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rentrèrent dans leurs couvents, et en peu d'heures Madrid présenta le contraste le plus extraordinaire, contraste inexplicable pour qui ne connaît pas les mœurs des grandes villes. Tant d'hommes qui ne pouvaient se dissimuler à eux-mêmes ce qu'ils auraient fait dans pareille circonstance s'étonnent de la générosité des Français. Cinquante mille armes ont eté rendues, et cent pièces de canon sont remises au Retiro. Au reste, les angoisses dans lesquelles les habitants de cette malheureuse ville ont vécu depuis quatre mois ne peuvent se dépeindre. La junte était sans puissance; les hommes les plus ignorants et les plus forcenés exerçaient le pouvoir, et le peuple, à chaque instant', massacrait ou menaçait de la potence ses magistrats et ses généraux. Le général de brigade Maison a été blessé. Le général Bruyère, qui s'était avancé imprudemment dans le moment où l'on avait cessé le feu, a été tué. Douze soldats ont été tués, cinquante ont été blessés. Cette perte, faible pour un événement aussi mémorable, est due au peu de troupes qu'on a engagées; on la doit aussi, il faut le dire, à l'extrême lâcheté de tout ce qui avait les armes à la main.

L'artillerie a, à son ordinaire, rendu les plus grands services. Dix mille fuyards échappés de Burgos et de Somo-Sierra et la deuxième division de l'arinée de réserve se trouvaient, le 3, à trois lieues de Madrid; mais, chargés par un piquet de dragons, ils se sont sauvés en abandonnant quarante pièces de canon et soixante caissons.

Un trait mérite d'être cité :

Un vieux général, retiré du service et âgé de quatre-vingts ans, était dans sa maison à Madrid, près de la rue d'Alcala. Un officier français s'y loge avec sa troupe. Ce respectable vieillard paraît devant cet officier, tenant une jeune fille par la main et dit: Je suis un vieux soldat; voilà ma fille; je lui donne neuf cent mille livres de dot; sauvez-lui l'honneur et soyez son époux. Le jeune officier prend le vieillard, sa famille et sa maison sous sa protection. Qu'ils sont coupables ceux qui exposent tant de citoyens paisibles, tant d'infortunés habitants d'une grande capitale à tant de malheurs !

Le duc de Dantzig est arrivé le 3 à Ségovie. Le duc d'Istrie,

avec quatre mille hommes de cavalerie, s'est mis à la poursuite de la division Pennas, qui, s'étant échappée de la bataille de Tudela, s'était dirigée sur Guadalaxara.

Florida-Blanca et la junte s'étaient enfuis d'Aranjuez et s'étaient sauvés à Tolède; ils ne se sont pas crus en sûreté dans cette ville, et se sont réfugiés auprès des Anglais.

La conduite des Anglais est honteuse. Dès le 20 ils étaient à l'Escurial au nombre de six mille; ils y ont passé quelques jours. Ils ne prétendaient pas moins que franchir les Pyrénées et venir sur la Garonne. Leurs troupes sont superbes et bien disciplinées. La confiance qu'elles avaient inspirée aux Espagnols est inconcevable; les uns espéraient que cette division irait à Somo-Sierra, les autres qu'elle viendrait défendre la capitale d'un allié si cher; mais tous connaissaient mal les Anglais. A peine eut-on avis que l'Empereur était à Somo-Sierra que les troupes anglaises battirent en retraite sur l'Escurial. De là, combinant leur marche avec la division de Salamanque, elles se dirigèrent sur la mer. Des armes, de la poudre, des habits, ils nous en ont donné, disait un Espagnol; mais leurs soldats ne sont venus que pour nous exciter, nous égarer et nous abandonner au milieu de la crise. Mais, répondit un officier français, ignorez-vous donc les faits les plus récents de notre histoire? Qu'ont-ils donc fait pour le stathouder, pour la Sardaigne, pour l'Autriche? Qu'ont-ils fait plus récemment encore pour la Suède? Ils fomentent partout la guerre ; ils distribuent des armes comme du poison; mais ils ne versent leur sang que pour leurs intérêts directs et personnels. N'attendez pas autre chose de leur égoïsme. — Cependant, répliqua l'Espagnol, leur cause était la nôtre. Quarante mille Anglais ajoutés à nos forces à Tudela et à Espinosa pouvaient balancer les destins et sauver le Portugal. Mais à présent que notre armée de Blake, à la gauche, que celle du centre, que celle d'Aragon, à la droite, sont détruites, que les Espagnes sont presque conquises et que la raison va achever de les soumettre, que deviendra le Portugal? Ce n'est pas à Lisbonne que les Anglais devaient le défendre, c'est à Espinosa, à Burgos, à Tudela, à Somo-Sierra et devant Madrid.

Quinzième bulletin de l'armée d'Espagne.

Madrid, 7 décembre 4808.

Le duc de l'Infantado a été une des premières causes des malheurs que son pays a éprouvés; il fut le principal instrument de l'Angleterre dans ses funestes projets contre l'Espagne; c'est lui qu'elle employa pour diviser le père et le fils; pour renverser du trône le roi Charles, dont l'attachement pour la France était connu; pour susciter des orages populaires contre le premier ministre de ce souverain; pour élever à la puissance suprême ce jeune prince qui, dans son mariage avec une princesse de l'ancienne maison de Naples, avait puisé cette haine contre les Français dont cette maison ne s'est jamais départie. Ce fut le duc de l'Infantado qui joua le premier rôle dans la conspiration de l'Escurial, et c'est à lui que fut alors confié le pouvoir de généralissime des armées d'Espagne. On le vit ensuite prêter serment à Bayonne entre les mains du roi Joseph comme colonel des gardes espagnoles. De retour à Madrid, on le vit jeter le masque et se montrer ouvertement l'homme des Anglais. C'est chez lui que logeaient les ministres de l'Angleterre ; c'est dans sa société que vivaient les agents accrédités ou secrets de cette puissance. Après avoir excité ses concitoyens à une résistance insensée, on l'a vu, aussi lâche que traître, s'enfuir de Madrid à Guadalaxara, sous le prétexte d'aller chercher du secours; se soustraire par cette ruse aux périls dans lesquels il avait entraîné ses concitoyens et ne montrer quelque sollicitude que pour l'agent anglais qu'il emmena dans sa propre voiture et auquel il servit d'escorte. Que lui vaudra cette conduite? Il perdra ses titres; il perdra ses biens, qu'on évalue à deux millions de rentes, et il ira chercher à Londres le mépris, les dédains et l'oubli dont l'Angleterre a toujours payé les hommes qui ont sacrifié leur honneur et leur patrie à l'injustice de sa cause.

Aussitôt que le rapport du chef d'escadron comte Lubienski fut connu, le duc d'Istrie se mit en marche avec seize escà

T. U

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drons de cavalerie pour observer l'ennemi. Le duc de Bellune suivit avec l'infanterie. Le duc d'Istrie, arrivé à Guadalaxara, y trouva l'arrière-garde ennemie qui filait sur l'Andalousie, la culbuta et lui fit cinq cents prisonniers. Le général de division Ruffin et la brigade de dragons Bordesoult, informés que des ennemis se dirigaient sur Aranjuez, se sont portés sur ce point; l'ennemi en a été chassé, et ses troupes se sont mises aussitôt à la poursuite de tout ce qui fuit vers l'Andalousie.

Le général de division Lahoussaye est entré le 5 à l'Escurial. Cinq à six cents paysans voulaient défendre le couvent; ils en ont été chassés de vive force.

Chaque jour les restes de la stupeur dans laquelle étaient tombés les habitants de Madrid se dissipent. Ceux qui avaient caché leurs meubles et leurs effets précieux les rapportent dans leurs maisons. Les boutiques se garnissent comme à l'ordinaire; les barricades et tous autres apprêts de défense ont disparu. L'occupation de Madrid s'est faite sans désordre, et la tranquillité règne dans toutes les parties de cette grande ville. Un fusilier de la garde, ayant été trouvé saisi de plusieurs montres et ayant été convaincu de les avoir volées, a été fusillé sur la principale place de Madrid.

On a trouvé dans cette ville deux cents milliers de poudre, dix mille boulets, deux millions de plomb, cent pièces de canon de campagne et cent vingt mille fusils, la plupart anglais. Le désarmement continue sans aucune difficulté; tous les habitants s'y prêtent avec la meilleure volonté ; ils reviennent avec empressement et de bonne foi à l'autorité royale, qui les soustrait à la malfaisance de l'Angleterre, à la violence des factions et aux désordres des mouvements populaires.

Le roi d'Espagne a créé un régiment qui porte le nom de royal-étranger et dans lequel sont admis les déserteurs et les Allemands qui étaient au service de l'Espagne. Il a aussi formé un régiment suisse de Reding le Jeune, cet officier s'étant comporté parfaitement et en véritable patriote suisse, bien différent en cela du général Reding : l'un a bien mérité de ses compatriotes et obtiendra partout l'estime; l'autre, généralement méprisé, ira dans les tavernes de Londres jouir d'une centaine

de livres sterling mal acquises et payées avec dédain; il sera émigré du continent. Les régiments royal-étranger et Reding le Jeune ont déjà plusieurs milliers d'hommes.

Le cinquième et le huitième corps de l'armée d'Espagne et trois divisions de cavalerie ne font que passer la Bidassoa; ils sont encore bien loin d'être en ligne, et cependant beaucoup de victoires ont déjà été obtenues, et la plus grande partie de la besogne est faite.

Espagnols,

Proclamation.

Au camp impérial de Madrid, 7 décembre 1808.

Vous avez été égarés par des hommes perfides; ils vous ont engagés dans une lutte insensée, et vous ont fait courir aux armes. Est-il quelqu'un parmi vous qui, réfléchissant un moment sur tout ce qui s'est passé, ne soit aussitôt convaincu que vous avez été le jouet des perpétuels ennemis du continent, qui se réjouissaient en voyant répandre le sang espagnol et le sang français? Quel pouvait être le résultat des succès même de quelques campagnes? Une guerre de terre sans fin et une longue incertitude sur le sort de vos propriétés et de votre existence. Dans peu de mois vous avez été livrés à toutes les angoisses des factions populaires. La défaite de vos armées a été l'affaire de quelques marches. Je suis entré dans Madrid : les droits de la guerre m'autorisaient à donner un grand exemple et à laver dans le sang les outrages faits à moi et à ma nation : je n'ai écouté que la clémence. Quelques hommes, auteurs de tous vos maux, seront seuls frappés. Je chasserai bientôt de la Péninsule cette armée anglaise qui a été envoyée en Espagne non pour vous secourir, mais pour vous inspirer une fausse confiance et vous égarer.

Je vous avais dit dans ma proclamation du 2 juin que je voulais être votre régénérateur. Aux droits qui m'ont été cédés par des princes de la dernière dynastie vous avez voulu que j'ajoutasse le droit de conquête. Cela ne changera rien à mes dispositions. Je veux même louer ce qu'il peut y avoir eu de

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