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CHAPITRE III

ORDONNANCES DU 25 JUILLET 1830.

La prise d'Alger augmente la confiance du parti de la Cour.-Le Roi s'oppose à la retraite de ses ministres.-Le Conseil se décide à recourir à l'article 14 de la Charte.- Doctrine des partisans du coup d'État sur la prépondérance du pouvoir royal.-Le coup d'Etat condamné par M. de Guernon-Ranville.-Le ministère enveloppe ses résolutions du plus grand secret.- Absence de moyens de succès pour un coup d'État.-L'armée. La famille royale; le Dauphin; la Dauphine; la duchesse de Berri. La presse : le Journal des Débats; le Constitutionnel; le National; le Temps; le Globe; le Courrier français; la Quotidienne; la Gazette de France. - Signature des Ordonnances.-Rapport au Roi.-Suppression de la liberté de la presse.- Destruction du régime électoral.-Les Ordonnances abolissent le régime représentatif en France.-26 JUILLET.-Stupeur de Paris en apprenant le coup d'État. -Attitude des journaux.-Attitude de la population.-Panique de la Bourse, -Le tribunal de commerce déclare les Ordonnances illégales.-Protestation des journalistes.- Première réunion des Députés. L'agitation commence à gagner les faubourgs.

La nouvelle de la prise d'Alger arriva à Paris le 9 juillet. Elle fut reçue par le Gouvernement et par la Cour avec une joie des plus vives. Aux yeux de la faction royaliste, ce brillant fait d'armes n'était pas seulement un triomphe de l'armée française, il était surtout un moyen de succès pour les projets politiques auxquels on se rattachait plus que jamais. La défaite du ministère dans les élections ne faisait qu'augmenter le prix de sa victoire en Afrique. Plus la crise approchait et s'annonçait laborieuse, plus le Gouvernement s'estimait heureux de pouvoir se montrer dans la lice, tout rayonnant de la

gloire de son drapeau. Rien ne fut négligé pour stimuler l'enthousiasme du pays, et pour pénétrer les imaginations de l'importance de la conquête. Des prières d'actions de grâces furent ordonnées. Il y eut des réjouissances publiques. Le Roi assista en grande pompe au Te Deum qui fut chanté à Notre-Dame. Mais, à travers ces manifestations de la joie officielle, se faisaient jour des pensées, se glissaient des allusions qui glaçaient l'opinion. Tout en applaudissant aux exploits de son armée, la France ne s'associait pas sans défiance à une gloire qu'on se montrait si impatient d'exploiter pour menacer ses libertés.

En recevant le Roi à la porte de la cathédrale, l'archevêque de Paris lui adressa un discours. Après quelques phrases emphatiques sur l'expédition, le prélat s'exprimait ainsi : « Sire, que votre grande âme s'affermisse de << plus en plus; votre confiance dans le divin secours et << dans la protection de Marie, mère de Dieu, ne sera pas << vaine. Puisse Votre Majesté en recevoir bientôt encore << une nouvelle récompense! Puisse-t-elle bientôt venir << encore remercier le Seigneur d'autres victoires non << moins douces et non moins éclatantes! » Triste langage dans la bouche d'un ministre du Dieu de paix et de miséricorde! Il fut, du reste, blâmé même à la Cour, non parce que le vœu qu'il exprimait était impie, mais parce que, comme on le disait dans les antichambres, « c'était faire feu avant le commandement. » Aussi s'occupa-t-on d'en atténuer l'effet. Bien que le mot victoires eût été réellement prononcé à Notre-Dame, le Moniteur y substitua celui de merveilles. Malgré cette correction, la pensée restait entière et évidente. Déjà, dans un mandement publié la veille', pour annoncer à son diocèse la défaite

10 juillet.

des Musulmans, l'impétueux prélat s'était écrié : « Ainsi « soient traités partout et toujours les ennemis de notre « seigneur et Roi; ainsi soient confondus tous ceux qui <<< osent se soulever contre lui! »

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Cet exemple eut, dans le clergé, de trop nombreux imitateurs. Mais aucun ne dépassa, pour la fougue de la pensée et la crudité de l'expression, l'évêque de Nancy : « Remplissons, disait-il, remplissons de traits enflammés «<le carquois du Dieu de nos pères; qu'il daigne ensuite « les épuiser, ces traits victorieux, non plus sur les en« nemis du dehors qui se courbent devant nos drapeaux, « mais au sein même de la patrie, sur tous les cœurs « égarés ou coupables, qui ne sauraient demeurer enne<< mis de notre Roi sans être aussi les ennemis de Dieu, << les ennemis de la gloire et du bonheur de la France. »

Les hommes initiés aux visées secrètes de la faction, les journaux ministériels, n'étaient pas plus réservés dans leur enivrement que les évêques. « La loi qui a ramené les Deux cent vingt-un sera changée, disait un journal. Elle le sera avant trois mois, par une loi ou, au besoin, par une ordonnance; elle le sera par une Chambre ou par le Roi. »—« Le Roi est vainqueur d'Alger, écrivait, le 10 juillet, au garde des sceaux un haut magistrat; dans ce repaire de pirates n'étaient pas ses plus implacables ennemis; les élections les ont mis à découvert. Si ces hommes de trahison sont ménagés, c'en est fait de la légitimité et de la monarchie. Les moments sont chers; il faut que le Gouvernement se décide. Demain on va abaisser, annuler le triomphe d'Alger; dans huit jours il n'en restera rien, et le libéralisme, relevant sa bannière, marchera en masse contre la France et contre son Roi. »

Ces craintes se trouvèrent bientôt, du moins en apparence, corroborées par les faits. Les élections des 12 et

19 juillet, bien que faites sous l'impression de la prise d'Alger, ne donnèrent pas des résultats plus favorables au ministère que les précédentes. A Paris, entre autres, les huit candidats de l'opposition obtinrent la presque unanimité des suffrages. En somme, sur quatre cent vingt-huit députés élus, l'opposition en comptait deux cent soixantedix, le ministère cent quarante-cinq; treize étaient douteux.

La situation où se trouvait vis-à-vis du Parlement le ministère Polignac, après les élections de 1830, était exactement la même que celle où s'était trouvé le ministère Villèle, après les élections de 1827. En 1827, le Roi avait cédé, et le ministère Martignac avait rendu le calme au pays. En 1830, le Roi résista et tenta de briser la majorité; le pays, pour soutenir ses représentants, fit une révolution.

Au moment de franchir le pas décisif entre la légalité et l'arbitraire, plusieurs ministres sentirent chanceler eur résolution. Ils offrirent au Roi de se retirer. Charles X ne voulut pas consentir à ce qu'il appelait une « reculade. »-« Je ne consentirai pas à votre retraite, leur dit-il; elle n'aurait pas le résultat que vous en pourriez attendre. Quelle que soit la nuance de la majorité où je prenne de nouveaux ministres, ma position serait celle-ci : ou bien vos successeurs voudront maintenir les droits de ma Couronne, et, dans ce cas, ils perdront toute influence sur la majorité; ou bien ils demeureront fidèles à leurs doctrines, et ils affaibliront alors, s'ils ne les sacrifient pas, les prérogatives du pouvoir royal1. » Décidé à ne plus fléchir sous la constitution, Charles X dut rechercher les expédients propres à ployer la constitution à ses

1 Séance du Conseil des ministres du 4 juillet 1830.

vues. A cet effet, il ordonna à ses ministres d'examiner << si l'article 14 de la Charte donnait à la Couronne le pouvoir de prendre, à elle seule, les mesures qui lui paraîtraient nécessaires à la sûreté du pays 1. »

C'est donc vers le milieu du mois de juillet que cette question fut, pour la première fois, portée au conseil. Que Charles X, M. de Polignac et la plupart de ses collègues eussent antérieurement accepté la prévision du coup d'État, cela est incontestable. Mais on verra bientôt que M. de Guernon-Ranville avait eu d'abord, sur les « déviations de la Charte, » une autre opinion que le président du conseil. Toutefois, au mois de juillet, cette dissidence avait cessé, et tous les ministres se trouvèrent d'accord sur deux points: 1° que l'article 14 de la Charte donnait au Roi le droit de recourir aux moyens dictatoriaux; 2o qu'en possession de la confiance du Roi, les ministres devaient garder le pouvoir. Ces deux points admis, la division commençait. Les uns, et plus particulièrement M. de Guernon-Ranville et M. de Peyronnet, étaient d'avis d'attendre la réunion de la Chambre, de lui présenter le budget et les lois indispensables, et de n'user des ressources extra-légales qu'après y avoir été provoqués par des actes positifs. Les autres, ayant à leur tête M. de Chantelauze, ne voulaient pas que le Gouvernement s'exposât au mauvais vouloir d'une majorité notoirement hostile.

Le Roi était vivement sollicité dans le sens de ces der niers, non moins par son propre penchant que par ses entours. Le droit étant mis hors de contestation, tout se réduisait à une question d'opportunité, et les circonstances

1 Études historiques, politiques et morales, par le prince de Polignac.

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