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dans la forme, ne masquait pas ce qu'elle avait au fond d'exorbitant. Seulement, quand on a étudié avec quelque attention le caractère de Charles X, quand on sait à quel point il était jaloux des apparences mêmes de son autorité, on peut juger quel empire tyrannique exerçait sur lui l'idée qui le faisait ainsi descendre jusqu'à la prière.

Charles X obéissait à cette conviction : qu'il y allait du salut de la monarchie de ne pas laisser amoindrir l'apanage de sa couronne, et que son honneur n'était pas moins que ses droits engagé dans le débat. « Il ne laisserait jamais, disait-il, traîner sa couronne dans la boue. » D'autres fois, envisageant les chances extrêmes au-devant desquelles il se précipitait, il s'écriait : « Qu'après tout, il aimait mieux être un roi exilé qu'un roi avili ; » ou bien encore, « qu'il ne voulait pas faire comme son frère, et que, plutôt que de monter en charrette, il monterait à cheval. » Sous des formes diverses, c'est toujours la même pensée; et Charles X ne s'apercevait pas qu'en rapprochant 1830 de 1789, il retranchait de notre histoire quarante années qui avaient renouvelé le monde. Des hommes politiques, de graves écrivains sont tombés dans la même erreur. Ils ont rappelé l'exemple de Louis XVI, qui, de concession en concession, avait reculé jusqu'à l'échafaud. Un tel rapprochement ne résiste pas à l'examen. Il serait hors de propos de rechercher ici si des concessions faites en temps opportun, avec sagesse, mesure et fermeté, n'auraient pu sauver Louis XVI et la monarchie. Il suffira de faire remarquer qu'il n'y a aucune assimilation possible entre la situation de Louis XVI et celle de Charles X.

Louis XVI était aux prises avec une révolution qui voulait changer les conditions de la monarchie, et asseoir

sur des garanties nouvelles les droits de la nation largement étendus. Chaque conquête du pays sur les pouvoirs que Louis XVI tenait de ses aïeux tendait à transformer, en une société démocratique, une société jusqu'alors essentiellement aristocratique. Sur cette pente, et quand une fois la Couronne se fut laissé arracher quelque chose de ses droits traditionnels, il a pu arriver que les exigences ne connussent plus de bornes. C'est ainsi que, s'enivrant de ses triomphes, la Révolution prit sa course furieuse, et ne s'arrêta que noyée dans le sang, après avoir fait tomber la tête du Roi sous la main du bour

reau.

Le démêlé entre Charles X et le pouvoir parlementaire ne présentait, avec ce terrible passé, aucune analogie. Si Charles X était, comme Louis XVI, roi par le mérite de sa naissance, il ne régnait qu'en vertu de la Charte. Ses droits n'avaient plus leurs limites comme leur origine dans les traditions de ses ancêtres; ils étaient rigoureusement circonscrits et définis par les articles de la Charte. La majorité n'avait point essayé de le contraindre à en abandonner ni la totalité, ni aucune partie. Elle lui demandait seulement de s'y renfermer, de ne pas chercher à récupérer sur la nation les conquêtes que la nation avait faites au prix de cruels déchirements, et que la Charte avait consacrées. Céder, dans ces termes, ce n'était pas faire des concessions; c'était accomplir son devoir, et rester fidèle à la foi jurée.

Charles X, qui ne voulait pas imiter son frère, est cependant, comme lui, tombé du trône. Il y eut toutefois, entre ces deux augustes infortunes, cette différence : que Louis XVI est monté en charrette pour n'avoir pas su ou n'avoir pas pu se défendre, et que Charles X a pris la route de l'exil pour avoir obstinément et injustement attaqué.

Il semblerait, du reste, qu'une espèce de vertige se fût emparé de Charles X, et l'eût poussé à ne négliger aucune des imprudences qui devaient le conduire à sa perte. Sa proclamation aux électeurs était, sous ce rapport, un acte décisif. Elle jetait la couronne royale en enjeu sur le coup de dé d'un scrutin électoral. Par cette proclamation, le gouvernement, le ministère, l'inviolabilité, l'irresponsabilité, tout cela était effacé, pour mettre en présence le Roi et la majorité parlementaire. Ce qui aurait dû rester un litige constitutionnel, se débattant et se décidant audessous du trône, se transformait en un duel entre le Roi et les représentants de la France. Vainqueur, Charles X était vengé de l'Adresse, dont il avait fait une offense personnelle; mais il avait rayé l'article 13 de la Charte, et miné les fondements du trône. Vaincu, il restait avec une couronne humiliée, un pouvoir déconsidéré, une royauté sans force et sans prestige, réduit à demander aux conseils du désespoir les moyens d'en sauver l'honneur et d'en relever l'éclat.

Or, Charles X fut vaincu.

Non-seulement les Deux cent vingt-un furent réélus presque sans exception; mais l'opposition fut renforcée d'un grand nombre de membres nouveaux, et la minorité ministérielle notablement amoindrie.

CHAPITRE II

SUITE DE L'INTRODUCTION.-EXPÉDITION D'ALGER.

Tentatives infructueuses de l'Europe pour mettre fin à la piraterie des Algériens. Origine du différend de la France avec la Régence.-Outrage fait par le dey au consul de France.-Nombreux griefs du Gouvernement français.M. de Polignac propose au vice-roi d'Égypte de l'aider à faire la conquête des Régences barbaresques.-L'Angieterre fait échouer ce projet.-Le Gouvernement français prépare une expédition.-Dispositions favorables des puissances continentales.-Opposition et mécontentement de l'Angleterre.— Fermeté du Gouvernement français.- La flotte française part de Toulon Elle est dispersée par la tempête, et se rallie dans le golfe de Palma.-L'armée française s'établit sur la presqu'île de Sidi-Ferruch.-Combat de Staouëli. -Siége du Château de l'Empereur.-Capitulation d'Alger.-L'armée française prend possession de la ville.-Hussein-Pacha, dey d'Alger.-Il se retire à Naples.- Expulsion des janissaires.- Trésor de la Kasbah. - Aspect de la ville et de ses environs.-Perfidie du bey de Titterie.-Le maréchal de Bourmont se retire en Espagne.

Cependant, au milieu de tant d'amertumes et de déceptions, Charles X put croire un instant qu'un beureux événement allait rendre à son gouvernement la faveur de l'opinion. Une page brillante avait été ajoutée à nos fastes militaires. Le télégraphe avait apporté la nouvelle que, le 5 juillet 1830, l'armée française était entrée à Alger, et que le drapeau blanc flottait sur la Kasbah.

Les détails de cet événement doivent avoir ici leur place; car ils ouvrent l'histoire de l'établissement de la civilisation sur cette terre désormais française, où chacun de ses pas a été frayé dans le sang et affermi par les

exploits de nos intrépides bataillons. La prise d'Alger est à la Restauration; mais la conquête, la pacification, la colonisation de l'Algérie appartiennent au règne de LouisPhilippe.

Depuis plus de trois siècles, les pirates algériens bravaient la puissance et les armes de l'Europe. Défendus par leurs rochers, protégés par les ouragans et par les capricieuses fureurs de la mer, ces hardis forbans avaient fait de la Méditerranée leur domaine. Audacieux, adroits, marins intrépides, avides de combats autant que de rapines, ils portaient leurs déprédations non-seulement sur les côtes de l'Europe, mais aux Açores, aux Canaries, au banc de Terre-Neuve et jusque dans les eaux de l'Amérique septentrionale. Ils attaquaient tous les pavillons, pillaient les navires, réduisaient en esclavage les matelots et les passagers, ne reconnaissaient pour toute loi que la force, ne pratiquaient pour toute industrie que le vol à main armée. Les premières puissances de l'Europe avaient tour à tour essayé, mais en vain, de mettre un terme à ces brigandages. L'armée que Charles-Quint avait conduite, en 1541, sous les murs d'Alger, avait été presque entièrement détruite par un orage. Les bombardements exécutés sur l'ordre de Louis XIV, en 1682 et 1683 par Duquesne, en 1688 par d'Estrée et Tourville, n'avaient abouti qu'à imposer à ces pirates un acte dérisoire de soumission. En 1773, trente mille Espagnols, sous les ordres d'O'Reilly, étaient descendus sur les côtes barbaresques; mais écrasés par le nombre, ils avaient été contraints de regagner leurs vaisseaux, ne laissant de leur passage d'autre trace que les cadavres dont ils avaient jonché le sol. L'expédition conduite en 1816 par lord Exmouth, qui détruisit les fortifications d'Alger, n'avait eu d'autre résultat sérieux que de rendre à la liberté deux

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