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CHAPITRE IV

[INSURRECTION DE PARIS.

27 JUILLET.-Le peuple des faubourgs et des ateliers se répand dans les rues de Paris. Dispositions de la foule.- La police fait saisir les presses des journaux.-Les propriétaires du Temps et du National résistent au nom de la loi.-Des mandats d'amener sont lancés contre les journalistes signataires de la protestation. - Ordre anonyme à la garde nationale de se réunir.- Le maréchal Marmont prend le commandement de la division de Paris.- Dénombrement de l'armée de Paris.- Les Députés se réunissent chez M. Casimir Périer. Ils décident qu'une protestation sera rédigée.-Dispositions militaires du maréchal Marmont.-Accord entre la bourgeoisie et le peuple; premières barricades; apparition du drapeau tricolore.- 28 JUILLET. - L'insurrection est armée et menaçante. Le combat s'engage contre des postes isolés. -Les élèves de l'École polytechnique se mettent à la tête des combattants. Paris est mis en état de siége.- Plan d'opérations du maréchal Marmont. -Il fait occuper par des colonnes les grandes lignes stratégiques.- Le combat devient général.- Les troupes sont partout forcées de se replier sur les Tuileries.- Conduite du peuple de Paris dans cette journée.- Réunion des Députés chez M. Audry de Puyraveau.-lls envoient une députation près du maréchal Marmont.- Perplexités du maréchal.-Il refuse de suspendre les hostilités.-Imperturbable confiance de M. de Polignac.-Quelques chefs du parti libéral ont une conférence chez M. Guizot; ils persistent dans la résistance légale. Réunion des Députés chez M. Bérard; ils adoptent la protestation. Fausse proclamation d'un gouvernement provisoire. - Nouvelle réunion des Députés chez M. Audry de Puyraveau; ils ajournent toute résolution. Inaction du préfet de la Seine et du préfet de police. Incurie du ministère.-Sécurité du Roi à Saint-Cloud.-Madame la duchesse de Berri forme le projet de se rendre à Paris.- Le Roi s'oppose à l'exécution de ce projet.

Le mardi, 27 juillet, la plupart des journaux de l'opposition parurent à l'heure habituelle, portant en tête la protestation rédigée la veille. Ces feuilles avaient multiplié leur tirage. De nombreux numéros en étaient portés et distribués, par les rédacteurs eux-mêmes et par des

messagers improvisés, dans les lieux publics et dans les quartiers populeux. Dès le matin, les rues présentaient une animation inaccoutumée. Soit que les chefs d'industrie eussent obéi aux conseils de la colère, soit qu'ils eussent été guidés par une inquiétude bien naturelle, soit que les ouvriers eux-mêmes n'eussent pas voulu se rendre au travail, la plupart des ateliers ne s'ouvrirent pas. Un chômage général versa sur le pavé cette immense population pour laquelle toute agitation de la place publique est un spectacle, toute émeute une distraction, et qui aime, en ses jours d'oisiveté, à taquiner l'autorité.

Ces ouvriers, les uns rangés et laborieux, d'autres, plus nombreux peut-être, amateurs de tapage et de fortes émotions, se promenaient aux cris de Vive la Charte! A bas les Ordonnances! Ce n'étaient là, dans leur bouche, que des mots sans valeur réelle, un prétexte à des manifestations tumultueuses. La Charte, ils ne la connaissaient pas; la plupart n'en avaient jamais lu et eussent été incapables d'en lire la première ligne. Les Ordonnances, ils n'en avaient nul souci; elles ne changeaient rien à leur propre situation. Ils étaient plus sincères quand ils criaient A bas les ministres! parce qu'ils avaient horreur des jésuites, qu'ils nourrissaient des sentiments haineux contre la noblesse de l'émigration, et que, pour eux, les ministres personnifiaient au pouvoir les jésuites et la noblesse émigrée. Mais il n'entrait alors dans la pensée d'aucun d'eux qu'il pût sortir de leur agglomération ou de leurs clameurs une menace contre le trône.

Le peuple proprement dit, c'est-à-dire le peuple des ateliers, est toujours un élément essentiel dans les révolutions. Son action y est puissante, décisive; elle y est rarement réfléchie. Le nombre, qui donne la force, ne donne pas l'intelligence. Les multitudes obéissent à

des instincts, à des entraînements, et non à la raison. Une fois jetées dans les voies de la révolution, si les masses conservent la spontanéité, la direction de leurs mouvements, elles se précipitent en aveugles, d'excès en excès, de crimes en crimes, sur la pente de la désorganisation sociale. Si, au contraire, elles se laissent contenir et guider par les classes éclairées, elles ne tardent pas à se retrouver, suivant la loi de toute société, en présence de la nécessité du travail et de la résignation. Alors elles se tiennent pour frustrées de toutes les améliorations à leur sort qu'elles s'étaient promises et qu'elles n'ont pas obtenues. Voilà pourquoi toute révolution, quelque légitime qu'elle puisse être, est un malheur dans le présent, et un danger pour l'avenir des nations.

Aucune idée d'une prochaine bataille n'existait parmi le peuple de Paris, dans la matinée du 27 juillet. Mais ce que nul n'avait prémédité, tous, au premier signal, devaient se réunir pour l'accomplir. On sait, en effet, avec quelle rapidité les émotions se communiquent dans les foules, et comment la moindre cause suffit à y jeter l'exaltation, à y faire succéder au rire la colère, au calme la tempête. La police, dont on ne s'explique pas l'incurie en de telles circonstances, paraissait à peine s'occuper de la rue. Quelques patrouilles parcouraient les quartiers où l'affluence était le plus considérable. Les rassemblements s'ouvraient devant elles, et se reformaient après leur passage.

Un incident étrange vint ajouter à l'effervescence des têtes. Après la publication de la protestation par les journaux non autorisés, le Préfet de police avait prescrit de saisir leurs presses et de les mettre hors de service. Cet ordre, donné en vertu de pouvoirs dictatoriaux, aurait dû, ce semble, être exécuté dictatorialement, avec vigueur

et célérité. Il n'en fut rien. Des agents de police escortés de gendarmes se présentèrent à la porte des ateliers, et en requirent l'ouverture dans la forme légale. Quelques imprimeurs obéirent; d'autres résistèrent. Les propriétaires du Temps, dont les ateliers étaient situés rue de Richelieu, non loin du boulevard, surent donner à leur résistance un caractère remarquable.

La mise en scène fut ingénieuse et saisissante. L'imprimerie était au rez-de-chaussée, au fond d'une cour. Elle fut fermée. Tout le personnel du journal fut disposé sur deux lignes, qui s'étendaient de la porte de l'imprimerie à la porte cochère ouverte sur la rue. Devant cet appareil théâtral, dont on se disait le motif, les passants s'arrêtaient, désireux d'assister au dénouement. La rue ne tarda pas à être envahie par le flot des curieux qui se pressaient au loin. Comme pour exciter plus vivement encore l'attention, des gendarmes à cheval avaient précédé le commissaire de police, et s'étaient rangés devant l'hôtel. MM. Coste et Baude, propriétaires du journal, reçurent l'agent de l'autorité à la porte extérieure. Ce fonctionnaire exhiba l'ordre dont il était porteur. « Vous me sommez, répondit M. Baude, de par les Ordonnances, d'avoir à vous ouvrir mes ateliers; moi, je vous somme, au nom de la loi, de respecter ma propriété.» N'ayant pu obtenir qu'on lui livrât volontairement l'entrée de l'imprimerie, le commissaire dut aviser à se la faire ouvrir. Un serrurier est appelé. Au moment où il allait obéir, M. Baude, un Code à la main, lui lit la loi qui punit des travaux forcés le vol avec effraction; puis, prenant un carnet, il commence à recueillir les noms des témoins. Étonné effrayé de la responsabilité dont on le menace, déterminé par l'attitude de la foule qui l'encourage à refuser son ministère, l'honnête ouvrier se retire, à la grande joie

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