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ne retrouve plus jamais en moi un allié, elle retrouvera un homme désireux de ne faire que des guerres indispensables à la politique de ses peuples, et de ne point répandre le sang dans une lutte avec des souverains qui n'ont avec moi aucune opposition d'industrie, de commerce et de politique. Je prie V. M. de ne voir dans cette lettre que le désir que j'ai d'épargner le sang des hommes, et d'éviter à une nation qui, géographiquement, ne saurait être ennemie de la mienne, l'amer repentir d'avoir trop écouté des sentiments éphémères qui s'excitent et se calment avec tant de facilité parmi les peuples.

Sur ce, je prie Dieu, monsieur mon frère, qu'il vous ait en sa sainte et digne garde.

INS

De Votre Majesté, le bon frère,

NAPOLÉON.

Auma, le 12 octobre 1806.

Deuxième bulletin de la grande armée.

L'Empereur est parti de Bamberg le 8 octobre, à trois heures du matin, et est arrivé à neuf heures à Crousch. Sa Majesté a traversé la forêt de Franconie à la pointe du jour le 9, pour se rendre à Ebersdorff, et de là elle s'est portée sur Schleitz, où elle a assisté au premier combat de la campagne. Elle est revenue coucher à Ebersdoff, en est repartie le 10 pour Schleitz, et est arrivée le 11 à Auma, où elle a couché après avoir passé la journée à Gera. Le quartier général part dans l'instant même pour Gera. Tous les ordres de l'Empereur ont été parfaitement exécutés.

Le maréchal Soult se portait le 7 à Bayreuth, et se présentait le 9 à Hoff. Il a enlevé tous les magasins de l'ennemi, lui a fait plusieurs prisonniers, et s'est porté sur Plauen le 10.

Le maréchal Ney a suivi son mouvement à une demi-journée de distance.

Le 8, le grand-duc de Berg a débouché avec la cavalerie légère, de Cronach, et s'est porté devant Saalbourg, ayant avec lui le vingt-cinquième régiment d'infanterie légère. Un régiment prussien voulut défendre le passage de la Saale; après une ca

nonnade d'une demi-heure, menacé d'être tourné, il a abandonné sa position et la Saale.

Le 9, le grand-duc de Berg se porta sur Schleitz, un général prussien y était avec dix mille hommes. L'Empereur y arriva à midi, et chargea le maréchal prince de Ponte-Corvo d'attaquer et d'enlever le village, voulant l'avoir avant la fin du jour. Le maréchal fit ses dispositions, se mit à la tête de ses colonnes; le village fut enlevé et l'ennemi poursuivi. Sans la nuit, la plus grande partie de cette division eût été prise. Le général Watier, avec le quatrième régiment de hussards et le cinquième régiment de chasseurs, fit une belle charge de cavalerie contre trois régiments prussiens. Quatre compagnies du vingt-septième d'infanterie légère, se trouvant en plaine, furent chargées par les hussards prussiens; mais ceux-ci virent comme l'infanterie française reçoit la cavalerie prussienne. Deux cents cavaliers prussiens restèrent sur le champ de bataille. Le général Maison commandait l'infanterie légère. Un colonel ennemi fut tué, deux pièces de canon prises, trois cents hommes furent faits prisonniers, et quatre cents tués. Notre perte a été de peu d'hommes; l'infanterie prussienne a jeté ses armes et a fui, épouvantée, devant les baïonnettes françaises. Le grand-duc de Berg était au milieu des charges, le sabre à la main.

Le 10, le prince de Ponte-Corvo a porté son quartier général à Auma; le 11, le grand-duc de Berg est arrivé à Gera. Le général de brigade Lasalle, de la cavalerie de réserve, a culbuté l'escorte des bagages ennemis; cinq cents caissons et voitures de bagage ont été pris par les hussards français. Notre cavalerie légère est couverte d'or. Les équipages de pont et plusieurs objets importants font partie du convoi.

La gauche a eu des succès égaux. Le maréchal Lannes est entré à Cobourg le 8; il se portait le 9 sur Graffental. Il a attaqué, le 10, à Saalfeld, l'avant-garde du prince Hohenlohe, qui était commandée par le prince Louis de Prusse, un des champions de la guerre. La canonnade n'a duré que deux heures ; la moitié de la division du général Suchet a seule donné. La cavalerie prussienne a été culbutée par les neuvième et dixième régiments de hussards; l'infanterie prussienne n'a pu conserver aucun ordre

de retraite; partie a été culbutée dans un marais, partie dispersée dans les bois. On a fait mille prisonniers; six cents hommes sont restés sur le champ de bataille; trente pièces de canon sont tombées au pouvoir de l'armée.

Voyant ainsi la déroute de ses gens, le prince Louis de Prusse, en brave et loyal soldat, se prit corps à corps avec un maréchal des logis du dixième régiment de hussards. Rendez-vous, colonel, lui dit le hussard, ou vous êtes mort. Le prince lui répondit par un coup de sabre; le maréchal des logis riposta par un coup de pointe, et le prince tomba mort. Si les derniers instans de sa vie ont été ceux d'un mauvais citoyen, sa mort est glorieuse et digne de regrets. Il est mort comme doit désirer de mourir tout bon soldat. Deux de ses aides de camps ont été tués à ses côtés. On a trouvé sur lui des lettres de Berlin, qui font voir que le projet de l'ennemi était d'attaquer incontinent, et que le parti de la guerre, à la tête duquel étaient le jeune prince et la reine, craignait toujours que les intentions pacifiques du roi, et l'amour qu'il porte à ses sujets ne lui fissent adopter des tempéraments, et ne déjouassent leurs cruelles espérances. On peut dire que les premiers coups de la guerre ont tué un de ses auteurs.

Dresde ni Berlin ne sont couverts par aucun corps d'armée. Tournée par sa gauche, prise en flagrant délit au moment où elle se livrait aux combinaisons les plus hasardées, l'armée prussienne se trouve, dès le début, dans une position assez critique. Elle occupe Eisenach, Gotha, Erfurt, Weimar. Le 12, l'armée française occupe Saalfed et Gera, et marche sur Naumbourg et léna. Des coureurs de l'armée française inondent la plaine de Leipsick.

Toutes les lettres interceptées peignent le conseil du roi déchiré par des opinions différentes, toujours délibérant et jamais d'accord. L'incertitude, l'alarme et l'épouvante paraissent déjà succéder à l'arrogance, à l'inconsidération et à la folie.

Hier 11, en passant à Gera devant le vingt-septième régiment d'infanterie légère, l'Empereur a chargé le colonel de témoigner sa satisfaction à ce régiment sur sa bonne conduite.

Dans tous ces combats, nous n'avons à regretter aucun offi

cier de marque: le plus élevé en grade est le capitaine Campobasso, du vingt-septième régiment d'infanterie légère, brave et loyal officier. Nous n'avons pas eu quarante hommes tués et soixante blessés.

Gera, le 15 octobre 1806.

Troisième bulletin de la grande armée.

Le combat de Schleitz, qui a ouvert la campagne, et qui a été très-funeste à l'armée prussienne, celui de Saalfeld qui l'a suivi le lendemain, ont porté la consternation chez l'ennemi. Toutes les lettres interceptées disent que la consternation est à Erfurt, où se trouvent encore le roi et la reine, le duc de Brunswick, etc.; qu'on discute sur le parti à prendre sans pouvoir s'accorder. Mais, pendant qu'on délibère, l'armée française marche. A cet esprit d'effervescence, à cette excessive jactance, commencent à succéder des observations critiques sur l'inutilité de cette guerre, sur l'injustice de s'en prendre à la France, sur l'impossibilité d'être secouru, sur la mauvaise volonté des soldats, sur ce qu'on n'a pas fait ceci, et mille et une autre observations qui sont toujours dans la bouche de la multitude, lorsque les princes sont assez faibles pour la consulter sur les grands intérêts politiques au-dessus de sa portée.

Cependant, le 12 au soir, les coureurs de l'armée française étaient aux portes de Leipsick; le quartier général du grand-duc de Berg, entre Zeist et Leipsick; celui du prince de Ponte-Covo, à Zeist, le quartier impérial à Gera; la garde impériale et le corps d'armée du maréchal Soult, à Gera; le corps d'armée du maréchal Ney, à Neustadt; en première ligne, le corps d'armée du maréchal Davoust, à Naumbourg, celui du maréchal Lannes, à léna; celui du maréchal Augereau, à Kala. Le prince Jérôme, auquel l'Empereur a confié le commandement des alliés et d'un corps de troupes bavaroises, est arrivé à Schleitz, après avoir fait bloquer le fort de Culenbach par un régiment.

L'ennemi, coupé à Dresde, était encore le 11 à Erfurt, et travaillait à réunir ses colonnes qu'il avait envoyées sur Cassel et Wurtzbourg, dans des projets offensifs. Il voulait ouvrir la

campagne par une invasion en Allemagne. Le Weser, où il avait construit des batteries, la Saale, qu'il prétendait également défendre, et les autres rivières, sont tournées à peu près comme le fut l'Iller l'année passée; de sorte que l'armée française borde la Saale, ayant le dos à l'Elbe et marchant sur l'armée prussienne qui, de son côté, a le dos sur le Rhin, position assez bizarre, d'où doivent naître des événements d'une grande importance.

Le temps, depuis notre entrée en campagne, est superbe, le pays abondant, le soldat plein de vigueur et de santé. On fait des marches de dix lieues, et pas un traîneur; jamais l'armée n'a été si belle.

Toutes les intentions du roi de Prusse se trouvent exécutées. Il voulait que le 8 octobre l'armée française eut évacué le territoire de la Confédération, et elle l'avait évacué; mais au lieu de repasser le Rhin, elle a passé la Saale.

Gera, le 14 octobre 1806.

Quatrième bulletin de la grande armée.

Les événements se succèdent avec rapidité. L'armée prussienne est prise en flagrant délit, ses magasins enlevés : elle est tournée.

Le maréchal Davoust est arrivé à Naumbourg le 12, à neuf heures du soir : il a saisi les magasins de l'armée ennemie, fait des prisonniers et pris un superbe équipage de dix-huit pontons de cuivre attelés.

Il paraît que l'armée prussienne se met en marche pour gagner Magdebourg; mais l'armée française a gagné trois marches sur elle. L'anniversaire des affaires d'Ulm sera célèbre dans l'histoire de France.

Une lettre qui vient d'être interceptée fait connaître la vraie situation des esprits, mais cette bataille dont parle l'officier prussien aura lieu dans peu de jours. Les résultats décideront du sort de la guerre. Les Français doivent être sans inquiétude.

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