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tutions jugées indispensables par les hommes les plus éminents, et appuyées sur l'expérience de cinquante siècles. Il ne s'agissait, à leur avis, que de bien formuler la loi fondamentale pour mettre la légitimité à l'abri de toutes les tempêtes. A ce raisonnement, qui ne manque pas de certaine justesse, les défenseurs du droit divin répondent que les institutions humaines étant mobiles de leur nature, et consacrées par les hommes seulement, pouvaient par cela même être révoquées par les hommes, en sorte que l'on retomberait nécessairement dans tous les orages de la monarchie élective, dont le droit divin seul peut entièrement affranchir.

Nous n'avons pas à prononcer ici entre ces deux systèmes de légitimité, qui peuvent être également indispensables selon les pays auxquels on doit les appliquer, et qui, au fond, reposent sur une même pensée, car dans l'un comme dans l'autre le trône et le pouvoir suprême appartiennent bien de droit à la famille dans l'ordre de succession établi; la seule différence qui existe c'est que dans le dernier ce sont les lois humaines qui ont reconnu la nécessité de cet ordre auquel il ne saurait être porté la moindre atteinte, et qui peut également s'appliquer à une monarchie absolue comme à une monarchie tempérée.

entre eux,

Cette institution humaine de la légitimité est d'autant plus admirable qu'elle a été nécessairement consacrée dans son origine par les plus hautes familles d'un pays, par celles-là mêmes qui, ayant des chances pour arriver au trône à leur tour, sembleraient devoir être ennemies d'une institution stable faite pour leur en interdire à jamais l'accès. Eh bien, par une subversion fort extraordinaire, ce sont les grandes familles qui, en Angleterre et en France, ont montré le plus d'attachement à la légitimité, tandis qu'elle a été l'objet du sarcasme et de la haine de tous les démagogues, qui n'avaient rien à gagner au système électif d'une monarchie.

Position

équivoque de Louis XVIII

Quoi qu'il en soit, Louis XVIII et ses ministres pouvaient difficilement changer, de leur plein gré, l'essence de ce droit placé au-dessus des combi- à ce sujet. naisons mortelles, qui avait donné quatorze siècles d'existence continue à la monarchie des Francs; ils devaient naturellement en faire le levier du droit public nouveau qui, à dater de 1814, devait former à jamais celui du trône et de la France, en les liant d'une manière indissoluble. Tout ce que l'on pouvait demander d'eux, c'était de savoir fonder pour toujours cette alliance de la légitimité divine avec l'institution humaine: l'une qui déciderait de la propriété de la couronne, l'autre qui admettait et limitait en

même temps les droits de la nation, afin de rendre cette double base inattaquable, autant de la part du trône que de la part de ses adversaires.

Si toute l'ancienne noblesse, et tous les membres de la famille royale, avaient partagé ces sentiments, qui étaient bien ceux du roi personnellement et même ceux de ses ministres, on doit convenir que la charte aurait dû satisfaire; car, si elle imposait quelques légères entraves au monarque, elle muselait d'autant inieux l'anarchie; mais on n'ignorait point que les successeurs de Louis XVIII ne se regardaient nullement comme liés par ce contrat, et réclamaient toute l'étendue du droit divin, dans le sens qu'on lui attribuait anciennement, et surtout sous Louis XIV. De plus, si les conseillers intimes du roi, Ferrand, Dambray, Montesquiou, Beugnot, avaient fait preuve d'une grande sagesse dans la rédaction et la discussion de cette charte, les deux premiers surtout avaient rapporté de l'émigration des préventions exagérées sur le moyen d'appliquer leurs doctrines à la nation française, généralement peu disposée à comprendre leurs abstractions; d'ailleurs, les passions réactionnaires de quelquesuns de ces ministres et des autres confidents du monarque effrayaient plus encore que leurs dogmes.

Leur tâche était d'autant plus difficile qu'ils avaient à lutter contre les utopies des Benjamin Constant, des Lanjuinais, des Lafayette, et il n'y eut pas jusqu'au Belge Lambrechts, que Napoléon avait nommé sénateur, qui ne se prétendît aussi bien fait que Louis XVIII pour donner à la France une charte de sa façon. Il daignait consentir à appeler ce prince et sa dynastie à un trône qu'elle occupait depuis dix siècles, à condition qu'il voulût bien reprendre toutes les chaînes imposées par l'assemblée nationale à Louis XVI. Ce légiste flamand poussa la monomanie jusqu'à insérer dans son pacte un article qui défendait au roi de faire des propositions sous la forme de lois, lui permettant seulement de prier les chambres de vouloir bien rédiger une loi sur un sujet dont le prince se contenterait d'indiquer le sommaire. Véritable folie qui eût mis la base de l'édifice au sommet, et le sommet à la base, et qui prouve à quel point le roi eut raison de ne pas laisser à de pareilles têtes l'initiative du pacte qu'il s'agissait de donner.

Après avoir démontré que la charte octroyée fut une double nécessité, je dois observer que ses dispositions ne furent pas exemptes de blâme. Comme elle devait être une sorte de contrat in

dissoluble, liant à la fois le trône et la nation,

Fautes

réelles de la

charte.

elle devait être aussi brève que possible, et ne contenir qu'une sorte de déclaration des droits. On peut donc lui reprocher de s'être étendue avec trop de complaisance sur certains détails de législation, qu'il eût mieux convenu de délibérer et modifier plus tard à l'aide des chambres et avec la sanction de l'expérience; les attributions de la chambre élective ne furent pas stipulées de manière à ce que l'équilibre tant désiré des trois pouvoirs ne fût jamais rompu par cette dernière, et ne devînt pas un vain mot par ses envahissements; enfin elle laissa une porte ouverte à l'anarchie de la presse, en promettant sa liberté d'une manière trop absolue. Toutefois, je me hâte de l'avouer, cette dernière faute fut l'ouvrage de la commission législative associée à la discussion de la charte, et non l'ouvrage du roi, qui avait sagement fait stipuler que les lois sur cette matière auraient le pouvoir de prévenir les écarts souvent dangereux de la presse journalière, qui, en soufflant de mauvaises passions, serait capable d'ébranler à elle seule l'état le plus fortement constitué.

Enfin le reproche le plus grave qu'on pût lui faire, c'est qu'elle était accompagnée de circonstances et de restrictions qui faisaient douter de sa sincérité, et par conséquent de sa durée.

Si Louis XVIII n'avait pas craint avec quelque

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