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musées, des bibliothèques, des établissements publics. On distribua des bons de vivres aux combattants dénués de ressources, et de généreux citoyens s'empressèrent de mettre à cet effet des sommes considérables à la disposition de l'administration. On obvia à toute interruption de l'approvisionnement de Paris. Non content de réorganiser la garde nationale, qui se trouva sur pied comme par enchantement, on publia un ordre à tous les militaires de la garde royale et de la ligne de se rendre au camp provisoire établi à Vaugirard, leur promettant qu'ils y seraient traités en frères et y recevraient la ration et le logement.

Ainsi l'ordre commençait à renaître par l'accord général des citoyens. Grâce au zèle de la Commission et de ses agents, grâce surtout à l'admirable modération du peuple, le soir même de ce jour qui avait vu s'accomplir de si terribles événements, la sécurité de tous était complète. Il n'y avait plus de gouvernement, mais déjà l'on sentait partout la présence et la main d'une autorité tutélaire.

CHAPITRE VI

CHUTE DU MINISTÈRE POLIGNAC.

29 JUILLET.-Sécurité de Charles X.-M. le duc de Mortemart arrive à SaintCloud.- MM. de Sémonville et d'Argout y arrivent de leur côté. -Vives instances de M. de Sémonville pour obtenir le renvoi des ministres et le retrait des Ordonnances.- Le Roi paraît céder.- Le Dauphin est nommé commandant de l'armée en remplacement du duc de Raguse. - Délibération du Conseil des ministres.-M. de Guernon-Ranville s'oppose énergiquement à toute concession.- M. de Vitrolles à Saint-Cloud.- Ses négociations avec les députés libéraux.-Propositions qu'il est chargé de faire au Roi. Le Roi appelle M. de Mortemart à composer un cabinet.-Refus de M. de Mortemart vaincus par les instances du roi.-MM. de Vitrolles, de Sémonville et d'Argout vont annoncer à l'Hôtel de Ville que le Roi a renvoyé son ministère.Accueil qu'ils reçoivent de la Commission municipale.-M. d'Argout se rend seul à la réunion des Députés; il n'a pas plus de succès.-Première idée d'un changement de dynastie.- MM. d'Argout et de Vitrolles retournent à SaintCloud.- Obstacles opposés par le Roi et par le Dauphin au départ de M. de Mortemart pour Paris. Charles X donne enfin les signatures nécessaires à la constitution de son nouveau ministère.-M. de Mortemart part pour Paris; détours qu'il est obligé de faire.—Il apprend de M. Bérard que les députés se sont séparés, et que la cause de Charles X est perdue.

Les événements du 28 juillet n'avaient ni ébranlé les résolutions, ni altéré la sécurité de Charles X. Entretenu, par les notes de M. de Polignac ou par les rapports complaisants de quelques hommes de Cour, dans la pensée qu'il ne s'agissait que d'une émeute, le Roi n'accordait aucun crédit à ceux qui essayaient de lui ouvrir les yeux. Il était peu ému des lettres alarmantes du général en chef de son armée, dont il croyait les inquiétudes inspirées par

un bon sentiment, mais peu justifiées. Rien n'avait été changé dans les usages intérieurs du château. Et le soir, dans ce palais de Saint-Cloud, d'où l'on entendait les grondements du canon tonnant dans les rues de sa capitale, le Roi était assis à une table de whist, le Dauphin était absorbé dans les combinaisons d'une partie d'échecs. Peut-être cependant y aurait-il injustice à attribuer à une insouciance ou cruelle ou inintelligente la frivolité de ces distractions en un pareil moment. Peut-être Charles X et son fils avaient-ils surtout en vue, en montrant une si parfaite tranquillité d'esprit, de soutenir le courage de leurs amis. Peut-être se disaient-ils que la sérénité des chefs fait la constance de ceux qui obéissent, et qu'il n'est pas plus permis au prince de paraître troublé dans les grandes crises, qu'au capitaine de pâlir quand il voit son vaisseau poussé par la vague contre le roc où il va se briser.

Dans la soirée du 28, M. le duc de Mortemart était arrivé à Saint-Cloud. M. de Mortemart, ambassadeur du Roi près de l'empereur de Russie, était alors en congé, atteint d'une fièvre opiniâtre. Il se rendait aux eaux, lorsque la nouvelle de ce qui se passait à Paris le détermina à venir reprendre son service près du Roi, comme capitaine colonel des cent Suisses 1. En traversant Versailles, il avait été poursuivi par la population soulevée; une pierre avait blessé un officier placé près de lui dans sa voiture.

Quelque pressé qu'il fût d'entretenir le Roi, M. de Mortemart ne put parvenir jusqu'à lui que le 29 dans la matinée. Il lui peignit la situation- telle qu'il l'avait jugée. Il lui raconta ce qu'il avait vu et entendu, et le supplia de prendre des moyens prompts et décisifs pour raffermir

1 On désignait sous ce nom la compagnie des gardes-du-corps à pied, bien qu'elle fût entièrement composée de Français.

sa Couronne, car il la croyait fortement ébranlée. Le Roi, lui frappant sur l'épaule avec une affectueuse familiarité « Vous êtes un brave et loyal serviteur, lui dit-il, et je sais vous rendre justice. Mais vous êtes jeune ; vous êtes né trop tard pour apprendre par expérience ce que sont les révolutions, et comment elles procèdent. J'ai sur vous ce triste avantage, et je ne veux pas recommencer aujourd'hui ce qui s'est fait il y a quarante ans. Mon malheureux frère est monté en charrette. Je ne ferai pas comme lui; et s'il le faut, pour l'éviter, je monterai à cheval.»-« Je crains bien, Sire, que vous ne soyez bientôt obligé d'y monter. »-« Nous verrons, nous verrons, » répondit le Roi en le congédiant.

Peu d'instants après cette conversation, les voitures qui portaient MM. de Sémonville et d'Argout, M. de Polignac et ses collègues, franchissaient simultanément la grille du château. Le grand référendaire, surpris de rencontrer en cet endroit M. de Polignac, qu'il croyait encore à Paris, lui déclara qu'il ne lui disputerait pas l'honneur de faire rapporter les Ordonnances; mais il le pria de ne pas perdre de vue combien les moments étaient précieux, et combien il importait d'obtenir une prompte décision. M. de Sémonville était à peine entré dans les appartements de M. le duc de Luxembourg pour y attendre son audience, qu'un huissier vint lui annoncer que le Roi le faisait appeler. A la porte du cabinet du Roi, il trouva M. de Polignac, qui lui dit : « Vous savez, Monsieur, quel devoir vous croyez remplir en venant ici dans les circonstances où nous nous trouvons? J'ai dit au Roi que vous étiez là. Vous m'accusez; c'est à vous de parler le premier.» M. de Polignac ouvrit alors la porte, introduisit M. de Sémonville dans le cabinet, et le laissa seul en présence du Roi.

L'accueil que reçut le grand référendaire, et tout ce qui

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