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<< Soldats,

<< Voilà la bataille que vous avez tant désirée! Désormais la « victoire dépend de vous: elle nous est nécessaire; elle nous << donnera l'abondance, de bons quartiers d'hiver et un prompt « retour dans la patrie! Conduisez-vous comme à Austerlitz, à « Friedland, à Vitepsk, à Smolensk, et que la postérité la plus « reculée cite avec orgueil votre conduite dans cette journée; « que l'on dise de vous: Il était à cette grande bataille sous « les murs de Moscou!

«

« Au camp impérial, sur les hauteurs de Borodino, le 7 septembre, à deux heures du matin. »

L'armée répondit par des acclamations réitérées. Le plateau sur lequel était l'armée était couvert de cadavres russes du combat de l'avant-veille.

Le prince Poniatowski, qui formait la droite, se mit en mouvement pour tourner la forêt sur laquelle l'ennemi appuyait sa gauche. Le prince d'Eckmülh se mit en marche le long de la forêt, la division Compans en tête. Deux batteries de soixante pièces de canon chacune, battant la position de l'ennemi, avaient été construites pendant la nuit.

A six heures, le général comte Sorbier, qui avait armé la batterie droite avec l'artillerie de la réserve de la garde, commença le feu. Le général Pernetty, avec trente pièces de canon, prit la tête de la division Compans (quatrième du premier corps), qui longea le bois, tournant la tête de la position de l'ennemi A six heures et demie le général Compans est blessé ; à sept heures le prince d'Eckmülh a son cheval tué. L'attaque avance; la mousqueterie s'engage. Le vice-roi, qui formait notre gauche, attaque et prend le village de Borodino, que l'ennemi ne pouvait défendre, ce village étant sur la rive gauche de la Kologha. A sept heures le maréchal duc d'Elchingen se met en mouvement, et, sous la protection de soixante pièces de canon que le général Foucher avait placées la veille contre le centre de l'ennemi, se porte sur le centre. Mille pièces de canon vomissent de part et d'autre la mort.

A huit heures les positions de l'ennemi sont enlevées, ses re

doutes prises, et notre artillerie couronne ses mamelons. L'avantage de position qu'avaient eu pendant deux heures les batteries ennemies nous appartient maintenant ; les parapets qui ont été contre nous pendant l'attaque redeviennent pour nous. L'ennemi voit la bataille perdue, qui ne la croyait que commencée ; partie de son artillerie est prise, le reste est évacué sur ses lignes en arrière. Dans cette extrémité, il prend le parti de rétablir le combat et d'attaquer avec toutes ses masses ces fortes positions qu'il n'a pu garder. Trois cents pièces de canon françaises, placées sur ces hauteurs, foudroient ses masses, et ses soldats viennent mourir au pied de ces parapets qu'ils avaient élevés les jours précédents avec tant de soin et comme des abris pro

tecteurs.

Le roi de Naples, avec la cavalerie, fit diverses charges. Le duc d'Elchingen se couvrit de gloire et montra autant d'intrépidité que de sang-froid. L'Empereur ordonne une charge de front, la droite en avant : ce mouvement nous rend maîtres des trois quarts du champ de bataille; le prince Poniatowski se bat dans le bois avec des succès variés.

Il restait à l'ennemi ses redoutes de droite; le général comte Morand y marche et les enlève; mais, à neuf heures du matin, attaqué de tous côtés, il ne peut s'y maintenir. L'ennemi, encouragé par ce succès, fit avancer sa réserve et ses dernières troupes pour tenter encore la fortune: la garde impériale en fait partie. Il attaque notre centre, sur lequel avait pivoté notre droite. On craint pendant un moment qu'il n'enlève le village brûlé ; la division Friant s'y porte; quatre-vingts pièces de canon françaises arrêtent d'abord et écrasent ensuite les colonnes ennemies, qui se tiennent pendant deux heures serrées sous la mitraille, n'osant pas avancer, ne voulant pas reculer, et renonçant à l'espoir de la victoire. Le roi de Naples décide leur incertitude; il fait charger le quatrième corps de cavalerie, qui pénètre par les brèches que la mitraille de nos canons a faites dans les masses serrées des Russes et les escadrons de leurs cuirassiers; ils se débandent de tous côtés. Le général de division comte Caulaincourt, gouverneur des pages de l'Empereur, se porte à la tête du cinquième de cuirassiers, culbute tout, entre

dans la redoute de gauche par la gorge. Dès ce moment plus d'incertitude, la bataille est gagnée : il tourne contre les ennemis les vingt et une pièces de canon qui se trouvent dans la redoute. Le comte Caulaincourt, qui venait de se distinguer par cette belle charge, avait terminé ses destinées; il tombe mort, frappé par un boulet; mort glorieuse et digne d'envie !

Il est deux heures après midi; toute espérance abandonne l'ennemi. La bataille est finie; la canonnade continue encore : il se bat pour sa retraite et son salut, mais non plus pour la victoire.

La perte de l'ennemi est énorme ; douze à treize mille hommes et huit à neuf mille chevaux russes ont été comptés sur le champ de bataille; soixante pièces de canon et cinq mille prisonniers sont restés en notre pouvoir.

Nous avons eu deux mille cinq cents hommes tués et le triple de blessés. Notre perte totale peut être évaluée à dix mille hommes; celle de l'ennemi à quarante ou cinquante mille. Jamais on n'a vu pareil champ de bataille. Sur six cadavres il y en avait un français et cinq russes. Quarante généraux russes ont été tués, blessés ou pris; le général Bagration a été blessé.

Nous avons perdu le général de division comte Montbrun, tué d'un coup de canon; le général comte Caulaincourt, qui avait été envoyé pour le remplacer, tué d'un même coup une heure après.

Les généraux de brigade Compère, Plauzonne, Marion, Huart ont été tués; sept ou huit généraux ont été blessés, la plupart légèrement. Le prince d'Eckmülh n'a eu aucun mal. Les troupes françaises se sont couvertes de gloire et ont montré leur grande supériorité sur les troupes russes.

Telle est en peu de mots l'esquisse de la bataille de la Moskwa, donnée à deux lieues en arrière de Mojaisk et à vingt-cinq lieues de Moscou, près de la petite rivière de la Moskwa. Nous avons tiré soixante mille coups de canon, qui sont déjà remplacés par l'arrivée de huit cents voitures d'artillerie, qui avaient dépassé Smolensk avant la bataille. Tous les bois et les villages depuis le champ de bataille jusqu'ici sont couverts de morts et de blessés. On a trouvé ici deux mille morts ou amputés russes. Plusieurs généraux et colonels sont prisonniers.

L'Empereur n'a jamais été exposé; la garde ni à pied ni à cheval, n'a donné et n'a perdu un seul homme. La victoire n'a jamais été incertaine. Si l'ennemi, forcé dans ses positions, n'avait pas voulu les reprendre, notre perte aurait été plus forte que la sienne; mais il a détruit son armée en la tenant depuis huit heures jusqu'à deux sous le feu de nos batteries et en s'opiniâtrant à reprendre ce qu'il avait perdu : c'est la cause de son immense perte.

Tout le monde s'est distingué : le roi de Naples et le duc d'Elchingen se sont fait remarquer.

L'artillerie, et surtout celle de la garde, s'est surpassée ; des rapports détaillés feront connaître les actions qui ont illustré cette journée.

Moscou, le 26 septembre 1812.

Dix-neuvième bulletin de la grande armée.

Depuis la bataille de la Moskwa l'armée française a poursuivi l'ennemi sur les trois routes de Mojaisk, de Svenigorod et de Kalouga sur Moscou.

Le roi de Naples était le 9 à Koubinskoë, le vice-roi à Rouza et le prince Poniatowski à Feminskoë. Le quartier général est parti de Mojaisk le 12, et a été porté à Pesclina; le 13 il était au château de Barwka; le 14, à midi, nous sommes entrés à Moscou. L'ennemi avait élevé sur la montagne des Moineaux, à deux werstes de la ville, des redoutes qu'il a abandonnées.

La ville de Moscou est aussi grande que Paris; c'est une ville extrêmement riche, remplie des palais de tous les principaux de l'empire. Le gouverneur russe, Rostopchin, a voulu ruiner cette belle ville lorsqu'il a vu que l'armée russe l'abandonnait. Il a armé trois mille malfaiteurs qu'il a fait sortir des cachots; il a appelé également six mille satellites et leur a fait distribuer des armes de l'arsenal.

Notre avant-garde, arrivée au milieu de la ville, fut accueillie par une fusillade partie du Kremlin. Le roi de Naples fit mettre en batterie quelques pièces de canon, dissipa cette canaille et

s'empara du Kremlin. Nous avons trouvé à l'arsenal soixante mille fusils neufs et cent vingt pièces de canon sur leurs affûts. La plus complète anarchie régnait dans la ville; des forcenés ivres couraient dans les quartiers, et mettaient le feu partout. Le gouverneur Rostopchin avait fait enlever tous les marchands et négociants par le moyen desquels on aurait pu rétablir l'ordre. Plus de quatre cents Français et Allemands avaient été arrêtés par ses ordres; enfin il avait eu la précaution de faire enlever les pompiers avec les pompes; aussi l'anarchie la plus complète a désolé cette grande et belle ville, et les flammes la consument. Nous y avions trouvé des ressources considérables de toute espèce.

L'Empereur est logé au Kremlin, qui est au centre de la ville, comme une espèce de citadelle entourée de hautes murailles. Trente mille blessés ou malades russes sont dans les hôpitaux, abandonnés, sans secours et sans nourriture.

Les Russes avouent avoir perdu cinquante mille hommes à la bataille de la Moskwa; le prince Bagration est blessé à mort. On a fait le relevé des généraux russes blessés ou tués à la bataille : il se monte de quarante-cinq à cinquante.

Moscou, le 17 septembre 1812.

Vingtième bulletin de la grande armée.

On a chanté des Te Deum en Russie pour le combat de Polotsk; on en a chanté pour les combats de Riga, pour le combat d'Ostrowno, pour celui de Smolensk; partout, selon les relations des Russes, ils étaient vainqueurs, et l'on avait repoussé les Français loin du champ de bataille : c'est donc au bruit des Te Deum russes que l'armée est arrivée à Moscou. On s'y croyait vainqueurs, du moins la populace, car les gens instruits savaient ce qui se passait.

Moscou est l'entrepôt de l'Asie et de l'Europe; ses magasins étaient immenses; toutes les maisons étaient approvisionnées de tout pour huit mois. Ce n'était que de la veille et du jour même de notre entrée que le danger avait été bien connu. On.

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