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CHAPITRE XI

OUVERTURE DE LA SESSION DES CHAMBRES.

Accession spontanée et unanime des départements à la révolution de Juillet.Événements de Lyon, de Nantes, de Bordeaux.- Dans tout le reste de la France, la révolution s'opère sans combats et sans excès.- Le lieutenant général du royaume ouvre la session des Chambres législatives. Il se prononce solennellement pour le maintien de la Charte de 1814 avec les modifications nécessaires, et pour le respect des traités.-La majorité de la Chambre des deputes decide, de son côté, qu'il sera procédé conformément à la Charte. -M. Berard prépare une proposition tendant à appeler le duc d'Orléans à la Couronne, et à modifier la Charte suivant l'esprit de la révolution.- Demarches faites près des membres du Corps diplomatique pour assurer l'adhesion des puissances européennes an changement de règne.- Caractère de la monarchie de 1830 : le duc d'Orléans n'a pas été appelé au trône quoique Bourbon, mais parce que Bourbon.-La Chambre des députés reçoit l'acte d'abdication, et en ordonne le depôt aux archives.-Le duc d'Orleans charge MM. le duc de Broglie et Guizot de modifier l'esprit de la proposition de M. Berard et de la compléter.-La proposition est déposée.-La Chambre se declare en permanence pour attendre le rapport de sa commission.- Proposition de M. Eusèbe Salverte pour la mise en accusation des ministres signataires des Ordonnances.-Arrivee du duc de Chartres à Paris.-Irritation des republicains. Leurs projets contre la pairie. Ils rédigent une adresse pour déclarer à la Chambre des députés qu'ils ne lui reconnaissent pas le droit de faire une constitution, et chargent une commission d'aller la lire à la barre; la fermeté des députés fait avorter cette demonstration.-Rapport de M. Dupin aîné sur la proposition de M. Berard.

Le moment est venu de jeter un regard sur la France, de suivre d'un rapide coup d'œil ce mouvement qui, en quelques jours, en quelques heures, se répandit de la capitale à toutes les extrémités du royaume. L'accession franche, spontanée, unanime de la France a seule, en

effet, de l'insurrection de Paris fait une révolution nationale.

Le gouvernement de l'Hôtel de Ville resta étranger à ce qui se passa hors des murs de Paris. Il ne fit rien pour entraîner la province. Il n'envoya pas un agent, pas un commissaire. Il ne destitua pas un préfet. Il ne révoqua pas un fonctionnaire. Il n'adressa aucun appel, aucun avis aux populations départementales. Il n'y eut d'aupropagande que celle qui fut faite par les journaux, ou par les drapeaux tricolores arborés sur les malles-postes et sur les diligences. Chaque département, chaque ville, chaque bourgade fit, pour ainsi dire, dans son sein sa petite révolution; et, en moins d'une semaine, il ne restait plus, de Dunkerque à Perpignan, de Brest à Strasbourg, un hameau qui ne se fût mis à l'unisson de la capitale.

M. de Polignac disait donc parfaitement vrai, lorsqu'il écrivit : « L'événement a prouvé que l'insurrection fut presque partout instantanée... Certes, je défie le génie le plus infernal de pouvoir, en un jour, fomenter et soulever une pareille tempête1. » De ce fait que la résistance s'est produite partout presque à la même heure, dans la même forme, avec la même énergie, et que l'abandon du Gouvernement a été universel, d'autres auraient conclu que les mesures qui avaient déterminé une telle explosion de l'opinion étaient ou bien coupables, ou au moins bien mal inspirées. M. de Polignac n'y a vu, comme Charles X, que la preuve d'une conspiration. Une conspiration qui embrassait tout le royaume! qui avait pour complices la majorité des citoyens, et qui avait attendu, pour éclater, que le Gouvernement lui en donnât lui-même le signal!

1 Études politiques, etc.

On a dit déjà qu'avant que Charles X eût quitté SaintCloud, toutes les populations des environs de Paris, sur un rayon de vingt lieues, s'étaient jetées dans l'insurrection. On a suivi, de Rambouillet à Cherbourg, la dynastie exilée, attendant en vain un cri de sympathie, un signe de regret sorti des masses de peuple qui venaient la contempler à son passage. A l'autre bout de la France, on a vu l'auguste fille de Louis XVI réduite à se soustraire par la fuite aux outrages contre lesquels ne la protégeaient ni son sexe, ni la sainteté du malheur. Par la Normandie et la Bourgogne, on peut juger la France.

A très-peu d'exceptions près, la révolution s'accomplit sans luttes, sans violences. A la nouvelle d'un mouvement à Paris, la garde nationale se réorganisait et prenait les armes. On arborait le drapeau tricolore. On remplaçait le maire et le conseil municipal par une commission provisoire. Dans les chefs-lieux, on gardait à vue ou l'on renvoyait les principaux fonctionnaires. On maintenait l'ordre, on respectait la propriété. On illuminait, on chantait la Marseillaise. On criait Vive la Charte! le premier jour; Vive le duc d'Orléans ! le lendemain, et bientôt après Vive Louis-Philippe! et l'on applaudissait sans réserve à l'œuvre des députés. Partout, et ce fut le caractère distinctif de la révolution de 1830, partout la bourgeoisie éclairée et lettrée prit l'initiative, dirigea les esprits, exerça l'autorité. Les populations laborieuses furent, en général, admirables de modération.

La conduite de l'armée ne présenta pas moins d'uniformité. L'esprit des régiments était libéral. La Restauration, qui mettait tant d'espérances dans la fidélité de l'armée, n'avait pas su se l'attacher. Le Gouvernement de Charles X, en particulier, se l'était aliénée, en faisant entrer les pratiques de dévotion au nombre des devoirs régle

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mentaires. Soldats et officiers subissaient impatiemment l'immixtion du prêtre dans la vie militaire. Il y avait, en outre, dans les régiments, une jalousie trop bien justifiée de la partie bourgeoise et plébéienne contre les faveurs dont les fils de familles nobles étaient l'objet. L'armée était mécontente. Pour la faire passer du mécontentement à l'hostilité, il ne fallait qu'un prétexte qui laissât sauf l'honneur militaire. Aussi la défection futelle générale. Dans la plupart de ses garnisons, comme si elle eût obéi à un mot d'ordre, l'armée se tint neutre ou passa du côté du peuple. Les troupes des camps de Lunéville et de Saint-Omer avaient été dirigées à marches forcées sur Paris; elles se désorganisèrent en route. Le général Canuel, parti de Bourges avec deux régiments d'infanterie qu'il conduisait au général Donadieu, à Tours, y arriva seul avec son état-major.

Ce n'est pas à dire que la chute de la branche aînée n'ait laissé des regrets dans quelques parties de la France départementale; mais ces regrets furent généralement muets et stériles. Sur un petit nombre de points seulement, et particulièrement à Lyon, à Nantes et à Bordeaux, il y eut quelques manifestations isolées, dont l'impuissance ne fit que mieux ressortir l'unanimité du sentiment national.

La ville de Lyon n'attendit pas de savoir que Paris était en insurrection, pour résister aux Ordonnances. Dès qu'on y eut connaissance du coup d'État, plusieurs des principaux fabricants fermèrent leurs ateliers; en même temps, le rédacteur du journal de l'opposition, le Précurseur, déclara courageusement qu'il ne se soumettrait pas. Il continua, en effet, à faire paraître sa feuille, malgré les défenses de l'autorité.

Le 29 juillet au soir, eut lieu une première réunion des

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