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passé pour toujours. Du reste, cette réunion n'eut d'autres résultats que de procurer à quelques orateurs le plaisir de répéter les déclamations insérées par Benjamin Constant dans le Journal des Débats contre le despotisme impérial, de fournir aux ministres un prétexte pour avouer qu'on avait commis des fautes, enfin, de donner au roi l'occasion de se présenter solennellement aux chambres avec son frère et ses neveux, afin d'y prêter à la charte un serment de fidélité qui eût été mieux placé à l'époque de sa promulgation; serment qui, de la part du comte d'Artois, fut d'ailleurs toujours soupçonné d'être peu sincère. Deux jours après cette sentimentale mais tardive homélie, les troupes du camp de Melun venaient en masse se réunir à celles de l'Empereur, qui faisait le lendemain, 20 mars, son entrée aux Tuileries. Les Bourbons n'eurent que le temps de se sauver en Belgique; le duc d'Angoulème seul guerroya quelques jours dans le Midi.

Jamais entreprise plus téméraire en apparence ne coûta moins de peine à exécuter. On a prétendu, pour l'expliquer, qu'elle était conforme à l'opinion générale, qui rend tout facile quand on marche avec elle: si le principe est vrai, l'application en était pour le moins douteuse; car si l'on réfléchit à l'état de l'opinion au moment de la première

abdication de Napoléon, il est permis de croire que la France était fort divisée dans ses sentiments pour lui, et que le nombre de ses ennemis égalait bien celui de ses partisans : à la vérité, ceux-ci se composaient de la partie la plus énergique de la nation. Du reste, s'il est constant que l'opinion générale soit le plus puissant des leviers et des appuis, il faut bien reconnaître aussi qu'elle n'est pas moins mobile de sa nature que difficile à constater, et qu'il vaut bien mieux encore s'en rendre l'arbitre et la diriger soimême, que de se laisser traîner en esclave à sa suite; enfin, s'il est des temps où il est prudent de subir ses exigences, il est bon de s'en rendre maître plus tard.

remonte

sur

le trône.

Quoi qu'il en soit, cette étonnante révolution Napoléon fut terminée en vingt jours, sans avoir coûté une seule goutte de sang; la France avait changé d'aspect, la nation rendue à elle-même reprit de la fierté : elle était libre du joug imposé par l'étranger, puisqu'elle venait de faire le plus grand acte de spontanéité dont un peuple soit susceptible. La grandeur de l'entreprise effaçait le souvenir des revers; Napoléon était de nouveau l'homme de son choix.

de son

En attendant les institutions définitives que Composition l'Empereur promettait au pays, son premier soin ministère. fut naturellement d'organiser une administra

tion temporaire, et de mettre des hommes capables à la tête des divers ministères. Celui de

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la guerre fut donné à Davoust, la marine fut rendue à Descrès, les finances à Gaudin : le portefeuille des affaires étrangères fut aussi remis à Caulaincourt, dont les dispositions pacifiques étaient connues des alliés; Cambacérès accepta les sceaux après des instances réitérées ; Fouché prit le ministère de la police, qui était son élément. Enfin Napoléon confia celui de l'intérieur à ce fier républicain Carnot, qui avait refusé de lui décerner l'empire en 1804, et qui accepta le titre de comte de ce même empire en 1815.

Le choix de ces deux vieux adeptes du jacobinisme était à la fois un gage que l'Empereur comptait donner au public contre les écarts de ce que l'on nommait son despotisme, et un moyen de lier à sa défense cette portion énergique du peuple dont ils étaient comme le drapeau. Il connaissait mieux que personne la portée du génie militaire de Carnot, qui, après avoir par instinct ordonné quelques opérations passables en 1793 et 1794, en ordonna de trèsmauvaises en 1796. Mais il avait une volonté énergique et des utopies populaires; il pouvait être fort utile au ministère de l'intérieur, auquel appartenait la mission d'exciter les masses pour la défense nationale et de les organiser à cet

effet. Son caractère, quoique trop prôné, était empreint d'une sorte de probité et de droiture qui avait survécu aux orages révolutionnaires; ce caractère, joint aux talents qu'on lui supposait pour la défense du pays, en avait fait un nouveau Caton aux yeux de la multitude; on pensait, et cela était vrai, qu'il ne serait jamais un agent servile des volontés impériales; mais on ne savait pas non plus tout le bien que sa roideur et son penchant à l'opposition pouvaient empêcher.

Quant à Fouché, son caractère prononcé pour l'intrigue est assez connu pour que je me dispense de m'étendre sur son compte. Cet homme, qui avait l'esprit vaste, mais souvent faux, prenait la ruse, la rouerie, pour le véritable génie des affaires sa grande expérience, en lui démontrant le vide des utopies démagogiques, n'avait pas néanmoins réussi à déraciner ses idées doctrinaires de 1791. Il voulait de la force dans les mesures administratives du gouvernement, sans comprendre qu'il en faut, avant tout, dans les institutions.

Napoléon connaissait trop bien Fouché pour se fier à lui; mais si celui-ci avait quelque ressentiment de l'honorable exil que l'Empereur lui avait imposé en 1810, il avait aussi à redouter les Bourbons, qui voulurent le faire arrêter

Position

envers

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quatre jours avant son entrée à Paris, et qui
avaient de bien plus grands griefs contre lui.
Un homme de cette trempe, qui n'était resté
étranger à aucun complot depuis 1792, qui les
avait ourdis, protégés ou déjoués, ne pouvait
rester les bras croisés dans le grand conflit qui
se préparait; on devait se résoudre à l'utiliser
en flattant son ambition, ou à le mettre hors
d'état de nuire. L'enfermer à Vincennes ou l'exi-
ler sans jugement, eût causé trop de scandale
dans un moment où l'on criait tant à l'arbitraire;
Napoléon préféra donc l'employer à tout risque,
et paya cher cette faute. Les nombreux et auda-
cieux clients qui se groupaient autour de ces
deux ex-conventionnels, ceux qui se rangeaient
sous les bannières des Lafayette, des Lanjui-
nais, des Benjamin Constant, ne signalaient que
trop les rudes assauts que le nouveau chef du
gouvernement aurait à soutenir s'il ne les liait
pas à sa cause: l'expérience n'avait pas encore
appris qu'ils étaient non moins dangereux comme
amis que comme ennemis.

Ayant ainsi pourvu à la formation de son conl'Europe. seil, Napoléon sentit qu'il était urgent de tourner ses regards sur l'Europe : le grand capitaine avait refusé la paix qu'on lui offrait à Châtillon avec les limites de 1792, parce qu'il se trouvait alors sur le trône de France, et qu'elle le faisait

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