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communication avec la Nation par une proclamation solennelle, où les exhortations les plus fraternelles s'allient aux promesses les mieux faites pour apaiser les impatiences populaires. J'en extrais le passage suivant: «... La liberté ne vit que dans l'ordre; l'égalité s'appuie sur le respect des lois ; la fraternité veut la paix; ce n'est que dans une société tranquille que le travail prospère et que le progrès s'accomplit. Que tous ceux qui souffrent espèrent en nous! Travailleurs de nos villes et de nos champs, tous les voeux, tous les besoins, toutes les misères nous créent des devoirs sacrés; notre dévouement les remplira! Ce que la République a déjà fait pour votre dignité en vous rendant vos droits de citoyen, elle s'efforcera de le faire pour votre bonheur... »

Certes, le peuple, le vrai peuple devait comprendre un tel langage, et il le comprit. De tous les points de la France, des adresses de félicitations arrivent; les gardes nationales sont unanimes à offrir un concours patriotique; l'artillerie de la garde nationale parisienne elle-même demande un poste autour de l'Assemblée.

Une perquisition chez Sobrier, un des meneurs les plus redoutables, amène la découverte d'un dépôt d'armes et de munitions qui sont immédiatement saisies. Sobrier est arrété. D'autres agitateurs non moins dangereux, Blanqui, Raspail père, Raspail neveu, le colonel d'état-major Saisset sont également arrêtés et conduits à Vincennes. Le club des Droits de l'homme, au Palais-National, le club Blanqui, tous ceux dans lesquels on délibère en armes, sont fermés. L'armée est rappelée dans Paris et fraternise avec la garde nationale. Les Montagnards, ces prétoriens farouches du premier préfet de police de la République, sont dissous et désarmés. Pour surveiller avec certitude les menées occultes des agitateurs, la Commission Exécutive se fait allouer 500,000 francs de fonds secrets. Elle ne craint pas de s'approprier ainsi des pratiques de la Monarchie contre lesquelles ses membres s'étaient autrefois élevés; et il faut l'en louer.....

Le directeur des ateliers nationaux, le citoyen Émile Thomas, soupçonné de manquer de fermeté et de laisser pro

pager parmi les ouvriers des doctrines subversives, est relevé de ses fonctions, envoyé de force remplir une mission en province. Le bon vouloir et le dévouement du gouvernement ne sont pas douteux. Malheureusement il y a des faiblesses et peut-être des trahisons. Huber est mis en liberté par l'ordre du maire du IV arrondissement; d'autres prisonniers sont relâchés à la préfecture de police, par Caussidière. L'Assemblée, anxieuse, demande des explications. Caussidière les donne sur ce ton de fausse et astucieuse bonhomie qui lui est familier, et qui ne trompe personne. Le résultat est sa démission. Le représentant Trouvé-Chauvel, que son dévouement aux idées d'ordre recommande à la confiance de l'Assemblée, est appelé à le remplacer. Le ministre de la guerre, Charras, qui s'est attiré le reproche d'avoir intentionnellement laissé, dans la journée du 15 mai, quatre bataillons d'infanterie, un escadron de cavalerie et six pièces d'artillerie inactifs à l'École militaire, partage le sort de Caussidière; son successeur est le général Cavaignac.

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Malgré ces actes d'une incontestable énergie, le rétablissement de l'ordre matériel n'avait pu être obtenu. Les troubles de la rue n'avaient pas cessé. A tout moment, il se faisait des rassemblements tantôt sur un point, tantôt sur un autre; et, chose étrange, de nature à donner à réfléchir, — le nom du prince Louis-Napoléon était mêlé à ces agitations toujours renaissantes. Plus d'une fois le cri de Vive Louis-Napoléon! — Vive l'Empereur! avait été entendu; et ce qui pouvait imprimer plus de gravité à ce fait singulier, c'est qu'il coïncidait avec des propositions nées de l'initiative parlementaire et de nombreuses pétitions ayant pour objet le rétablissement de l'effigie de l'Empereur sur la croix de la Légion d'honneur.

Était-ce à l'insu du Prince et malgré lui que se passaient ces choses, comme ses amis et lui l'affirmaient? La Commission Exécutive eut des doutes. Bien que trois Bonaparte eussent été précédemment admis comme représentants du peuple, elle chargea M. de Lamartine d'exposer devant l'Assemblée les motifs qui la déterminaient à maintenir à

l'égard de Louis-Napoléon la loi d'exil, tant qu'elle n'aurait pas été abrogée.

Le Prince, averti, protesta par une lettre qui est encore présente à tous les esprits.

En dépit de M. de Lamartine et de ses collègues, lors des réélections du 5 juin, Louis-Napoléon fut élu dans quatre départements, dont le département de la Seine.

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Oui, ce peuple de Paris, qui venait de renverser monarchie, au nom de la République démocratique, se retournant tout à coup sur lui-méme; avait imaginé de se faire représenter par un candidat qui devait être un jour l'Empereur! Grand émoi partout. Des trois rapporteurs, M. Jules Favre, pour l'élection par le département de la Charente-Inférieure, et un autre représentant pour l'élection par le département de l'Yonne, conclurent en faveur du Prince. Le troisième, l'ancien président Buchez, pour l'élection par le département de la Seine, présenta des conclusions en sens contraire. Après un débat long et mouvementé, l'Assemblée, à une grande majorité, se prononça, malgré l'opposition du gouvernement, pour l'admission.

Qu'est-ce que cela voulait dire? En présence de tant de misères et de douleurs faites par la Révolution, n'y avait-il pas au fond des cœurs, fussent-ils des cœurs républicains, des sympathies intimes, latentes, qu'il eût peut-être été difficile d'analyser, pour un Nom qui symbolisait l'ordre et le respect de l'autorité?

Le Prince répondit de Londres à l'acte de l'Assemblée par la lettre suivante :

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« Je partais pour me rendre à mon poste, lorsque j'apprends que mon élection sert de prétexte à des troubles déplorables et à des erreurs funestes. Je n'ai pas recherché l'honneur d'être représentant du peuple, parce que je savais les soupçons injustes dont j'étais l'objet ; je rechercherai encore moins le pouvoir.

« Si le peuple m'impose des devoirs, je saurai les remplir; mais je désavoue tous ceux qui me prèteraient des intentions ambitieuses que je n'ai pas. Mon nom est un symbole d'ordre, de nationalité et de gloire, et ce serait avec la plus vive douleur que je le verrais servir à augmenter les troubles et les déchirements de la patrie. Pour éviter un tel malheur, je resterais plutôt en exil; je suis prêt à tous les sacrifices pour le bonheur de la France..."

Cette phrase « si le peuple m'impose des devoirs, je saurai les remplir» fit oublier tout ce que la lettre exprimait de sentiments nobles et désintéressés; le fantôme du prétendant se dressa devant l'Assemblée stupéfaite et irritée.

Je transcris ici les paroles du général Cavaignac : « L'un des membres du gouvernement provisoire vous a dit, il y a quelques jours, qu'une personne seule n'avait pas parlé. Ce silence vient d'être rompu. L'émotion qui m'agite ne me permet pas d'exprimer, comme je le désirerais, toute ma pensée; mais ce que je remarque, c'est que dans cette pièce qui devient historique, le nom de la République n'est pas prononcé. Je me borne à signaler cette pièce à l'attention de l'Assemblée nationale, à l'attention et au souvenir de la nation tout entière. »

Outre que ces paroles traduisent assez exactement l'état des esprits sur la plupart des bancs, elles ont le mérite original et piquant d'opposer pour la première fois l'un à l'autre deux hommes qui, sous peu de mois, se retrouveront en présence dans une lutte suprême, où ils auront, non plus une Assemblée, mais la Nation elle-même pour juge. Le Prince, informé de la façon dont sa lettre avait été comprise, voulut couper court à toutes les interprétations en envoyant sa démis

sion.

Cependant la rue ne cesse d'être troublée. Des soulèvements qui ont leur cause dans la perception de l'impôt si impopulaire des 45 centimes éclatent dans plusieurs départements. Une loi improvisée sur les attroupements est impuissante contre les séditions et les révoltes.

Le gouvernement avait montré une réelle vigueur; mais il

avait faibli sur des questions capitales. Ainsi le procureur général Portalis et le procureur de la République Landrin avaient demandé l'autorisation d'exercer des poursuites contre Louis Blanc. La commission chargée de l'examen de cette demande, proposait, par l'organe de son rapporteur M. Jules Favre, qui ne pouvait être suspect de préventions hostiles à l'inculpé, d'accorder cette autorisation. L'Assemblée refusa. Tous les membres de la Commission Exécutive, anciens membres du gouvernement provisoire dont Louis Blanc avait fait lui-même partie, tous les ministres votèrent contre les conclusions de la commission. Désavoués par le gouvernement et, en particulier, par le ministre de la justice, le citoyen Crémieux, de qui ils relevaient, les deux fonctionnaires du parquet donnèrent leur démission. Ils expliquèrent qu'ils n'avaient pas introduit l'affaire sans l'assentiment du gouvernement et que le ministre de la justice s'était engagé à associer sa responsabilité à la leur : grand scandale qui obligea le ministre à se démettre lui-même de sa charge. Pour le citoyen Crémieux, ce fut une disgrâce et une chute; pour le procureur général Portalis, fidèle aux traditions d'honneur dont son nom était un symbole, ce fut une retraite spontanée et un triomphe moral.

Une telle aventure n'était pas faite pour imposer aux entrepreneurs d'émeutes le respect de l'autorité et des lois.

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Un représentant, M. Isambert, avait présenté un projet de décret en un article ainsi conçu: « Les clubs sont prohibés. La Commission Exécutive, enchaînée par cette idée que la Révolution du 24 février était le triomphe du droit de réunion, refusa d'y souscrire; et la prise en considération ne fut pas

votée.

Tous les jours des journaux d'une violence inouïe, le journal l'Organisation du travail, le journal la Réforme, étaient dénoncés comme poussant au pillage, à l'assassinat... Le gouvernement, persuadé que la Révolution de février devait être le triomphe de la liberté de la presse, restait immobile devant ces provocations. Il ne paraissait pas comprendre que les mesures prises demeureraient insuffisantes et ineffi

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