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généreux dans vos efforts; je veux reconnaître que l'on vous a caché vos vrais intérêts, qu'on vous a dissimulé le véritable état des choses. Espagnols, votre destinée est entre vos mains. Rejetez les poisons que les Anglais ont répandus parmi vous; que votre roi soit certain de votre amour et de votre confiance, et vous serez plus puissants, plus heureux que vous n'avez jamais été. Tout ce qui s'opposait à votre prospérité et à votre grandeur, je l'ai détruit; les entraves qui pesaient sur le peuple, je les ai brisées; une constitution libérale vous donne, au lieu d'une monarchie absolue, une monarchie tempérée et constitutionnelle. Il dépend de vous que cette constitution soit encore votre loi.

Mais si tous mes efforts sont inutiles et si vous ne répondez pas à ma confiance, il ne me restera qu'à vous traiter en provinces conquises et à placer mon frère sur un autre trône. Je mettrai alors la couronne d'Espagne sur ma tête et je saurai la faire respecter des méchants; car Dieu m'a donné la force et la volonté nécessaires pour surmonter tous les obstacles.

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NAPOLÉON.

Dix-huitième bulletin de l'armée d'Espagne.

Madrid, 12 décembre 1808.

Le junte centrale d'Espagne avait peu de pouvoir. La plupart des provinces lui répondaient à peine; toutes lui avaient arraché l'administration des finances. Elle était influencée par la dernière classe dn peuple; elle était gouvernée par la minorité; Florida-Blanca était sans aucun crédit. La junte était soumise à la volonté de deux hommes, l'un nommé Lorenzo Calvo, marchand épicier de Sarragosse, qui avait gagné en peu de mois le titre d'excellence; c'était un de ces hommes violents qui paraissent dans les révolutions; sa probité était plus que suspecte; l'autre était un nommé Tilly, condamné autrefois aux galères comme voleur, frère cadet du nommé Gusman, qui a joué un rôle sous Robespierre dans le temps de la Terreur, et bien digne d'avoir eu pour frère ce misé

rable. Aussitôt que quelque membre de la junte voulait s'opposer à des mesures violentes, ces deux hommes criaient à la trahison; un rassemblement se formait sous les fenêtres d'Aranjuez, et tout le monde signait. L'extravagance et la méchanceté de ces meneurs se manifestaient de toutes les manières. Aussitôt qu'ils apprirent que l'Empereur était à Burgos, et que bientôt il serait à Madrid, ils poussèrent le délire jusqu'à faire contre la France une déclaration de guerre remplie d'injures et de traits de folie.

Ce que les honnêtes gens ont eu à souffrir de la dernière classe du peuple se concevrait à peine si chaque nation ne trouvait dans ses annales le souvenir de crises semblables.

Récemment encore trois respectables habitants de Tolède ont été égorgés.

Lorsque, le 11, le général de division Lasalle, poursuivant l'ennemi, est arrivé à Talavera de la Reyna, où les Anglais étaient passés en triomphe dix jours auparavant, en annonçant qu'ils allaient secourir la capitale, un spectacle affreux s'est offert aux yeux des Français: un cadavre revêtu de l'uniforme de général espagnol était suspendu à une potence et percé de mille coups de fusil : c'était le général Bénito-San-Juan, que ses soldats, dans les désordres de leur terreur panique, et pour donner un prétexte à leur lâcheté, avaient aussi indignement sacrifié.

Ils n'ont repris haleine à Talavera que pour torturer leur infortuné général, qui, pendant tout un jour, a été le but de leur barbarie et de leur adresse atroce.

Talavera de la Reyna est une ville considérable, située sur la belle vallée du Tage et dans un pays très-fertile.

Les évêques de Léon et d'Astorga et un grand nombre d'ecclésiastiques se sont distingués par leur bonne conduite et par l'exemple des vertus apostoliques.

Le pardon général accordé par l'Empereur et les dispositions qui marquent l'établissement de la nouvelle dynastie par l'anéantissement des maisons des principaux coupables ont produit un grand effet. La destruction de droits odieux au peuple et contraires à la prospérité de l'État et la mesure qui ne

laisse plus à la classe nombreuse des moines aucune incertitude sur son sort ont un bon résultat.

L'animadversion générale se dirige contre les Anglais. Les paysans disent dans leur langage qu'à l'approche des Français les Anglais sont allés monter sur leurs chevaux de bois.

S. M. a passé hier la revue de plusieurs corps de cavalerie. Elle a nommé commandant de la Légion d'honneur le colonel des lanciers polonais Konopka. Le corps que cet officier commande s'est couvert de gloire dans toutes les occasions. S. M. a témoigné sa satisfaction à la brigade Dijon pour sa bonne conduite à la bataille de Tudela.

Dix-neuvième bulletin de l'armée d'Espagne.

Madrid, 13 décembre 1808.

Les détails que l'on recueille de la bouche des Espagnols, sur la junte centrale, tendent tous à la couvrir de ridicule. Cette assemblée était devenue l'objet du mépris de toute l'Espagne. Ses membres, au nombre de trente-six, s'étaient attribué eux-mêmes des titres, des cordons de toute espèce ct soixante mille livres de traitement. Florida-Blanca était un véritable mannequin. Il rougit à présent du déshonneur qu'il a répandu sur sa vieillesse. Ainsi que cela arrive toujours dans de pareilles assemblées, deux ou trois hommes dominaient tous les autres, et ces deux ou trois misérables étaient aux gages de l'Angleterre. L'opinion de la ville de Madrid est trèsprononcée à l'égard de cette junte, qui est vouée au ridicule et au mépris ainsi qu'à la haine de tous les habitants de la capitale.

La bourgeoisie, le clergé, la noblesse, convoqués par le corregidor, se sont assemblés deux fois.

L'esprit de la capitale est fort différent de ce qu'il était avant le départ des Français. Pendant le temps qui s'est écoulé depuis cette époque, cette ville a éprouvé tous les maux qui résultent de l'absence du gouvernement. Sa propre expérience

lui a inspiré le dégoût des révolutions; elle a resserré les liens qui l'attachaient au roi. Pendant les scènes de désordre qui ont agité l'Espagne, les voeux et les regards des hommes sages se tournaient vers leur souverain.

Jamais on n'a vu dans ce pays un aussi beau mois de décembre; on se croirait au commencement du printemps. L'Empereur profite de ce temps magnifique pour rester à la campagne à une lieue de Madrid.

Réponse de l'empereur à une députation de la ville de

Madrid.

Madrid, 15 décembre 1808.

J'agrée les sentiments de la ville de Madrid. Je regrette le mal qu'elle a essuyé, et je tiens à bonheur particulier d'avoir pu, dans ces circonstances, la sauver et lui épargner de plus grands maux.

Je me suis empressé de prendre des mesures qui tranquillisent toutes les classes des citoyens, sachant combien l'incertitude est pénible pour tous les peuples et pour tous les hommes. J'ai conservé les ordres religieux en restreignant le nombre des moines. Il n'est pas un homme sensé qui ne jugeât qu'ils étaient trop nombreux. Ceux qui sont appelés par une vocation qui vient de Dieu resteront dans leurs couvents. Quant à ceux dont la vocation était peu solide et déterminée par des considérations mondaines, j'ai assuré leur existence dans l'ordre des ecclésiastiques séculiers. Du surplus des biens des couvents j'ai pourvu aux besoins des curés, de cette classe la plus intéressante et la plus utile parmi le clergé.

J'ai aboli ce tribunal contre lequel le siècle et l'Europe réclamaient. Les prêtres doivent guider les consciences, mais ne doivent exercer aucune juridiction extérieure et corporelle sur les citoyens.

J'ai satisfait à ce que je devais à moi et à ma nation; la part de la vengeance est faite; elle est tombée sur dix des principaux coupables; le pardon est entier et absolu pour tous le autres.

J'ai supprimé des droits usurpés par les seigneurs dans le temps des guerres civiles, où les rois ont trop souvent été obligés d'abandonner leurs droits pour acheter leur tranquillité et le repos des peuples.

J'ai supprimé les droits féodaux, et chacun pourra établir des hôtelleries, des fours, des moulins, des madragues, des pêcheries et donner un libre essor à son industrie en observant les lois et les règlements de la police. L'égoïsme, la richesse et la prospérité d'un petit nombre d'hommes nuisaient plus à votre agriculture que les chaleurs de la canicule.

Comme il n'y a qu'un Dieu, il ne doit y avoir dans un État qu'une justice. Toutes les justices particulières avaient été usurpées et étaient contraires aux droits de la nation. Je les ai détruites.

J'ai aussi fait connaître à chacun ce qu'il pouvait avoir à craindre, ce qu'il pouvait espérer.

Les armées anglaises, je les chasserai de la Péninsule.

Sarragosse, Valence, Séville seront soumises ou par la persuasion ou par la force de mes armes.

Il n'est aucun obstacle capable de retarder longtemps l'exécution de mes volontés.

Mais ce qui est au-dessus de mon pouvoir, c'est de constituer les Espagnols en nation sous les ordres du roi, s'ils continuent à être imbus des principes de scission et de haine envers la France que les partisans des Anglais et les ennemis du continent ont répandus au sein de l'Espagne. Je ne puis établir une nation, un roi et l'indépendance des Espagnols si ce roi n'est pas sûr de leur affection et de leur fidélité.

Les Bourbons ne peuvent plus régner en Europe. Les divisions dans la famille royale avaient été tramées par les Anglais. Ce n'était pas le roi Charles et le favori que le duc de l'Infantado, instrument de l'Angleterre, comme le prouvent les papiers récemment trouvés dans sa maison, voulait renverser du trône ; c'était la prépondérance de l'Angleterre qu'on voulait établir en Espagne, projet insensé, dont le résultat aurait été une guerre de terre sans fin et qui aurait fait couler des flots de sang. Aucune puissance ne peut exister sur le continent influencée par

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