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de la bataille d'Esling, tout ce qu'on peut dire à cet égard; mais en supposant même que ce système pût être convenable sur un terrain ouvert, sec, d'un abord facile, et avec des forces égales en artillerie, il est certain que des masses d'infanterie, lancées dans des terres trempées, d'où elles avaient peine à sortir, pour attaquer, avec un concours insuffisant des autres armes (1), des troupes établies dans une excellente position, avaient trop de chances contre elles. Du reste, on peut reprocher aussi de n'avoir pas suffisamment soutenu ce premier effort, qui, effectué sans concours de la cavalerie et des réserves, devenait un mouvement partiel, isolé, et dès lors sans résultat.

Il en fut de même des grandes charges de cavalerie, qui, dénuées de soutien, ne furent que

colonne de bataillons par divisions sur deux rangs, bien différente de ces lourdes masses, et telle que le général Jomini l'a proposée dans ses divers ouvrages.

(1) Les Français avaient de nombreuses batteries sur leur front, mais elles battaient de loin et vaguement la ligne ennemie, et ne pouvaient pas facilement suivre les troupes assaillantes; tandis que l'artillerie anglaise restant en position, tira jusqu'à bout portant sur les colonnes qui venaient à elle, et qui s'offraient en victimes à un feu concentrique dirigé sur un seul point.

d'héroïques mais inutiles luttes. Malgré tout cela, il est à peu près certain que Napoléon serait resté maître du champ de bataille, sans l'arrivée de 65 mille Prussiens sur ses derrières; circonstance décisive et désastreuse, qu'il ne dépendit pas entièrement de lui d'empêcher, comme on l'a vu. Dès que l'ennemi amenait 130 mille hommes sur le champ de bataille, où il lui en restait à peine 50 mille, tout devait être perdu. Il est temps, du reste, de quitter le champ des conjectures, et de revenir aux débris de l'armée de Napoléon.

désastre

de

Waterloo.

L'apparition de la cavalerie prussienne, et la Suite du canonnade qu'elle engagea sur Genape, au milieu de la nuit, était une circonstance tout à fait neuve à la guerre, où la nuit met ordinairement un terme au carnage et à la poursuite. Le général Gneisenau crut cette innovation sans danger contre une armée débandée, et il n'eut pas tort, car tout prit en désordre le chemin de Charleroi sans attendre le jour; et ce ne fut que sous le canon d'Avesnes qu'il fut possible de rallier et réorganiser un peu les bataillons.

Napoléon n'avait qu'un parti à prendre, c'était de diriger Grouchy par les Ardennes sur Laon, d'attirer sur ce point ce que l'on pourrait tirer de l'intérieur, de Metz, et du corps de Rapp, en ne laissant en Lorraine et en Alsace que les gar

Napoléon
se rend
à Paris.

à

nisons. La cause impériale était bien ébranlée, mais elle n'était point entièrement perdue, si tous les Français s'accordaient pour opposer l'Europe le courage des Spartiates de Léonidas l'énergie des Russes de 1812, ou des Espagnols de Palafox. Malheureusement pour eux comme pour Napoléon, les opinions étaient fort divisées à ce sujet, et la majorité pensant alors que la lutte n'intéressait que le pouvoir de l'Empereur et de sa famille, le pays semblait n'y être pour rien.

Le prince Jérôme avait réuni 25 mille hommes derrière Avesnes: on lui ordonna de les ramener à Laon; il restait 200 pièces de canon outre celles de Grouchy. Il fallait huit jours pour que ce maréchal pût arriver à Laon : l'Empereur se rendit dans cette ville pour l'y attendre, persuadé que Wellington, prudent comme il l'avait été en Espagne, craindrait de s'engager au milieu de tant de places fortes, et avancerait avec mesure sur la Somme.

Napoléon n'aimait pas ce que l'on nomme les conseils de guerre, mais il aimait, dans les circonstances graves, à raisonner avec quelques familiers, sur le pour et le contre des différents partis qu'il aurait à prendre, et après avoir écouté tous les avis, il arrêtait ordinairement ses résolutions, sans mème les communiquer aux personnes qu'il avait ainsi réunies.

Arrivé le 19 à Laon, où il avait d'abord résolu d'attendre la jonction de Grouchy et de Jérôme, l'Empereur discuta avec le petit nombre d'affidés qui l'avaient suivi, sur le parti qu'il convenait de prendre après cet effroyable désastre. Viendrait-il à Paris pour se concerter avec les chambres et ses ministres, ou bien resterait-il à l'armée en demandant aux chambres de l'investir d'un pouvoir dictatorial et d'une confiance sans bornes, dans la conviction qu'il obtiendrait d'elles les mesures les plus énergiques pour sauver la France et conquérir son indépendance sur des monceaux de ruines ?

Comme cela arrive toujours, les avis de ses généraux furent divisés : les uns voulaient qu'il vint à Paris déposer la couronne entre les mains des délégués de la nation, ou la recevoir d'eux une seconde fois avec les moyens de la défendre. Les autres, appréciant mieux l'esprit des députés, affirmaient que loin de plaindre Napoléon et de le seconder, ils l'accuseraient d'avoir perdu la France, et s'imagineraient sauver le pays en perdant l'Empereur. Une circonstance grave donnait du poids à cette opinion, c'est que le jour même où il triomphait à Ligny, la chambre élective avait factieusement usurpé le droit d'initiative, en adoptant une loi qui ordonnait la réunion des institutions éparses dans les diffé

rentes constitutions du consulat et de l'empire. Enfin, les plus prudents pensaient que Napoléon ne devait point aller à Paris, mais rester à la tête de l'armée, afin de traiter lui-même avec les souverains, en offrant l'abdication en faveur de son fils.

Napoléon penchait, dit-on, pour demeurer à Laon avec son armée; mais l'avis du plus grand nombre l'entraîna, et il partit pour Paris. Dans le fait, c'était bien le moyen le plus efficace de se concerter avec toutes les autorités, les ministères et les administrations, sur les mesures promptes et vigoureuses qu'il s'agirait de prendre pour organiser une grande résistance nationale; car l'Empereur en ferait plus en quelques heures que par cent dépêches. Mais pour réussir, il eût fallu trouver dans les chambres plus d'habileté, de désintéressement et de dévouement qu'elles n'en montrèrent.

Quoi qu'il en soit, le départ pour Paris étant décidé, Napoléon s'y rendit dans la nuit du 21 juin. Ce retour si naturel fut mal interprété; sa défaite l'avait déconsidéré aux yeux de la foule, qui juge si rarement les choses sous leur véritable aspect : on prit son départ de l'armée pour un acte de faiblesse. Il avait prouvé à Arcole, à Eylau, à Ratisbonne, à Arcis et à Waterloo même, qu'un boulet ne lui faisait pas peur; et

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