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supposer généralement. Si l'on s'imagine que la multitude règne parce qu'elle nomme des délégués directs, comme on prétendit l'établir sous la convention nationale, on fait une grave méprise, car jamais peuple ne fut moins souverain que sous ce déplorable régime. Si l'on crée des classes de notables pour leur conférer le droit de choisir des délégués, le peuple ne nommant plus ses mandataires, n'est déjà plus souverain. D'ailleurs, exista-t-il jamais un peuple vraiment capable d'exercer la souveraineté, même la plus indirecte? Cela n'eut jamais lieu, même dans les petits cantons de la Suisse.

Dans les monarchies constitutionnelles, la souveraineté nationale exprime, selon tout hommed'état raisonnable, la souveraineté des trois pouvoirs qui ont mandat de gouverner les affaires du pays; un seul de ces pouvoirs n'est donc jamais qu'une fraction de la souveraineté ; or, la nation ne déléguant qu'un des pouvoirs, n'est pas, à proprement parler, souveraine, car si elle l'était, le pouvoir de ses délégués dominerait à lui seul et annihilerait les deux autres.

On voit, par cet exposé, que la souveraineté nationale n'a point encore été généralement bien définie, ni bien comprise. L'intervention d'une nation dans la gestion des affaires publiques, n'est pas seulement un fait désirable comme on

l'a dit plus haut, c'est encore un fait universel, qui existe même dans les monarchies absolues, puisque le souverain ne saurait gouverner sans s'entourer des hommes de mérite désignés par l'opinion publique, et qui, sous un titre ou sous un autre, formulent en ordonnances les besoins de la nation indiqués par les états provinciaux ou les administrations municipales. Cette intervention du pays dans la gestion des affaires est naturellement plus formelle et plus forte sous un gouvernement constitutionnel, lorsqu'il existe une chambre élective appelée à discuter et approuver les lois; mais de cette intervention dans les affaires, à la souveraineté, il y a une distance immense; et il faut bien en convenir, ce serait jouer étrangement sur les mots, que de prétendre établir une monarchie héréditaire à côté d'une souveraineté nationale comprise dans ce sens, que la nation étant souveraine, ses délégués auraient le droit de faire et de défaire les gouver

nements.

Il est vrai qu'à la suite de ces grands cataclysmes politiques qui, de loin en loin, ont englouti quelques vieux gouvernements vermoulus et sans force, ou à la suite d'extinction totale de quelque dynastie, il a bien fallu que les notables d'une nation pourvussent à la réédification de l'état, en confiant ses rênes au prince jugé le

plus digne et le plus apte, ou à celui qui y avait les droits les plus directs. Mais cet acte d'élection, faisant exception au principe fondamental de l'hérédité, et n'étant justifiable que par d'impérieuses circonstances, est loin de constituer un droit souverain; il ne saurait être considéré que comme une révolution, et le pacte qui en résulte, proclamant l'hérédité du trône, devient par le fait une réparation formelle de la violation du principe, et une abdication positive de ce prétendu droit de souveraineté nationale. S'il en était autrement, une monarchie ne serait plus qu'élective, ainsi que je l'ai déjà dit.

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Il résulte de là que dans une monarchie héréditaire non absolue, mais limitée par des lois fondamentales, le trône est la propriété légitime de la dynastie, de même que la portion de souveraineté qui consiste à prendre part à la confection des lois, est la propriété imprescriptible de la nation. La nation ne doit donc pas avoir le pouvoir de disposer du trône tant qu'il y a un héritier direct ou indirect, comme le trône ne saurait dépouiller la nation de sa part de concours à la gestion des affaires, concours qu'elle exerce, non-seulement par une chambre élective, mais encore par une chambre de pairs ou sénat choisi parmi toutes les notabilités du pays, et qui, pour être à la nomination du

Des avantages du

roi, ne représenterait pas moins une fraction. active et puissante des intérêts généraux du pays. L'équilibre et la mise en pratique de ces deux portions de la souveraineté, est le problème délicat que tout homme-d'état doit chercher à résoudre dans une loi fondamentale; il est fort peu de nos législateurs modernes qui aient bien compris ce problème, ou du moins qui en aient donné une solution satisfaisante.

Si l'on n'a pas parfaitement jugé de la souvedroit divin. raineté nationale, on n'a guère mieux apprécié et défini le droit divin. Les plus ardents novateurs se sont efforcés de le présenter comme un droit à la fois mystique et arbitraire, que, dans les temps les plus reculés, quelques familles souveraines s'étaient arrogé sur la propriété d'un pays. Louis XIV surtout, dans ses étranges instructions à son petit-fils, avait en quelque sorte donné force d'autorité à cette opinion erronée. Mais, loin d'être ainsi un abus sanctionné par le temps, le droit divin eut une origine plus noble et plus solennelle, car il fut sans contredit la plus sublime institution que les législateurs pussent imaginer pour donner à un état la stabilité qui en fait à la fois la force, la puissance et la prospérité, et pour le délivrer des discordes civiles, en plaçant le trône à l'abri des ambitions individuelles.

Il devint ainsi un article de foi, chez les hommes éclairés par un profond raisonnement, et chez les masses par tradition, non dans l'intérêt d'une famille, mais pour le salut même du pays et le plus grand avantage de la puissance nationale heureux les peuples assez sages pour savoir jouir des bienfaits d'une civilisation avancée, tout en appréciant les avantages d'une pareille institution, et sachant remplir les devoirs qu'elle impose.

Depuis les révolutions d'Angleterre et de France, le droit divin fut exposé aux attaques de cette multitude d'écrivains qui se croient faits pour régler le sort des nations. Même parmi les hommes-d'état assez éclairés pour juger tout son mérite, il s'en trouva qui jugèrent son action insuffisante pour une société ébranlée jusque dans ses fondements, et dont les croyances religieuses avaient fait place à un esprit de scepticisme et de discussion qui prétendait tout faire passer au creuset de la philosophie. Ces publicistes hardis pensaient qu'un droit, que les esprits forts et même toutes les classes éclairées nommaient un préjugé, un droit qui se perdait, selon eux, dans les ténèbres du fanatisme, ne pouvait pas avoir de racines aussi solides qu'un droit qui serait proclamé et consacré dans l'intérêt de tous, un droit, en un mot, fondé sur les insti

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