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encore dans la rue. Il l'occupait comme son domaine. Les uns par désœuvreinent, d'autres par amour de l'agitation, tous excités par un malaise trop réel, faisaient de la place publique le siége d'un pouvoir tumultueux, qui tenait en échec les pouvoirs réguliers. On avait proclamé la souveraineté du peuple; ils en tiraient la conséquence qu'il appartenait à toute fraction des populations ouvrières de dicter ses ordres souverains. Il semblait que le Gouvernement de la France fût devenu le hochet de quelques écoliers suivis de quelques milliers d'ouvriers en état de chômage. Le peuple, se prenant à la lettre pour le créateur de la loi, ne tenait plus compte des lois existantes. Il s'était naturellement affranchi avant tout de celles qui touchaient le plus directement à ses intérêts. Les barrières avaient été brûlées; l'octroi n'était plus payé. La ville de Paris était ainsi privée de ses revenus, au moment même où elle s'imposait de lourds sacrifices pour offrir du travail aux bras inoccupés. Ce n'était pas assez de moins payer, les ouvriers voulaient encore travailler moins de temps et gagner davantage. La question brûlante du salaire était le thème habituellement choisi par les orateurs des clubs en plein vent, où les prolétaires se portaient en foule. On pérorait contre la concurrence ruineuse que les machines faisaient à la main d'œuvre, et l'on s'encourageait hautement à la destruction des métiers et des presses mécaniques. Puis les divers corps de métiers se réunissaient par bandes, auxquelles se joignaient tous les vagabonds qu'elles rencontraient sur leur passage; et la Manifestation, chantant la Marseillaise et la Parisienne, se transportait au Palais-Royal, à l'Hôtel de Ville, chez M. de Lafayette ou à quelque ministère. Les uns demandaient le bris des machines; d'autres réclamaient l'expulsion des ouvriers étrangers

qu'attire toujours en si grand nombre l'industrie parisienne. Ce système économique était à la portée de toutes les intelligences. Opérer la disette des bras et supprimer les moyens mécaniques, afin de faire renchérir le salaire, quoi de plus simple et de plus séduisant ? Quant au danger de faire fermer la fabrique ou fuir le consommateur, on n'en prenait nul souci.

Les partis, de leur côté, s'emparaient de ces désordres pour s'en rejeter réciproquement la responsabilité. Tandis que les feuilles légitimistes les représentaient comme la conséquence inévitable des principes proclamés, les journaux libéraux accusaient ouvertement les légitimistes de soudoyer de misérables agents pour semer le trouble dans la capitale. <«< On sait, disait le National, que dans des maisons du faubourg Saint-Germain ont lieu des conciliabules nocturnes, où les hommes de Coblentz et de 1815 complotent la guerre civile en attendant la guerre étrangère '. »

De toutes les professions, les ouvriers d'imprimerie qui, les premiers, s'étaient mis au service de la révolution, se montraient les plus animés. Ils quittèrent en masse les ateliers, et, pendant deux jours, quelques-uns des principaux journaux de Paris se trouvèrent dans l'impossibilité de paraître. La manie de ces promenades séditieuses devint si générale qu'on vit jusqu'aux charbonniers se rendre processionnellement, drapeau en tête, à la préfecture de la Seine, pour y déposer une protestation contre la visite qu'on leur avait fait faire à Saint-Cloud, le jour de la Saint-Henri.

M. Odilon Barrot fit, à cette occasion, son premier acte comme préfet de la Seine. Il publia une proclamation,

1 Numéro du 17 août.

souscriptions, de satisfaire aux indemnités en conformité de l'article 2; d'exercer, sur la réquisition de tout souscripteur inquiété pour une contribution illégale, toutes les poursuites légales contre les exacteurs; enfin de porter plainte civile et accusation contre les auteurs, fauteurs et complices de l'assiette et perception de l'impôt illégal. »

D'autres associations furent créées sous les noms de Normande, Bourguignonne, etc. Le gouvernement ne prit aucune mesure directe contre ces sociétés, mais il poursuivit les journaux qui avaient publié leurs statuts. Les tribunaux, écartant les chefs d'attaque à l'autorité du roi et de provocation à la désobéissance aux lois, condamnèrent les journaux sur le chef d'excitation à la haine et au mépris du gouvernement, attendu qu'attribuer aux ministres des projets contraires à la loi, c'était les outrager.

Ainsi, tout en condamnant les journaux, les tribunaux sanctionnaient d'avance la légalité du moyen de résistance que la presse s'efforçait de propager.

NOTE D (page 35).

Coup d'État du 5 septembre 1816.

Après sa rentrée, en 1815, Louis XVIII, par une ordonnance en date du 13 juillet, avait prononcé la dissolution de la Chambre des représentants, et convoqué les électeurs pour l'élection d'une Chambre des députés. Cette ordonnance déterminait, pour cette fois seulement, en l'absence d'une loi électorale, le mode et les conditions de l'élection, ajoutant que le pouvoir législatif une fois constitué réviserait, en cette matière, les prescriptions de la Charte. Mais la Chambre élue, dans la première ferveur de son zèle royaliste, ne tarda pas à se montrer animée d'un esprit de réaction dont l'extravagance effraya Louis XVIII lui-même. On eut alors l'étrange spectacle du roi, de ses ministres et de ses amis faisant à la Chambre une opposition libérale, contre le royalisme outré de la majorité, dirigée par le comte d'Artois. Louis XVIII comprit qu'une révision, par une pareille Chambre, des articles de la Charte relatifs aux élections, pourrait compromettre de nouveau l'existence de la monarchie. Il résolut de mettre à profit l'intervalle entre les deux premières sessions pour prévenir ce danger. Renonçant à toute pensée

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« liberté.... Pour moi, je ne manquerai ni dans l'avenir « à mes promesses, ni dans le présent à mes devoirs 1....>> La mesure la plus urgente pour rendre quelque tranquillité à la capitale, était le rétablissement d'un corps de police armé. La gendarmerie avait disparu. L'uniforme d'un gendarme n'aurait pu se montrer impunément dans les rues. Il était en butte à cette haine aveugle dont les masses ne manquent jamais de poursuivre ceux qui sont chargés de les surveiller et de les contenir. Une ordonnance du Roi prononça donc la suppression de ce corps et y suppléa par la création de la garde municipale. Sous un autre nom, c'était la même institution, ayant le même but, les mêmes devoirs, et où entrèrent, pour la plus grande partie, les anciens gendarmes. Les révolutions. peuvent changer les formes de gouvernement; elles ne changent rien aux besoins des sociétés. Partout où il y a des malfaiteurs et des brouillons, il faut une force capable de leur imposer. Un nom différent, une modification dans la coupe ou dans la couleur de l'habit, quelques galons de plus ou de moins, gendarmerie, garde municipale ou garde républicaine, c'est toujours l'armée de l'ordre, plus nécessaire encore le lendemain que la veille des grandes commotions populaires.

L'ordre public avait, ailleurs que dans les rangs du peuple, d'autres ennemis non moins redoutables et qui échappaient à l'action de la police. Les vaincus du 29 juillet, qui, jusqu'au 9 août, s'étaient prudemment tenus à l'écart, reprirent position dès qu'ils retrouvèrent la sécurité sous la protection de la Charte sauvée contre eux. Ils craignaient surtout que le calme rendu aux esprits ne vînt

1 15 août 1830.

2 19 août.

ajouter aux chances de durée du Gouvernement; et l'on vit les mêmes hommes qui avaient poussé la Restauration aux ordonnances du 25 juillet mettre tout en œuvre pour faire tomber la royauté nouvelle à la merci d'une démocratie populacière. Ils se firent les prôneurs des doctrines les plus excessives, aussi ardents apôtres de toutes les extravagances de la démagogie qu'ils l'étaient, quelques jours auparavant, de l'autocratie de droit divin. Dans cette voie, des alliés leur étaient naturellement indiqués. Ils devaient les chercher à l'extrémité du parti démocratique, c'est-à-dire parmi ceux qui avaient fait à leur principe, à leurs doctrines, à leur dynastie, la guerre la plus implacable, et qui les avaient poursuivis eux-mêmes de leurs dénigrements et de leurs injures. La Gazette de France fit ouvertement appel aux républicains et les convia de s'unir à elle, dans un même travail de renversement. << Ceux qui adhèrent à la légitimité par sentiment ou par principe, leur disait-elle', et ceux qui ont foi dans la souveraineté du peuple, tout en se proposant un but différent, doivent être d'accord sur la nullité radicale de tout ce qui a été fait ce n'est la conséquence ni d'un principe vivant par lui-même, ni d'une volonté générale librement et manifestement exprimée. »>

Que la monarchie de juillet ne fût pas la conséquence du droit divin, cela était évident. Mais qu'elle ne répondit pas à la volonté générale, il y avait plus que de la hardiesse à le dire, alors que, d'un élan spontané, la France entière envoyait au nouveau roi des adresses et des députations, et saluait avec bonheur l'avénement de la liberté. Certes, personne n'en doutait, si Louis-Philippe avait jugé utile d'ouvrir un scrutin et d'y convoquer tous les Fran

1 10 août.

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