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que la suspension forcée de toutes les affaires avait jetée dans les relations commerciales. La révolution survenant à la fin du mois, époque de nombreuses échéances, avait rendu les payements impossibles. De là, une multitude de protêts, un grand ébranlement du crédit, des catastrophes multipliées. Sur la demande du tribunal de commerce, la Commission rendit un décret qui prorogeait de dix jours les échéances des effets de commerce payables à Paris du 26 juillet au 15 août, et qui interdisait toute poursuite avant l'expiration de ce délai.

Une autre mesure, d'une utilité plus contestable, fut celle par laquelle la Commission, de concert avec M. de Lafayette, ordonna la formation de vingt régiments de garde nationale mobile. Ces régiments devaient être composés d'enrôlés volontaires, dont la solde fut fixée, pour chaque homme, à trente sous par jour. La Commission se proposait, par ce moyen, d'enlever à l'émeute et aux conseils de l'oisiveté et de la faim, une partie de la population que le chômage des ateliers laissait sans ressources. Mais ses calculs furent trompés. Bien peu profitèrent de ses offres, et ceux-là n'étaient ni les plus remuants, ni les plus dénués de moyens d'existence. L'arrêté tendait à grever lourdement le budget de la ville, sans débarrasser le pavé des oisifs dangereux. Il ne reçut qu'un commencement d'exécution, et fut rapporté le 8 août suivant.

La Commission s'occupa aussi d'assurer le fonctionnement des divers services administratifs. Elle nomma, avec le titre de Commissaires provisoires à la justice, M. Dupin, et sur son refus M. Dupont (de l'Eure); aux finances, M. le baron Louis; à la guerre, M. le général Gérard; à la marine, M. le vice-amiral de Rigny; aux affaires étrangères, M. Bignon; à l'instruction publique, M. Guizot.

M. Casimir Périer, nommé à l'intérieur, refusa, par un honorable scrupule, de remplir, au nom de la révolution, des fonctions qui lui avaient été destinées la veille par Charles X; il fut remplacé à ce département par M. le duc de Broglie. Ces choix, sortis de l'Hôtel de Ville, quelques heures après la visite du duc d'Orléans, sont éloquents. Ils montrent quel retour subit s'était opéré dans les esprits, et combien la révolution elle-même était pressée de donner des gages à l'ordre, en appelant à le rétablir des hommes dont la vie entière protestait contre toute pensée de pactiser avec la démagogie. Le trône était vacant encore; mais en voyant de tels ministres nommés par une ordonnance au bas de laquelle figuraient les noms de MM. Audry de Puyraveau et Mauguin, il n'était personne qui ne comprît que la monarchie se relevait.

Enfin la Commission nomma, dans le même esprit, les maires et adjoints des douze arrondissements de Paris. Tous ces fonctionnaires municipaux tenaient, dans les rangs de la bourgeoisie, une place distinguée par la fortune, par la considération ou par le talent.

- De son côté, M. de Lafayette adressa aux citoyens de Paris une proclamation. Le but évident du vieux général était de rentrer en grâce près des républicains, et de placer sous l'autorité de son nom la partie avouable du programme rédigé en conciliabule à l'Hôtel de Ville. Par une étrange usurpation de droits, le commandant de la garde nationale traçait impérieusement, dans cet acte, la marche qu'auraient à suivre les pouvoirs parlementaires, et déterminait les objets dont ils auraient à s'occuper. « Déjà, disait-il, sous le gouvernement qui vient de ces« ser, il était reconnu que, dans la session actuelle, les « demandes du rétablissement d'administrations éleca tives communales et départementales, la formation

« des gardes nationales de France sur les bases de la loi « de 91, l'extension de l'application du jury, les questions « relatives à la loi électorale, la liberté de l'enseignement, « la responsabilité des agents du pouvoir et le mode né« cessaire pour réaliser cette responsabilité, devaient « être les objets de discussions législatives préalables à « tout vote de subsides. A combien plus forte raison ces « garanties et toutes celles que la liberté et l'égalité peu« vent réclamer doivent-elles précéder la concession des « pouvoirs définitifs que la France jugerait à propos de « conférer. » Tout cela était dit officiellement, non-seulement aux gardes nationaux sous ses ordres, mais aux citoyens de Paris, par un général en fonction. On voit que si M. de Lafayette n'avait pas osé prendre le titre de dictateur, il n'avait pas renoncé à exercer une autorité despotique. La révolution de Juillet avait troublé la belle intelligence du noble vieillard, et il était resté persuadé qu'il lui appartenait de régenter à son gré le Roi, les ministres, les Chambres et le pays.

Mais les inconséquences de M. de Lafayette n'inquiétaient pas alors la population. Paris semblait, au contraire, renaître au travail et à la confiance. Les boutiques s'étaient rouvertes; les affaires avaient commencé à reprendre quelque mouvement; la circulation était rétablie, au moyen d'ouvertures pratiquées aux extrémités de chaque barricade. La ville, joyeuse et fière de sa victoire, oubliait les douleurs du combat pour se féliciter de sa glorieuse issue. D'abondantes offrandes venaient adoucir le sort des blessés, des veuves et des orphelins. La garde nationale veillait partout à la sûreté des personnes et des propriétés publiques et privées. La population sage s'en remettait avec espoir au nouveau chef de l'État, du soin de faire obstacle aux prétentions de l'Hôtel de Ville. Et tandis que

tout promettait à la France le retour prochain du calme, après de si terribles orages, celui dont les funestes erreurs avaient déchaîné la tempête, poursuivait vers l'exil sa lamentable odyssée.

Dans la nuit du 30 au 31, Charles X avait quitté SaintCloud se dirigeant sur Versailles. Comme il approchait de cette ville, il reçut avis que les habitants, informés de son dessein, avaient pris les armes et se préparaient à le repousser. Le Roi se détourna pour gagner Trianon, où il arriva à cinq heures du matin. Il entra triste et morne dans ce riant palais, si plein pour lui des doux souvenirs de sa jeunesse. Les ministres du 8 août n'avaient pas quitté le Roi. Après quelques heures d'isolement et de repos, Charles X les réunit et leur demanda leur avis sur le parti qu'il convenait de prendre. Le conseil demeura d'accord qu'il ne restait plus qu'à accepter franchement la guerre contre la révolution, et à en revenir au plan qu'avaient recommandé M. de Guernon-Ranville et le duc de Raguse. On croyait pouvoir compter sur les dix à douze mille hommes groupés autour de Saint-Cloud, sur les régiments éloignés de Paris, sur les populations du Midi et surtout sur la Vendée. Les ministres se persuadaient qu'avec les forces dont on disposait, il serait possible d'établir autour de Paris une espèce de blocus, de concentrer la révolution dans un étroit rayon et de l'y écraser. Le Roi parut souscrire à ce projet. Il dit à ses ministres qu'il s'en entendrait avec le Dauphin, et leur ordonna, en attendant l'arrivée du prince, de préparer les moyens d'exécution.

Mais le Dauphin faisait lui-même, en ce moment, la triste expérience de ce que la cause royale avait à espérer encore du dévouement de l'armée. Avant d'abandonner Saint-Cloud, il avait voulu visiter ses troupes dans leurs

cantonnements. A Sèvres, il apprend que la plupart des soldats du bataillon suisse qui occupait le village venaient de livrer leurs armes aux habitants, et que ce point n'était plus défendu. Le pont qui traverse la Seine, à la sortie du village, était gardé, sur la rive gauche, par deux compagnies d'infanterie et deux pièces de canon. De l'autre côté de la rivière se pressait un gros d'insurgés qui tiraient quelques coups de fusil, et qui paraissaient se préparer à forcer le passage. Le prince donne l'ordre de les refouler et de dégager la tête du pont. L'officier qui commande l'infanterie garde le silence, les soldats restent immobiles sur leurs armes. Bientôt il se produit dans les rangs une agitation séditieuse, et le Dauphin voit le détachement se disposer à passer en masse, sous ses yeux, à la cause du peuple. A ce spectacle, son sang s'allume, et la colère lui inspire un mouvement d'une mâle grandeur. Il lance son cheval au galop, se place à l'entrée du pont, et faisant face aux soldats : «A vos rangs! leur crie-t-il d'une voix à laquelle l'indignation donne une énergie inaccoutumée; et si vous voulez m'abandonner, que ce ne soit pas du moins comme des fuyards. « Le prince fait alors avancer un escadron de lanciers, qui balaie le pont par une charge vigoureuse; puis se retournant vers l'infanterie : « Maintenant, dit-il, voilà la route qui mène au déshonneur; elle est libre, vous pouvez partir. » Et il s'éloigne.

Quelques instants après, les deux compagnies et les deux pièces de canon étaient en route pour Paris, et les autres corps recevaient un ordre général de départ. C'en était fait pour Charles X. Il lui restait quelques milliers de défenseurs prêts à protéger sa personne mise en péril; il n'aurait plus trouvé un bataillon pour reprendre l'offensive. La garde royale n'était pas, à cet égard, dans de meilleures dispositions que le reste de l'armée. Fidèle en

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