Page images
PDF
EPUB

CHAPITRE XII

LOUIS-PHILIPPE ler, ROI DES FRANÇAIS.

Discussion de la proposition de M. Bérard à la Chambre des députés.-Attitude du parti légitimiste: MM. de Conny, Hyde de Neuville, de Lézardières, Fas de Beaulieu, de Labourdonnaye, Berryer, de Martignac.-La Chambre adopte le préambule de la proposition, et supprime celui de la Charte.-Elle modifie ou supprime successivement plusieurs articles de la Charte.-Elle adopte une disposition qui confie la garde de la Charte au patriotisme et au courage des gardes nationales et des citoyens. -Elle renvoie à la session suivante la révision de l'article relatif à l'organisation de la pairie.-Elle maintient le principe de l'inamovibilité de la magistrature. Adoption de la disposition qui appelle le duc d'Orléans à monter sur le trône.- La Chambre des députés se rend en masse au Palais-Royal pour faire connaître cette décision au duc d'Orléans.-Joie que cet événement fait éclater dans Paris.-La Chambre des pairs est saisie de la proposition par un message.Discours de M. de Chateaubriand. La Chambre des pairs adopte la proposition, et se rend au Palais-Royal. Il est décidé que le nouveau roi prendra le nom de LouisPhilippe Ier.-Adhésion du prince de Condé à la révolution de Juillet. - Séance du 9 août à la Chambre des députés. Le duc d'Orléans accepte la Charte modifiée et lui prête serment.-Il est proclamé Roi des Français, sous le nom de Louis-Philippe Ier.

Le 7 août, de grand matin, des rassemblements considérables se formèrent autour du Palais-Bourbon. Ils étaient composés, en majorité, de citoyens avides de connaître plus promptement les détails de la délibération qui allait fixer les destinées de la France. Mais il s'y trouvait aussi bon nombre de ces hommes, amoureux d'agitation, qui s'indignaient à la pensée de voir la France se replacer sous l'égide d'un gouvernement légal. Quelques étudiants

furent même envoyés près de M. de Lafayette et des députés de la gauche, pour protester de nouveau contre ce qui allait se faire. Mais, cette fois, la garde nationale veillait en force à la sûreté de la Chambre.

Bien que la séance eût été indiquée pour dix heures, les députés avaient reçu, dans la nuit, des lettres qui les invitaient à se réunir à huit heures du matin. Le Gouvernement avait voulu abréger, autant que possible, les délais, afin de mettre un terme à l'anxiété que causait partout l'attente de ce grand événement.

En arrivant, les députés se forment par groupes, et s'entretiennent avec animation. Ils sont inquiets. Mille bruits circulent. On assure que des agents de désordre parcourent les faubourgs, pour les lancer en masse contre la Chambre. On s'exhorte réciproquement à éviter tout ce qui pourrait devenir un prétexte aux violences du dehors. Quelques légitimistes ont reparu au Palais-Bourbon; ils sont bien clairsemés. Des anciens amis de la Restauration, qui, au nombre de deux cents environ, occupaient les bancs du centre droit et de la droite, trente à peine sont venus, à son heure suprême, lui donner un dernier témoignage de fidélité; et ceux-là n'étaient pas les plus engagés dans la politique du coup d'État. Quant aux autres, le sentiment de leur impuissance, peut-être celui-ci de la faute commise, avait glacé leurs cœurs. Absents pendant le combat des rues; absents quand leur roi, partant pour l'exil, attendait de leur dévouement un retour de fortune; absents encore quand il ne leur restait plus qu'à déposer leur vote, comme un pieux hommage, sur le tombeau d'une dynastie : voilà comment ils soutenaient les imprudentes bravades qui avaient précédé les Ordonnances.

Deux cent cinquante députés étaient dans la salle, quand

le président ouvrit la délibération sur la proposition de M. Bérard.

M. de Conny monte à la tribune. Cœur chevaleresque, orateur emphatique, l'honorable député, l'un des approbateurs du système de M. de Polignac, venait élever la voix en faveur du principe de la légitimité, et invoquer la foi des serments. « La force, dit-il ne constitue aucun droit..... Rappelons-nous-le, Messieurs, la France est enchaînée par ses serments. Nulle puissance n'a le droit de nous en délier.... J'en atteste l'honneur national, ne donnons pas au monde le scandale d'un parjure.... »

....

«< L'orateur a dit que la force ne constituait aucun droit, répond M. Benjamin Constant. Est-ce nous, est-ce le parti qui veut porter au trône un prince constitutionnel, qu'on doit accuser d'avoir recours à la force? Est-ce nous qui, pour faire prévaloir d'épouvantables principes, avons mitraillé dans les rues? Est-ce nous qui avons pris les armes pour détruire la Charte? Non, c'est pour la défendre que le peuple de Paris s'est armé.... D'autres invoquaient la force, quand nous invoquions le droit.... J'ai toujours cru que, dans un État libre, la transmission paisible du trône, écartant tous les concurrents, faisant taire toutes les ambitions, était une heureuse institution. Mais la soumission d'un peuple à une famille qui le traite selon son bon plaisir; le pouvoir absolu d'enchaîner les citoyens, de violer ce qu'ils ont de cher et de sacré ; le pouvoir de mitrailler celui qui tenterait de résister; si c'est là une légitimité, je la déteste et la repousse....>>

Évidemment le terrain était mal choisi pour les défenseurs de la légitimité. Placer la légitimité sous la protection de la Charte et des serments que la Charte imposait, était, dans les circonstances actuelles, une témérité et une maladresse.

M. Hyde de Neuville et M. de Lézardières furent mieux inspirés. Ils avaient d'ailleurs, sur M. de Conny, l’avantage de n'avoir pas à partager la responsabilité des Ordonnances. Aussi eurent-ils l'un et l'autre, à l'adresse des anciens ministres, des paroles bien dures. « Certes, dit M. Hyde de Neuville, je n'ai jamais trompé cette royale famille, que de faux amis, des insensés, des êtres bien perfides, bien coupables, viennent de précipiter dans l'abîme. »>« De grands crimes ont été commis, disait ensuite M. de Lézardières. Les indignes conseillers de la Couronne ont, le 25 juillet, légitimé peut-être les événements qui ont suivi cette journée.» Cet holocauste offert à la révolution, chacun des deux orateurs de la droite se retirait dans sa conscience, laissant passer les événements et faisant des vœux pour la France. « Je crois, avait dit M. Hyde de Neuville, qu'il peut y avoir péril à vouloir fonder tout l'avenir d'un grand peuple sur les impressions et les préventions du moment. Mais je n'ai pas reçu du ciel le pouvoir d'arrêter la foudre; je ne puis rien contre un torrent qui déborde ; je n'opposerai donc à ces actes, que je ne puis seconder ni approuver, que mon silence et ma douleur....>>-« Comme tous les bons Français, reprend M. de Lézardières, je paye un tribut de reconnaissance au prince lieutenant général et à l'intervention tutélaire qui a concouru à maintenir la tranquillité étonnante dont nous jouissons; mais je ne puis aller plus ́loin; je ne me crois pas autorisé à renverser les lois que j'ai juré d'observer....» Il ajoute : « L'expression consciencieuse d'une opinion ne peut jamais avoir aucun danger, au milieu d'un peuple dont la modération et la sagesse m'ont paru aussi admirables que son courage a été héroïque....>>

On conteste notre droit, s'écrie M. Eusèbe Salverte;

et moi, je ne parlerai pas de votre droit; je parlerai de vos devoirs. Ils sont grands; ils sont immenses. La nation française attend de vous son salut. Ces devoirs sont la mesure de vos droits.... Quant à moi, je crois que mes pouvoirs se sont agrandis par les événements; et je prends sur ma tête la responsabilité de mes votes. >>

M. Pas de Beaulieu succède à M. Salverte. « L'amour sacré de la patrie, dit-il au milieu de l'hilarité générale, m'inspire aussi la pensée que, dans la situation critique où se trouve la France, nul homme plus que le duc d'Orléans n'est en état de la sauver; mais je vous le dis à regret, il ne m'est pas permis de prendre part aux délibérations qui vont avoir lieu, car je n'ai pas reçu un semblable mandat. »

M. Arthur de La Bourdonnaye se prononce dans le même sens : « Sans doute, il est nécessaire qu'un pouvoir fort et conservateur soit promptement créé ; et nous gémissons de ce que l'absence de ce pouvoir nous tienne dans une situation pleine de dangers. Mais je ne pense pas que ce sentiment nous donne le droit de consacrer la série d'illégalités qui vous est proposée.... Je déclare, et je ne crains pas d'être désavoué par mes honorables amis, que, si la discussion devait marcher ainsi, nous ne pourrions pas y prendre part....»

Vient alors M. Berryer. Comme tous les orateurs de la droite qui l'ont précédé, il « reconnaît qu'aujourd'hui tout homme de cœur doit être uniquement inspiré par l'amour du pays, par la nécessité de trouver des garanties quelconques de sécurité pour l'avenir. Aussi s'empresset-il de rendre hommage à la sagesse, à la prudence de la proposition qui a été faite, et à la modération du Rapport.»> Mais, ce tribut payé à des vérités trop évidentes pour que personne osât alors les contester, M. Berryer, dans une

T. I.

28

« PreviousContinue »