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raison d'établir de fâcheux précédents en admettant des dogmes qui pouvaient insensiblement conduire au système électif, il est constant qu'il eût donné plus de stabilité à son nouvel édifice, en lui assurant, sinon la sanction de tout le pays, du moins celle des nouvelles chambres. Il aurait suffi pour cela d'arranger une séance royale dans laquelle il eût déclaré le pacte obligatoire pour lui et ses descendants, de même que pour la nation et ses députés, chacun dans les bornes établies par la charte; à la suite de quelle déclaration, lui et tous les membres de sa famille, de même que tous les deputés et les pairs, eussent juré de maintenir, dans son intégrité, une charte qui était désormais un contrat obligatoire pour tous, et la base d'un droit public entièrement neuf.

Loin d'agir avec cette franchise et ce profond sentiment de l'intérêt général des partis, on affecta de laisser entrevoir que l'on subissait une nécessité, mais qu'on ne resterait pas longtemps dans cette voie. A cette faute, la restauration ajouta celle non moins grave de changer de drapeau, et de proscrire celui qui avait fait, pendant vingt ans de triomphes, l'orgueil de la génération présente, au lieu d'adopter franchement les couleurs nationales, que Louis XVI et

Espérances qu'on

Louis XVIII lui-même avaient portées pendant deux ans. Le drapeau blanc, non-seulement humilia l'armée, mais devint encore l'emblème d'une volonté réactionnaire dont les meilleurs esprits furent alarmés. Le comte de Montlosier même, dont le pur royalisme était assez éprouvé, protesta par ses sages conseils contre une imprudence qui mettait le trône à la merci d'un pavillon.

Le roi céda aux excitations de ses conseillers orthodoxes, et crut avoir assez fait en donnant des institutions aussi libérales, dont les principes étaient loin d'obtenir l'assentiment du parti ultra-royaliste qui l'entourait.

Quoi qu'il en soit, Louis XVIII s'était flatté, en conçoit, au moyen de ce grand acte, de rapprocher les Bourbons du parti qui les repoussait, et de rendre les révolutionnaires partisans de la royauté, en maintenant leurs intérêts et en admettant une partie de leur système. On s'imagina donc qu'il n'y aurait plus qu'un cœur et qu'une âme dans toute la nation; on affectait de le répéter, mais cela n'était pas vrai. Il y avait néanmoins tant de bonheur dans cette combinaison, que la France, sous ce régime, serait devenue florissante en peu d'années si les partis raisonnaient, si l'orgueil, l'intérêt ou les passions des hommes, pouvaient être annulés par quelques articles réglemen

taires; enfin, si les défauts que nous venons de signaler n'avaient précisément rallumé toutes les passions politiques les plus opposées. Le roi aurait en effet résolu d'un trait de plume le problème pour lequel on avait combattu vingt ans, puisqu'il établissait la nouvelle doctrine politique en France, et la faisait reconnaître sans contestation par toute l'Europe : il ne lui fallait, pour réussir, que savoir être maître chez lui; mais c'était là le point difficile.

graves de

Au fait, jamais chef d'état ne s'était trouvé Embarras dans une situation plus épineuse. Entouré de Louis XVIII. vingt mille émigrés qui voulaient des places, d'anciens employés impériaux qui voulaient les conserver, de jacobins qui demandaient aussi d'y avoir part, de doctrinaires qui prétendaient être seuls capables de conduire un état constitutionnel, d'anciens royalistes et d'un haut clergé qui ne voulaient ni de la constitution, ni de ceux qui étaient chargés de la faire marcher; Louis XVIII eût été un ange, un génie, qu'il ne fût pas venu à bout de rallier les partis. Cette vérité une fois reconnue, il devait du moins s'attacher à leur assigner des limites infranchissables, à marcher d'un pas ferme et franc entre ces écueils.

Un prince qui dispose d'un milliard par an, ainsi que de tous les emplois de l'administration et de l'armée, vient à bout de tout avec

Faute des partis.

le temps, lorsqu'il a l'initiative exclusive des lois et qu'il sait employer tour à tour la sagesse et la vigueur. Placer les royalistes modérés à côté des constitutionnels et des hommes - d'état formés sous l'empire, repousser les exagérés de toutes classes, dire hautement et franchement ce qu'on voulait, telle était la seule marche à suivre; peut-être n'eût-elle pas suffi pour consolider une restauration opérée à la suite d'une invasion étrangère et de l'humiliation militaire du pays; mais enfin, c'était le seul moyen de se maintenir; la vigueur fondée sur la justice est la meilleure finesse des rois.

Louis XVIII voulut trop bien faire; il flatta trop les deux factions, espérant s'attacher leurs chefs; il ménageait Carnot et Fouché, tout en protégeant ceux qui les traitaient de brigands; excité par ses conseillers, il promettait aux émigrés ce que la charte ne permettrait jamais de tenir. Au lieu d'être le chef unique et vigoureux de l'État, il ne semblait qu'une victime offerte en sacrifice à l'animosité des deux partis ; un pouvoir occulte protégé par son frère, et qui prétendait étre plus royaliste que le roi, s'établit à ses côtés mémes au palais des Tuileries. Pour surcroît de malheur, l'autorité fut livrée à des ministres sans crédit, et influencés par les coteries qui agitaient la cour. Dès lors, il n'y eut plus que de

l'inconséquence et de la contradiction dans le système du gouvernement; les mots n'allaient jamais aux choses, parce qu'on voulait au fond du cœur autre chose que ce qui était promis par écrit.

Louis XVIII avait donné la charte pour empêcher qu'on ne lui en imposât une autre; mais il était évident que, le premier moment passé, les royalistes orthodoxes espéraient la retirer pièce à pièce, parce que ce pacte ne leur convenait point. Ils proclamaient hautement que ce n'était qu'un acte de transition entre la révolte et la légitimité. Les émigrés voulaient un maître débonnaire, comme les prêtres espagnols en demandent un, c'est-à-dire qui les laissât gouverner sans contradiction. Ils ne voyaient dans le retour des Bourbons qu'un moyen de s'indemniser de leurs pertes, et de ressaisir leurs priviléges. Ils s'étaient ruinés pour leur propre cause, et se présentaient comme des victimes de leur dévouement à la famille royale. Ils demandaient hautement s'il n'y avait qu'une légitimité, et si les droits de la noblesse n'étaient pas aussi sacrés que ceux de la maison de Bourbon.

Pour calmer ces prétentions, on promettait de les satisfaire avec le temps; or, la charte était loin d'en offrir le moyen. A la vérité, on avait rétabli la noblesse, mais elle n'avait ni préroga

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