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que pour agir vivement sur l'esprit impressionnable des Français, il fallait se garder de se traîner dans la routine usée des assemblées dont le pays avait été dégoûté sous toutes les dénominations possibles, depuis celle des notables jusqu'au sénat factieux qui l'avait détrôné, Napoléon conçut la pensée de réunir toute la masse des électeurs, non dans leurs départements, pour y élire des députés, mais à Paris, pour y former, sous le titre solennel d'assemblée du champ de Mai, une véritable réunion de toutes les notabilités nationales, qui nommerait des commissaires pour aviser avec lui à la reconstruction de l'État sur des bases désormais inébranlables. Cette réunion auguste, qui devait rappeler l'époque où les Francs élevaient eux-mêmes leurs rois sur le pavois, rappelait aussi la première fédération de 1790, qui, pour avoir été suivie de sanglantes. catastrophes, n'en fut pas moins une des cérémonies les plus imposantes dont l'histoire retrace le souvenir. Cette assemblée du champ de Mai charmerait par d'anciens et illustres souvenirs; elle offrirait, selon lui, un contraste frappant avec la manière dont les Bourbons avaient imposé une charte aux Français, et blessé la fierté du parti constitutionnel, tandis que l'Empereur s'efforçait de flatter la nation en affectant de rendre hommage à ses droits et à ses notables,

Ney se déclare pour

avec lesquels il allait conférer sur les institutions nouvelles qu'il s'agissait de donner à l'empire, pour assurer sa félicité intérieure, consolider sa gloire, et mettre ses institutions à l'abri des factions.

Napoléon ne se faisait pas entièrement illusion sur le danger qui pouvait résulter un jour d'un pareil précédent, et sur les embarras qui en retomberaient sur ses successeurs, auxquels il lèguerait toutes les vicissitudes d'une monarchie élective; mais n'ayant pour lui que le principe électif, il lui importait d'en tirer tout le parti possible contre la légitimité de ses ennemis et contre les folles prétentions des Jacobins. Du reste, il entendait bien, avec le temps, rendre toute la force possible au principe de succession héréditaire; car ce principe, formant de fait la base du nouveau droit public, il entrerait dans ses devoirs d'en assurer le maintien.

Précédé par ces décrets mémorables, Napoléon l'Empereur, continua à s'avancer sur Châlons, où il fut joint par les troupes que Ney avait assemblées d'abord avec le projet de le combattre. Ce maréchal n'était pas homme-d'état, et toute sa religion politique consistait à ne pas faire de guerre civile pour des intérêts privés. Ce fut le motif qui le guida à Fontainebleau, lorsqu'il contribua à provoquer la première abdication. « Tout pour la

France, rien pour un homme; » telle était sa devise; dogme très-respectable en apparence, mais qui, poussé trop loin, peut faire commettre de graves fautes, et mener jusqu'à l'oubli des devoirs les plus sacrés.

Au bruit du retour de l'Empereur, Ney ne voit d'abord que les torts qu'il les torts qu'il a eus envers lui à Fontainebleau, et les dangers de la guerre civile dont ce retour menace la patrie; il accepte de bonne foi la mission de le repousser par les armes, il s'exhale même en menaces imprudentes et inconvenantes contre son ancien chef. Mais convaincu bientôt, par son voyage en Bourgogne et en Franche-Comté, de l'unanimité des sentiments du peuple et de ses propres soldats, qui arborent les couleurs nationales en sa présence, et entraîné deux officiers qu'on lui envoya secrètement de Lyon pour lui garantir l'oubli du passé, le maréchal se repent alors de sa première résolution, et tremble de donner le signal de cette guerre civile qu'il déteste.

par

Placé dans la même alternative que Marlborough entre Jacques II et Guillaume, il n'hésita point à se jeter dans les rangs qu'il avait illustrés par tant de beaux faits d'armés. Il le fit par entraînement, et céda à l'idée dont il était dominé, sans réfléchir qu'il blessait des convenances sacrées, qu'il lui eût été si facile de ménager en se

Le camp de Melun en fait

autant.

Paris.

retirant à Besançon jusqu'à l'entrée de Napoléon dans la capitale.

Le contraste qu'offrit sa proclamation de Lonsle-Saulnier avec ses promesses à Louis XVIII, restera une tache malheureuse dans l'histoire de sa glorieuse carrière, parce qu'il donne une fausse idée de son caractère, en offrant toutes les apparences d'une félonie préméditée dont il était incapable.

Après sa jonction, rien ne pouvait plus arrêter l'heureux conquérant, qui poursuivit sa marche Entrée à triomphale à la tête de dix mille hommes. Il ne restait à ses adversaires que la ressource d'un camp assemblé à la hâte à Melun; mais les soldats de ce camp, frères de ceux de Grenoble, de Lyon et de Châlons, étaient plus disposés à courir au-devant de leurs aigles qu'à les combattre.

Stupéfait de la rapidité de ses progrès, le gouvernement royal ne savait où donner de la tête; on aurait peine à se peindre l'agitation et la confusion qui régnaient au palais des Tuileries comme dans Paris. Louis XVIII seul avait conservé ce calme et cette résignation qui ne l'avaient jamais abandonné. Cédant néanmoins aux exigences de tout son entourage, il se laissait entraîner aux résolutions les plus opposées. D'un côté, il se jetait dans les bras des publicistes doctrinaires, et confiait à Benjamin Cons

tant le soin de rédiger des proclamations qui devaient lui gagner la confiance et l'amour des Français. Il se plaçait sous l'égide des gardes nationales et des partisans de révolutions, tandis que de l'autre, il faisait un appel à tous les loyaux royalistes et à la fidélité des militaires, qu'on avait si cruellement blessés. Fouché même fut un moment sur le point d'être mandé au palais et consulté, puis on se décida à le faire arrêter; mais le rusé sycophante décampa à temps de son hôtel, et gagna, par un jardin, celui de la reine Hortense, où il trouva un refuge.

Quelques changements de ministères; le soin de la police confié à Bourienne, qui de secrétaire intime de Napoléon et de son ami d'enfance, était devenu son ennemi déclaré; des caresses et des promesses à tous les partis; des appels aux gardes nationaux et aux volontaires royaux ; telles étaient les tristes mesures sur lesquelles MM. de Blacas, Ferrand et Dambray croyaient pouvoir compter pour chasser ou prendre le vainqueur de tant de peuples.

Les chambres, qui avaient été convoquées à la hâte, n'arrivèrent que pour donner au monde le spectacle du néant des assemblées délibérantes en présence d'un danger réel, et prouver à l'Europe que le temps où les sénateurs attendaient la mort sur leurs chaises curules était

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