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l'est, un autre dans le midi, un troisième dans l'ouest? De quelles missions extraordinaires pouvaient être chargés le général Rostolan, le général Gémeau, et un autre? Que signifiait ce déploiement de forces inusité? Quels ennemis s'agissait-il de combattre? Tout cela ne cachait-il pas de criminels desseins contre la Constitution et contre la République?...

Après ces points d'interrogation qui n'avaient rien de bien neuf, le citoyen Duprat s'abandonna, pour la vingtième fois peut-être, à ses épouvantes ordinaires. Il ne voyait dans ses réves que le Prince-Président, des projets ambitieux, des allures suspectes... Depuis l'avènement du Prince, il s'était étudié à suivre d'un regard attentif le fil de ses machinations ténébreuses. Aucune de ses manoeuvres ne lui avait échappé; il l'avait surpris tour à tour flattant les soldats, les ouvriers, le clergé, les magistrats, les journalistes, — n'avaitil pas voulu qu'un journal s'appelat le Napoléon? Malgré toutes les finesses de sa tactique, toutes ses subtilités de conspirateur éprouvé, il avait fini par laisser lire dans son jeu... Le drame se développait sans relâche et passait par les péripéties ordinaires; les déguisements et les ruses de l'acteur n'empêchaient plus de deviner le dénouement..... L'Assemblée laisserait-elle sommeiller sa vigilance? Son incrédulité résisterait-elle à de telles évidences? Ces grandes organisations militaires cachaient un piège tendu à sa confiance trop facile... Si elle refusait d'ouvrir les yeux, nul doute qu'un jour elle ne s'y trouvat prise...

Telles furent les doléances qu'au lieu d'interpellations sérieuses, M. Pascal Duprat fit entendre à la tribune.

Le ministre de la guerre, général d'Hautpoul, ne se fit pas moins un scrupule de renverser tout cet échafaudage d'accusations insensées. Au reproche d'illégalité, il se borna à opposer des exemples pris entre beaucoup d'autres, dans l'histoire contemporaine, et qui ne supportaient aucune réplique.

Les divisions militaires avaient été instituées par une loi de 1791. Depuis elles avaient subi une foule de variations,

toutes par le régime des ordonnances, et sous tous les gouvernements qui s'étaient succédé.

Quant à l'opportunité, - n'était-il pas naturel que le gouvernement, qui était appelé à veiller sur le maintien des lois, sur le maintien de la Constitution, à veiller sur les intéréts de tous les citoyens, prit sous sa responsabilité, prêt à en rendre compte à l'Assemblée, tous les moyens que la prévoyance exigeait, pour parer à toutes les éventualités? De toutes parts, malgré des répressions qui faisaient croire qu'on en avait fini avec elles, les sociétés secrètes conspiraient. dans l'ombre, n'ayant pas le courage de conspirer au soleil... De toutes parts, elles cherchaient à faire pénétrer dans les masses des doctrines subversives au moyen desquelles elles espéraient arriver à un cataclysme social. En investissant trois généraux d'un commandement supérieur à celui des divisions ordinaires, le gouvernement avait voulu mettre plus d'unité, plus d'action, plus de rapidité dans les mouvements de troupes, dans le cas où il deviendrait nécessaire d'en exécuter. Il avait voulu que ces généraux, jugeant la situation, pussent immédiatement concentrer leurs hommes et agir avec promptitude, selon les circonstances... On comprenait que cette mesure déplût à certains esprits; on comprenait que les hommes qui auraient voulu trouver le gouvernement. endormi dans une grande sécurité, fussent mécontents de voir que des précautions étaient prises... Tous les bons citoyens devaient s'en réjouir, elles ne pouvaient offusquer que ceux qui auraient eu des intentions inavouables et de mauvais desseins...

Une vive et bruyante approbation de la majorité couvrit le discours du ministre. Pourquoi faut-il qu'un général qui s'était acquis une sorte de notoriété dans les luttes de nos soldats pour la Grèce chrétienne et libre, contre les entreprises oppressives des musulmans de Constantinople, ait cru pouvoir, sans se renier lui-même, faire écho aux plaintes hypocrites et haineuses du citoyen Duprat? Le général Fabvier car il faut bien le nommer - avait foi dans les sentiments généreux et patriotiques du peuple... Au lieu de

chercher à l'asservir, il fallait se jeter dans ses bras, se confier à sa loyauté, à son désintéressement; on eût tout obtenu de lui... Au lieu de songer à réprimer ses nobles instincts et de l'entourer de soldats pour le contenir, il fallait devancer les mouvements agressifs des ennemis de la France et envoyer nos armées aux frontières... Le peuple eût été tout élan, tout enthousiasme... Les agglomérations de troupes, à l'intérieur, et les commandements extraordinaires eussent été inutiles... On avait fait fausse route et on s'était ménagé, par des défiances injustes, des difficultés et des embarras qu'il était facile de s'épargner...

C'était une douleur véritable d'entendre divaguer de la sorte un brave militaire qui avait servi avec honneur sur tous les champs de bataille, et qui ne s'apercevait pas de tout le mal qu'il faisait, par de tels encouragements aux espérances d'une démagogie toujours prête à se ruer sur la société. C'était le rôle du citoyen Lagrange que le vieux et candide général Fabvier usurpait... Le citoyen Lagrange le revendiqua avec une grande vivacité de paroles et de gestes, et le remplit de façon à se satisfaire, sinon à satisfaire les autres. Après quoi, l'ordre du jour fut voté sur les interpellations, par 437 voix contre 183...

La morale de tels débats, c'est que la guerre se perpétuait contre les droits du Prince-Président. Ainsi provoqué, calomnié à outrance, lui eût-il été interdit de prévoir des attaques plus directes? Et, en supposant qu'il prit ses mesures et qu'il se mit sur ses gardes, était-ce bien à l'opposition à s'en plaindre?

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Les hommes d'anarchie avaient concentré toutes leurs espérances sur les élections de 1852. L'élection d'un nouveau président avait surtout le privilège d'exciter jusqu'au paroxysme de l'exaltation, leurs passions vengeresses. Il n'y avait pas de manoeuvres corruptrices auxquelles ils n'eussent recours pour pervertir l'esprit des masses mensonges, calomnies, promesses, menaces, tous les moyens leur étaient bons pour détacher les populations des idées d'ordre, et les rallier aux utopies spoliatrices du socialisme. Déjà le travail était fait dans les grandes villes, poursuivi avec acharnement dans les autres, et entrepris sur une vaste échelle dans les

campagnes.

:

Une brochure, entre autres, publiée à Londres, mais à l'usage de la France, reproduite par des journaux français et répandue partout, indiquait le sens pratique que devaient avoir les élections sur lesquelles se portaient toutes les attentions. et toutes les études des sectes et des écoles socialistes. L'abolition du prêt à intérêt, la suppression du régime des salaires, l'association universelle en industrie, l'association universelle en agriculture, l'abolition de la concurrence, la fin de l'antagonisme des sociétés, la réalisation de la formule sainte : liberte, égalité, fraternité tel était le but complexe, mais clair et définitif, qu'il fallait à tout prix atteindre. Le nom de Louis Blanc circulait sur tous les bancs de l'Assemblée.

Il y avait une espèce de catéchisme qui embrassait les questions auxquelles était condamné à répondre tout candidat qui voudrait être accepté et soutenu par les socialistes:

(

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« Étes-vous socialiste?

Regardez-vous le prét à intérêt comme illégitime en principe? Etes-vous pour un système qui conduirait graduellement, mais inévitablement, à le supprimer? Et quel est. selon vous, le système qui mènerait à ce but?

« Regardez-vous le salariat comme une dernière forme de l'esclavage?

«Etes-vous pour un régime d'association qui tendrait à le faire disparaître? Et sur quelles bases pensez-vous qu'on dût faire reposer ce régime d'association?

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Regardez-vous comme le plus impérieux, le plus pressant, le plus sacré des devoirs de l'État, celui d'extirper la misère et d'affranchir définitivement les prolétaires, celui d'effacer du vocabulaire de la langue française le mot pau

vres?

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« Êtes-vous pour l'organisation démocratique de l'État chargé de cette grande tâche, et qui, pour la remplir, ne doit étre que la société elle-même, agissant en tant que société, c'est-à-dire par des mandataires révocables et responsables?

« Pensez-vous qu'il soit juste, conforme aux lois de la nature humaine, qu'il soit dans l'intérêt de tous, sans exception, que, dans une société fraternellement constituée, les forces soient mises en commun pour la production, et les produits en commun pour la consommation, ainsi que cela se pratique dans la famille? Que si cette limite du progrès ne peut pas être atteinte immédiatement, si vous en jugez de la sorte, ètes-vous du moins pour toutes les mesures qui pousseraient en ligne droite vers ce but supréme? »

Quand la société française semblait mise en péril par ces doctrines, n'était-il pas du devoir du gouvernement d'user de tous les pouvoirs qu'il tenait de la volonté nationale pour se défendre? Contre l'avènement prédit, légal du socialisme, ne devait-il pas redoubler de vigilance, s'armer de toutes pièces, attaquer l'ennemi en face et le réduire à l'impuissance de nuire?

La loi du 22 juin 1849 avait prononcé l'interdiction des clubs pendant un an, comme si une année devait suffire pour

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