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ce qui avait un reste d'orgueil national et de patriotisme, s'indignait de la facilité avec laquelle le comte d'Artois avait signé l'ordre de remettre cent places fortes, occupées encore par les troupes impériales, avant même d'avoir stipulé aucune des conditions de la paix. Les traités de Paris, tracés à la pointe de l'épée avec une rigueur, justifiable sans doute comme représailles, mais imprudente peut-être dans l'intérêt même de quelques-unes des puissances qui les imposaient, ces traités, dis-je, avaient laissé un profond levain dans le coeur de tous les partisans de l'empire et de la révolution. Chacun se persuadait, à tort ou à raison, que les Bourbons eussent pu conserver du moins une partie de la Belgique, et la ligne du Rhin jusqu'à Coblentz, ainsi que la Savoie, s'ils n'eussent pas été aussi pressés de siéger aux Tuileries. Nous n'avons pas à discuter ici sur la validité de ces reproches, ni sur la possibilité qu'il y aurait eu de la part des ministres de Louis XVIII à obtenir des conditions moins dures; nous constatons seulement l'effet moral que leur empressement avait produit.

Le résultat de tant de conflits ne pouvait se faire attendre longtemps. Un discours absurde du ministre Ferrand porta l'irritation des esprits au comble, en classant à la tribune tous les Français en deux seules catégories: ceux qui avaient

Débats sur

venus

de Vienne.

suivi la ligne droite, c'est-à-dire, qui avaient combattu avec les émigrés ou dans la Vendée; et ceux qui avaient suivi la ligne courbe, ou qui avaient admis la révolution et l'empire: étrange apostrophe à la nation entière, et singulier moyen d'appuyer un projet de loi tendant à restituer tous les biens d'émigrés non vendus. Dès lors les partis se montrèrent de jour en jour plus hostiles; un choc prochain ne semblait pas douteux, et ce choc pouvait rendre Napoléon encore une fois l'arbitre des destinées de la France.

Si l'état des affaires dans ce pays était de na▾ au congrès ture à lui inspirer l'espoir et le désir d'y revenir, il n'y était pas moins excité par les avis de ce qui se passait au congrès de Vienne, où le partage de ses dépouilles avait amené de grands dissentiments. Déjà l'Autriche, la France et l'Angleterre s'étaient liées par des traités éventuels pour garantir la Saxe contre les prétentions de la Prusse, soutenues par la Russie, en sorte que les souverains de ces deux pays, peu satisfaits, parlaient de retourner dans leurs capitales qui réclamaient vivement leur présence; leur départ était, dit-on, fixé au 5 mars.

En échange de l'appui que les Bourbons promettaient à l'Autriche et à l'Angleterre, ils demandaient l'expulsion de Murat du trône de Naples,

pour y replacer la branche de leur famille qui y régnait jadis; démarche fort naturelle au fond, puisque c'était un moyen de ramener la péninsule dans l'intérêt français. Du reste, le cœur vénal et intéressé de Talleyrand attachait un double prix à ce projet, car il lui importait, pour assurer la conservation de sa principauté de Bénévent et des revenus qui y étaient attachés, de la faire reconnaître par le gouvernement légitime des Deux-Siciles, à la restauration duquel il mettrait cette condition. Les Bourbons proposaient de se charger eux-mêmes du soin de cette expulsion de Murat, et des rassemblements de troupes avaient lieu à cet effet en Dauphiné.

Napoléon,

menacé de perdre l'ile d'Elbe,

se décide

D'un autre côté, Napoléon apprit à temps que les ministres de Louis XVIII proposaient au congrès de lui enlever l'île d'Elbe, pour l'exiler dans un autre hémisphère; c'était une violation à retourner gratuite du traité de Fontainebleau, puisque à cette époque on n'avait rien à lui reprocher qui pût exciter le courroux des souverains (1). Hors

(1) Le gouvernement français ne payait pas les deux millions alloués annuellement par le traité de Fontainebleau, et y mettait, dit-on, la condition que Bonaparte serait exilé hors d'Europe. Napoléon fut informé de ces faits par l'inpératrice Marie-Louise, et cette circonstance, réunie à la fausse nouvelle de la dissolution du congrès de Vienne, déeida son retour.

en France.

Débarque

ment

à Cannes.

d'état de résister à une telle tentative, à cause de l'exiguïté de ses moyens de défense, et décidé à ne pas en attendre l'effet, Napoléon conçut le projet audacieux de remonter sur le trône de France. Quoique ses forces ne consistassent qu'en un millier de soldats, elles étaient encore plus grandes que celles des Bourbons, car il avait pour allié l'honneur de la patrie qui parfois sommeille, mais ne périt jamais dans le cœur d'une nation guerrière. Plein de confiance en cet appui, il passa en revue la petite troupe qui allait le seconder dans une si hasardeuse entreprise. Ces soldats étaient mal équipés, mais leurs figures martiales dénotaient des âmes intrépides. Les préparatifs ne furent pas longs, car ces braves n'emportaient que leurs épées.

Favorisée par l'absence fortuite du commissaire anglais et des vaisseaux qui surveillaient l'île d'Elbe, sans mission de la bloquer, la petite flottille qui les portait, n'éprouva pas d'accidents; sa traversée dura trois jours. Napoléon revit, le 1er mars, la côte de France à Cannes, près de la même plage de Fréjus, où il avait pris terre, quinze ans auparavant, à son retour d'Égypte. La fortune semblait lui sourire comme alors, puisqu'il revenait sur cette terre pour relever ses drapeaux, et lui rendre son indépendance.

Le débarquement s'effectua sans obstacle, mais

en se retrouvant sur le sol français, Napoléon dut éprouver de vives émotions, car la nature même de sa tentative pouvait lui réserver une fin déplorable. Il semblait difficile de former un plan bien arrêté, faute de renseignements assez détaillés sur l'état des affaires dans le Midi, dont on n'avait connaissance que par les rapports d'agents passionnés; il dut donc se contenter de quelques partis pris selon les cas les plus probables.

Une première démarche, pour s'assurer d'Antibes, échoua complétement, parce que le général Corsin, qui y commandait, refusa de recevoir les troupes impériales. Ce premier échec semblait de mauvais augure, et d'autant plus fâcheux que c'était un capitaine de la garde qui avait pris sur lui d'aller tâter la place sans en avoir reçu l'ordre. D'un autre côté, Toulon et Marseille n'étaient pas trop bien disposées. Toutefois, comme il importait de frapper promptement, Napoléon ne fut pas longtemps embarrassé sur la route à tenir, car un point d'appui dans l'intérieur lui était indispensable, et Grenoble se trouvait la place forte la plus voisine. Il marcha donc sur cette ville aussi vite que possible, parce que de son occupation dépendait le succès de l'entreprise. La mince colonne qu'il

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