean.

Blücher

sur

débouche Smouhen,

Pirch et Bulow

sur

L'illusion ne fut pas longue; la cavalerie française venait à peine de rallier ses escadrons victorieux, lorsqu'on découvrit, du plateau, de nouvelles colonnes ennemies venant d'Ohain c'était Blücher lui-même qui arrivait avec le Planchenois. corps de Ziethen, dans la direction de Papelotte. En même temps le corps de Pirch, ayant débouché de Lasne, était déjà entré en action pour seconder Bulow à Planchenois.

Quoiqu'il fût difficile à Napoléon d'évaluer toutes ces forces, c'était plus qu'il n'en fallait pour lui arracher la victoire. Toutefois il se flatta,

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