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rivé que vers quatre heures à Moustier. Or, l'état affreux des chemins, le mauvais état des ponts, le défilé marécageux de la Dyle, et surtout la présence du corps de Thileman qui se fût prolongé des hauteurs de Bierge sur Limale pour s'opposer au passage, autorisent à croire que Grouchy ne fût arrivé à Lasne ou Saint-Lambert qu'entre sept et huit heures du soir. Alors les corps de Thileman et Pirch, formés derrière le ruisseau de Lasne, l'eussent empêché de pousser plus loin; Bulow et Ziethen n'en eussent pas moins décidé la bataille à Waterloo; elle eût été certainement moins désastreuse pour les vaincus, mais il n'était guère possible de la gagner.

Une grande controverse s'est élevée à ce sujet chacun a interprété à sa guise et selon ses vues, les suites qu'aurait pu amener ce mouvement conseillé par le général Gérard. Pour bien juger le résultat que l'on pouvait s'en promettre, il ne faut pas oublier que le corps de Thileman, posté sur les hauteurs de Bierge, s'éclairant jusque sur Limale, avait l'ordre de suivre celui de Pirch sur Saint-Lambert, dans le cas où Grouchy ne se montrerait pas vers Wavre, et qu'une de ses divisions s'était même déjà mise en marche à cet effet. S'il est vrai que les troupes de Grouchy, prenant dès midi le chemin de Nil-Saint-Martin sur Moustier, y fussent arrivées entre trois et ry

quatre heures, elles y eussent certainement été bientôt engagées avec les 20 mille hommes de Thielmann, ce qui eût forcément suspendu et peut-être arrêté leur marche. Si elles eussent voulu déboucher par Limale, elles eussent rencontré encore plus promptement ces forces ennemies. D'un autre côté, les colonnes de Pirch, qui cheminaient dans ce moment sur Lasne, eussent probablement fait halte, se voyant ainsi menacées à revers; on doit même admettre qu'elles eussent rétrogradé, afin de soutenir Thielmann; mais alors Bulow avait déjà réuni ses quatre divisions pour attaquer Planchenois, et Ziethen cheminait avec Blücher vers Ohain, longeant la vaste forêt de Soignes, où il n'existait pas une route passable pour se rabattre en cas de revers sur Bruxelles:

Quelle résolution eussent prise Blücher et ses conseillers si le bruit inquiétant du canon de Grouchy eût tonné vers cinq heures entre Moustier et Saint-Lambert? Voilà où est le noeud de la question. Faire halte et recevoir l'attaque dans une position à la fois décousue et dangereuse, ce n'eût pas été seulement perdre tout le fruit d'une habile et audacieuse manœuvre, c'eût été une folie qui eût compromis l'armée prussienne dans un vrai coupe-gorge; Blücher n'avait donc que trois partis à prendre: 1° de

rétrograder sans délais sur la route qui mène de Wavre à Bruxelles; 2° d'arrêter ses colonnes, et de les diriger promptement sur la Dyle, pour en disputer le passage à Grouchy; 3o de précipiter son mouvement sur Ohain et Planchenois, afin de hâter la jonction tant désirée avec l'armée de Wellington, réunion qui était son but primitif, et devenait son unique planche de salut, une fois qu'il se trouverait engagé dans une pareille situation.

Malgré les avantages manifestes du dernier parti, il paraît que Blücher, informé de l'apparition des têtes de colonne d'Excelmans et de Vandame à la hauteur de Corbaix, et craignant de les voir déboucher par Moustier, se décida pour le second; car il fit suspendre la marche de Pirch et ordonna à Ziethen de se rabattre sur la Dyle. On assure même que ces troupes ne reprirent leur mouvement que d'après un rapport de Thielmann, annonçant que les colonnes françaises se prolongeaient jusque vers Wavre.

Il est néanmoins permis de croire que, dans tous les cas, le maréchal prussien, après avoir reconnu la force de Grouchy, eût jugé les huit divisions de Pirch et de Thilemann suffisantes pour le contenir, tandis qu'avec les huit divisions de Ziethen et de Bulow il eût aidé Wellington à décider la victoire.

Quoi qu'il en soit, il est évident que la seule

apparition de Grouchy vers Moustier eût mis les généraux prussiens dans un embarras réel, dont personne du reste ne saurait décider, ni les résultats, ni la gravité; car tous les raisonnements que l'on pourrait faire à ce sujet se bornent à des conjectures vagues pour juger l'effet moral que cet événement eût produit sur les généraux prussiens et sur leurs troupes.

Toutefois, on ne saurait le nier, si le conseil du général Gérard n'équivalait pas entièrement à la résolution de se porter dès le point du jour à Moustier, le maréchal Grouchy dut regretter de ne pas s'être décidé à le suivre : il eût fait du moins tout ce qui était humainement possible pour empêcher une catastrophe qu'on lui a malheureusement imputée. Sa bravoure et son zèle étaient éprouvés, il avait souvent donné des preuves de talent, mais il perdit ici l'occasion de se placer au nombre des généraux les plus habiles, en s'attachant à suivre strictement des ordres qui lui avaient été donnés, dit-on, avec un peu d'amertume, et dont il s'appliqua à exécuter la lettre plutôt qu'à interpréter l'esprit. A la vérité, les moyens de justification ne lui manquent pas le plus important et le plus fondé de tous, c'est que, ne pouvant deviner les intentions de Blücher, et le supposant concentré en avant de Wavre, vers Dion le Mont, Grouchy put craindre de découvrir entièrement les com

Sages

manœuvres

munications de l'armée, s'il se jetait ainsi dans les environs de Saint-Lambert, en laissant toute l'armée prussienne derrière lui. Les partisans exaltés de Napoléon ont jugé son lieutenant avec une rigueur extrême, sans songer qu'une partie du blâme devait retomber sur leur héros, qui ne lui avait pas donné de direction entièrement satisfaisante; et, il faut l'avouer, il existe bien peu de généraux qui eussent pris la résolution de se jeter ainsi sur Saint-Lambert, sans savoir ce que le gros des forces de Blücher entreprendrait.

Pendant que les Français commettaient ces des alliés, fautes, leurs adversaires exécutaient une manœuvre des plus sages et des plus hardies.

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Le maréchal prussien, qui était venu bivouaquer le 17 au soir, avec toutes ses forces, autour de Wavre, avait envoyé, comme on l'a déjà dit, son chef d'état-major Gneisenau au duc de Wellington, pour combiner leurs opérations ultérieures. Ils étaient convenus que si Napoléon fondait sur les Anglais, ceux-ci recevraient la bataille en avant de Waterloo, dans la position que leur général avait reconnue huit jours auparavant, afin de couvrir au besoin Bruxelles : dans ce cas, Blücher, favorisé par la Dyle et la direction de son cours, marcherait à lui pour prendre part à la bataille, en tombant sur la droite des Français; dans la supposition contraire, c'est-à-dire, si

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