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ne lui avaient pas laissé la plus légère inquiétude. Si des hommes dont la parole n'était pas sans valeur, le général de Girardin et le général Vincent, étaient accourus pour le supplier de céder au vœu de la nation, et de ne pas persévérer dans une voie pleine de périls, le Roi se persuadait qu'ils s'exagéraient le mal, ou plutôt il pensait que plus le mal serait grand et rapide, plus vite la France se réfugierait en lui pour lui demander de la sauver. « Les Parisiens, disait-il, se sont jetés dans l'anarchie ; l'anarchie me les ramènera repentants et soumis.» Tout en déplorant les malheurs de la guerre civile, Charles X, fort de la pureté de ses intentions, ne se tenait pas pour responsable des égarements de son peuple. Il était affligé, mais tranquille.

Il en était autrement de ses serviteurs. Si, dans la crainte de déplaire au Roi, ils affectaient de ne paraître devant lui qu'avec un visage rassuré, hors de sa présence, ils ne dissimulaient ni leurs alarmes ni leurs murmures. A part ce qui touchait au service du Roi, le désordre et la désolation étaient au château; et ceux qui, peut-être, avaient proclamé le plus haut la nécessité du coup d'État, n'étaient pas ceux qui accusaient maintenant avec le moins d'amertume le fatal aveuglement des ministres.

Lorsque le lieutenant-colonel Komiérowski, porteur de la lettre du duc de Raguse, était arrivé à Saint-Cloud, il avait été introduit près de Charles X. Cet officier, suivant les instructions du maréchal, ne déguisa rien de la vérité. I exposa au Roi que ce n'était pas la populace, mais la population entière qui s'était soulevée; que la bourgeoisie en masse avait pris part au mouvement; que la troupe de ligne se renfermait dans une neutralité voisine de la complicité; que, dans un tel état de choses, il devenait urgent de calmer l'exaspération des esprits. Le Roi, sans paraître

ému, sans lui adresser une seule observation, lui ordonna d'aller attendre sa réponse. L'officier attendit, et l'attente fut longue. En vain, pour se conformer à la recommandation de diligence qui lui avait été faite, multiplia-t-il les instances; il ne put faire fléchir la règle qui défendait la porte du cabinet du Roi. Il fut rappelé enfin, et trouva près du Roi M. le Dauphin et Mme la duchesse de Berri. Le Roi, pour toute réponse, le chargea verbalement de dire au maréchal « de concentrer ses forces, de réunir ses troupes sur la place Louis XV et sur la place du Carrousel, et de n'agir qu'avec des masses.» Quant à la proposition des députés, qui faisait l'objet principal du message, il n'en fut pas dit un mot.

Cette persistance du Roi avait quelque chose d'un entêtement sénile; et il était encouragé à ne pas s'en départir par les membres de sa famille. M. le duc d'Angoulême était contraire à toute concession, ce qui lui rendait facile l'obéissance silencieuse dans laquelle il se renfermait. Madame la duchesse de Berri s'animait à la lutte et s'indignait à la pensée d'abaisser la Couronne devant le peuple armé. Cette jeune princesse s'effrayait moins de l'insurrection que des moyens par lesquels on engageait le Roi à en détourner les effets. Aussi, connaissant ses sentiments et son courage, quelques-uns de ses amis avaient-ils formé un projet qui ne manquait ni d'audace ni de grandeur.

Suivant ce projet, la princesse se serait rendue à Paris avec son fils; elle serait venue se jeter résolûment au milieu des Parisiens, leur présenter et placer sous leur protection le royal enfant, parcourir les boulevards, s'ouvrir à travers la foule un passage jusqu'aux Tuileries, où elle déposerait, à l'ombre du trône et sous la sauvegarde de l'amour des Français, le dernier rejeton de tant de rois. Les auteurs de ce projet ne doutaient pas que la vue de cette

femme, de cette princesse, de cette mère, confiant à la générosité du peuple sa personne, sa vie, la vie de son enfant, ne produisît une irrésistible impression et que la foule remuée, attendrie, n'accordât à l'héroïsme maternel ce qu'elle refusait à la force des armes. Toutefois, tout n'était pas poésie et témérité dans ce plan; on y avait fait aussi la part de la prudence. Madame la duchesse de Berri devait être accompagnée d'un certain nombre de serviteurs fidèles, qui auraient eu pour mission, en passant par Neuilly, d'enlever le duc d'Orléans et de le déterminer, de gré ou de force, à marcher aux côtés de son auguste nièce. Par ce moyen, on plaçait l'entreprise sous le patronage apparent du duc d'Orléans, en même temps · qu'on étendait sur ce prince, aux yeux de la France abusée, la complicité des Ordonnances.

Ce projet devait s'exécuter à l'insu du Roi. Charles X en eut néanmoins connaissance; il s'y opposa en des termes qui ne permettaient pas la réplique. Ainsi furent probablement épargnés à la famille royale de plus cruelles épreuves, et à la France de plus douloureux regrets. Le peuple est mobile dans ses impressions, il est accessible aux généreux sentiments; l'audace lui impose, la grandeur le subjugue; tout cela est vrai. Mais sa mobilité même fait que parfois le plus futile incident efface tout à coup en lui l'effet des plus fortes émotions, et qu'il passe, en quelques instants, du respect à l'outrage, de l'attendrissement à la fureur. Il est probable que cette entreprise n'aurait abouti qu'à livrer aux mains de l'insurrection des otages, peut-être des victimes.

On a cité, à cette occasion, l'exemple de Marie-Thérèse d'Autriche. Le rapprochement manque de justesse. Quand Marie-Thérèse présenta ses enfants non au peuple insurgé, mais aux États de Hongrie, elle leur dit : « Abandonnée

par mes amis, dépouillée par mes proches parents, je n'ai de ressource que dans votre fidélité et dans ma constance. Je remets entre vos mains la fille et le fils de vos rois, qui attendent de vous leur salut; » et les Hongrois, se levant à cet appel, rendirent à Marie-Thérèse son trône et son empire. Mais qu'aurait eu à dire aux Parisiens madame la duchesse de Berri? Et pense-t-on que la vue d'une mère héroïque et d'un enfant innocent les eût déterminés à se laisser dépouiller de leurs droits par l'aïeul, afin de ne pas exposer le petit-fils à perdre son trône? Le peuple ne raisonne pas, dit-on; il aurait été entraîné. Mais la bourgeoisie combattait avec le peuple, et la bourgeoisie raisonne. Elle était assez éclairée sur ses intérêts et assez maîtresse d'elle-même pour ne pas laisser déplacer, par une diversion dramatique, la question posée entre la Couronne et la nation.

La révélation de cette intrigue avait un instant préoccupé le Roi. Mais il ne paraît pas qu'aucune nouvelle postérieure soit venue, ce jour-là, troubler sa sécurité, et la soirée se passa au château dans les distractions accoutumées. Seulement ordre fut donné aux gardes du corps de se tenir prêts à monter à cheval, et à l'école de Saint-Cyr de se transporter à Saint-Cloud avec son artillerie.

CHAPITRE V

REVOLUTION DE JUILLET.

29 JUILLET.- Aspect de Paris.- Situation de l'armée. L'insurrection prend l'offensive.-Le général Dubourg.-La révolution s'installe à l'Hôtel-de-Ville. -MM. de Sémonville et d'Argout vont demander au maréchal Marmont d'arrêter l'effusion du sang. Ils pressent le maréchal de mettre les ministres en arrestation.-Ils partent pour Saint-Cloud.-Défection des 53e et 5e régiments de ligne.- Le peuple trouve le Louvre sans défense et s'en empare. -Panique des Suisses; déroute de l'armée; prise des Tuileries.-Retraite de l'armée sur Saint-Cloud. - Prise de la caserne de la rue de Babylone.- Dictature du général Dubourg. Le général Lafayette prend le commandement supérieur de la garde nationale.-Les députés nomment une Commission municipale.-Le général Gérard est nommé au commandement de la première division militaire.- La Commission municipale et le général Lafayette se rendent à l'Hôtel-de-Ville.- Premiers actes administratifs de la Commission municipale.

Quand se leva sur Paris le soleil du 29 juillet, la physionomie de la ville offrait un pénible contraste avec ce titre de métropole de la civilisation, des arts, du luxe et des plaisirs, dont elle était si fière. Ses boutiques, ses magasins partout fermés lui donnaient un aspect de sombre tristesse. Ses rues effondrées étaient coupées à chaque pas par des monceaux de pavés, auxquels se mêlaient des débris de voitures brisées, des meubles et des matériaux entassés. La nuit avait été employée tout entière encore à multiplier ces barricades et à les fortifier. Les réverbères avaient été brisés dès le 27; la ville n'avait été éclairée, durant les deux dernières nuits, que par les lampions que les citoyens plaçaient à leurs fenêtres et qui jetaient une tremblante lueur sur toute cette désolation. Les

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