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passer en principe et consacrer par l'usage une pareille tyrannie, les Anglais en prendraient acte pour l'établir en droit, comme ils ont profité de la tolérance des gouvernements pour établir l'infâme principe que le pavillon ne couvre pas la marchandise, et pour donner à leur droit de blocus une extension arbitraire et attentatoire à la souveraineté de tous les États;

Nous avons décrété et décrétons ce qui suit :

Art. 1er. Tout bâtiment, de quelque nation qu'il soit, qui aura souffert la visite d'un vaisseau anglais, ou se sera soumis à un voyage en Angleterre, ou aura payé une imposition quelconque au gouvernement anglais, est par cela seul déclaré dénationalisé, a perdu la garantie de son pavillon et est devenu propriété anglaise.

2. Soit que lesdits bâtiments ainsi dénationalisés par les mesures arbitraires du gouvernement anglais, entrent dans nos ports ou dans ceux de nos alliés, soit qu'ils tombent au pouvoir de nos vaisseaux de guerre ou de nos corsaires, ils sont déclarés de bonne et valable prise.

3. Les îles Britanniques sont déclarées en état de blocus sur mer comme sur terre. Tout bâtiment, de quelque nation qu'il soit, quel que soit son chargement, expédié des ports d'Angleterre ou des colonies anglaises, ou des pays occupés par les troupes anglaises, ou allant en Angleterre, ou dans les colonies anglaises, ou dans des pays occupés par les troupes anglaises, est de bonne prise comme contrevenant au présent décret. Il sera capturé par nos vaisseaux de guerre ou par nos corsaires, et adjugé au capteur.

4. Ces mesures, qui ne sont qu'une juste réciprocité pour le système barbare adopté par le gouvernement anglais, qui assimile sa législation à celle d'Alger, cesseront d'avoir leur effet pour toutes les nations qui sauraient obliger le gouvernement anglais à respecter leur pavillon. Elles continueront d'être en vigueur pendant tout le temps que ce gouvernement ne reviendra pas aux principes du droit des gens, qui règle les relations des États civilisés dans l'état de guerre. Les dispositions du présent décret seront abrogées et nulles par le fait, dès que le gouvernement anglais sera revenu aux principes du droit des

gens, qui sont aussi ceux de la justice et de l'honneur. 5. Tous nos ministres sont chargés de l'exécution du présent décret, qui sera inséré au Bulletin des lois.

NAPOLÉON.

SEPTIÈME ÉPOQUE.

GUERRE D'ESPAGNE.

Tous les intérêts étaient réglés du côté du Nord. Des intérêts non moins graves allaient appeler l'attention de l'Empereur vers le midi de l'Europe.

Il s'agissait de l'Espagne, de cette Espagne une fois encore la cause de désastres qui avaient failli amener la ruine de Louis XIV, cent ans auparavant.

Mais ce n'est pas sur des revers que se forme l'opinion de la postérité. Le temps a jugé la politique de Louis XIV; il en a montré la grandeur, il en a fait comprendre la sagesse et la prévoyance. Il a montré combien cet intérêt de famille auquel on a prétendu pendant si longtemps que la France avait été sacrifiée, était un intérêt national qui n'importait pas seulement à sa gloire, mais à sa sûreté, à son indépendance comme État politique.

C'est par la réunion des deux couronnes sur la tête de ses princes, que la maison de Lorraine, souveraine de l'Espagne et de l'Autriche, ́ avait acquis cette puissance formidable qui fit trembler l'Europe pendant près d'un siècle, et menaça l'existence de la France.

C'est sous le poids de cette puissance que Charles-Quint avait accablé François Ier; c'est par elle que Philippe II, sinon empereur, mais disposant presque des mêmes forces, se vit à la veille d'atteindre le but si longtemps poursuivi par son père, et de faire de la France une des provinces de cette monarchie universelle dont on put croire un instant que le rêve allait être réalisé.

Là était l'ennemi de la France; il fallait abattre la maison d'Autriche; lui arracher au moins l'un de ces deux sceptres devenus dans ses mains un instrument d'esclavage pour les deux tiers de l'Europe.

C'est à quoi furent employés tout le génie et les ressources de la monarchie française pendant cent ans. C'est à ce but que tendirent presque uniquement les efforts de Henri IV, de Richelieu, de Louis XIV. Louis XIV, plaçant son petit-fils sur le trône d'Espagne ne faisait

autre chose que Philippe II convoitant la couronne de France pour sa fille l'infante Claire-Eugénie.

Quelle que soit la forme du gouvernement, il faut bien que l'État se personnifie dans les individus. Les puissances européennes ne s'y étaient pas trompées. Si Louis XIV n'eût agi que dans un intérêt de famille, et pour la puérile satisfaction de donner à un de ses enfants le titre de roi, cette satisfaction, il l'eût aisément obtenue. L'Europe ne se serait pas soulevée; on n'aurait pas fait la guerre pendant douze ans pour la lui disputer. Il lui eût suffi du moindre sacrifice, du plus léger dédommagement offert à ses adversaires. Mais on savait que sous cet intérêt de famille il y avait l'intérêt d'État, l'intérêt politique, la question de puissance en un mot, de suprématie d'un empire sur l'autre. On savait que, le duc d'Anjou régnant au delà des Pyrénées, c'était la France qui régnait sur l'Espagne, qui disposait d'elle, qui se substituait à la maison d'Autriche; la France en état, sinon d'aspirer à son tour à la monarchie universelle, mais de résister avec succès à toutes les agressions du Nord, à ces coalitions sans cesse formées contre elle, et d'apporter dans les conseils de l'Europe le poids d'une influence désormais supérieure.

Louis XIV put voir son œuvre accomplie avant de mourir. Il laissait la France affaiblie peut-être par cette longue lutte, mais victorieuse en définitive, puisque le gage du combat restait entre ses mains. La France d'ailleurs se remet vite de ces sortes de crises. En échanged'épreuves passagères, dont la trace et jusqu'au souvenir s'effacent si aisément chez elle, il lui laissait un avantage durable, l'élément le plus solide de sa puissance future. Cette œuvre avait été celle de tout son règne ; il l'avait poursuivie au milieu des revers comme de la prospérité. Il ne fallut rien moins pour la détruire que le ministère du cardinal Dubois, et pour la condamner que l'austérité d'un patriotisme dont le dix-septième siècle n'était pas assez avancé encore pour comprendre tout le raffinement.

Tous les historiens ont fait connaître la situation de la France envers la maison d'Autriche au sujet de l'Espagne. Ils ont montré la race de Charles-Quint descendant par degré du génie jusqu'à la faiblesse, de la faiblesse jusqu'à l'imbécillité; la couronne d'Espagne tombée à terre en quelque sorte, et devenant la conquête légitime de quiconque serait assez habile ou assez heureux pour s'en emparer; un royaume ruiné, anéanti, qui n'en était plus un par le fait de cette imbé cillité; mais prêt à se relever, à sortir de son engourdissement; ayant conservé assez de force et d'existence sous cette léthargie pour que la France ne dût à aucun prix le laisser tomber aux mains de son ennemi.

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