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tives, ni pouvoir; elle n'était pas démocratique, parce qu'elle avait des prétentions exclusives; elle n'était pas aristocratique, parce qu'elle ne faisait pas corps dans l'État, et que la pairie même ne lui était pas exclusivement réservée.

Le clergé prêchait aussi contre la charte, parce qu'il espérait revendiquer ses biens et reprendre son antique influence, ce qui était formellement impossible sous l'empire de la constitution. Rome l'excitait encore dans cette voie par un intérêt qui n'avait rien de commun ni avec la morale chrétienne, ni avec le bien de l'Église française.

Il était donc évident que tout l'édifice reposait sur des bases peu sûres; pour le consolider il aurait fallu la forte volonté de Richelieu, jointe aux principes de Henri IV, afin de mettre en pratique ce qu'on avait si sagement promis: union et oubli. C'était le projet des princes, tout porte à le croire; mais ainsi qu'il arrive après de longues discordes, on ne s'entend que quand les intérêts et les amours-propres sont éteints ou satisfaits.

Au lieu de marcher à ce but, on fit comme en 1789, on mit les amours-propres et les intérêts aux prises : les gens qui avaient livré Toulon aux Anglais se montraient aux Tuileries à côté de ceux qui l'avaient repris; ils osaient même

braver ceux-ci par des railleries. Le roi aurait dû les envoyer en surveillance à cent lieues de la capitale (1). Il était indispensable, pour gagner la confiance générale, d'exposer dans une proclamation solennelle les principes de son gouvernement, et d'assurer leur triomphe en dépit de toutes les petites résistances.

Loin de rassurer ainsi tous les droits acquis et de briser les prétentions, on fit tout le contraire; on caressa les prétentions et on froissa les intérêts. Déjà des bruits alarmants menaçaient tous les acquéreurs de biens nationaux de projets de restitution : des brochures, qu'on attribuait au chancelier Dambray, attaquaient la légalité des ventes et démontraient la justice de la restitution.

On gardait les soldats de l'empire parce qu'on les craignait, ou plutôt parce qu'on n'en avait pas d'autres; et en les passant en revue, on affectait de rehausser la gloire de leurs ennemis: des flots d'officiers émigrés ou vendéens réclamant avec quelque justice peut-être la confir

(1) On n'entend point dire ici que le roi dût être ingrat envers des serviteurs fidèles. Il devait placer et employer tous ceux qui étaient modérés et sages; il devait exiler de la cour les exaltés et les boute-feux qui ne prêchaient que réaction.

Rétablissement de

mation de leurs grades, et encombrant ainsi les cadres de l'armée et de l'état-major, venaient enlever tout espoir d'avancement aux officiers déjà beaucoup trop nombreux pour l'armée réduite des trois quarts. Aussi, plusieurs complots militaires avaient-ils éclaté dans l'armée par suite de son mécontentement.

Sous l'empire de pareilles circonstances, personne ne pouvait prendre confiance dans ce qui existait, parce qu'on n'y voyait de point d'appui nulle part, et qu'il n'y avait à la tête des affaires ni bras, ni volonté. Carnot, dont l'âpre caractère ne se démentit jamais, osa donner la mesure de la faiblesse de ce gouvernement en adressant au roi, puis en faisant publier un mémoire dans lequel, au milieu de beaucoup de vérités, il ne craignait pas de faire l'apologie des régicides, aussi bien que celle de la souveraineté du peuple. A côté de ce mémoire, l'émigration publiait des pamphlets non moins menaçants.

On n'avait pas attendu jusqu'alors à se conla censure. vaincre que l'établissement d'une tribune aux harangues, et la liberté de la presse, étaient de tristes moyens pour opérer la fusion des partis; car ces institutions seraient bien plus propres à diviser la nation la mieux unie, qu'à rallier les esprits divisés et irrités par la révolution la plus

violente dont l'histoire rappelle le souvenir. En effet, les intérêts et les amours-propres blessés par les discours de la tribune, comme par les polémiques virulentes et par les injures personnelles des journaux, ravivent toutes les passions, excitent les haines que le temps et l'oubli pourraient éteindre, et parviennent ainsi à créer des factions là même où il n'en existe pas. C'était bien effectivement dans ce but d'amortir tous les ressentiments des partis, et de les fondre tous dans un même intérêt pour son empire, et non dans l'intérêt de son pouvoir personnel, que Napoléon avait établi une censure, dont tout le tort fut d'être mal réglée dans ses dispositions. Aussi le ministère de Louis XVIII avait-il senti, dès son début, la nécessité de la rétablir sur tous les ouvrages au-dessous de vingt feuilles d'impression, et notamment sur les feuilles quotidiennes ou périodiques : ce fut une des premières lois soumises aux chambres nouvellement instituées; et comme elle semblait contraire aux promesses de la déclaration de Saint-Quen et à l'esprit de la charte modifiée, les libéraux, les républicains, les doctrinaires élevèrent d'incessantes clameurs on cria au des

potisme, à la déception (1).

(1) Dans le projet de charte émané du conseil du roi, on

A ces causes générales d'agitation il faut encore ajouter le mécontentement qu'avaient produit les traités onéreux souscrits avec l'étranger. Tout ce qui portait un cœur vraiment français, tout

avait porté que la presse serait libre, en se conformant aux lois qui seraient rendues pour en prévenir ou réprimer les abus; la commission législative avait disputé sur le mot prévenir, et avait obtenu sa radiation; les ministres jugèrent. plus tard que pour réprimer ces abus, il ne fallait pas attendre que le mal fût sans remède, et que tout son mauvais effet fût produit. Du reste, toutes les censures passées furent plus ou moins mal combinées. Celle de l'empire, confiée seulement à deux ou trois censeurs mercenaires, et s'étendant aux ouvrages de science les plus volumineux, était absurde; il fallait des années pour en arracher les manuscrits qui y étaient entassés : les ouvrages en un volume, même les revues périodiques et brochures en dix feuilles, n'auraient jamais dû être soumises qu'à de bonnes lois répressives bien clairement formulées. Quant à la presse quotidienne, dont l'action est telle qu'elle pourrait bouleverser l'État le mieux constitué, elle aurait pu être soumise à la censure préalable; mais au lieu de confier cette censure à des commis complaisants, il aurait fallu, comme je l'ai dit au chapitre VII, instituer un tribunal spécial de juges inamovibles, qui eût à la fois prononcé sur les délits commis par les ouvrages non censurés, et réglé la censure quotidienne. C'était le seul mode admissible en France, où la presse est devenue une puissance assez redoutable pour mériter des juges particuliers, impartiaux par position, et capables d'en apprécier le bien comme le mal.

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