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mouvement, qui fait votre apologie! Qu'oppose-t-on YOS principes? Deux choses très contradictoires. On a prétendu (M. Thouret) que toute opposition serait dangereuse, qu'il fallait faire fraterniser les pouvoirs; un instant après on a dit (M. Duport) qu'il fallait une opposition dans une Asseu blée nationale pour garantir au peuple, que tous les intérêts auront été discutés, que toutes les raisons auront été mises au jouron dit d'un côté que si les législateurs ne peuvent pas devenir ministres l'opposition sera trop faible; de l'autre côté on dit qu'elle sera trop forte....

» Messieurs, elle ne sera ni trop forte ni trop faible; elle sera une opposition telle qu'elle doit être; elle sera une opposition patriotique, et non une opposition de cupidité. Je réponds d'abord à ceux qui disent qu'elle sera trop faible qu'ils ne peuvent dans leur système avoir une opposition d'une juste mesure de forces qu'autant qu'ils supposent dans l'Assemblée beaucoup de ses membres qui peuvent attaquer les ministres pour s'emparer des places ministérielles. Hé bien, messieurs, pareille opposition est évidemment destructive à la fois et du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif, parce que des homines intrépides et intrigans ne manquent jamais de prétexte pour les harceler au gré de leurs intérêts, quand même ils en ont le moins de raison; ils énervent par là le pouvoir exécutif lorsqu'il a besoin d'être en action ; mais ils avilissent aussi le pouvoir législatif; car dès que leurs vues ne sont pas justes dès que leurs vues ne sont pas prises dans l'intérêt public, dès qu'elles partent de leur intérêt privé, elles dégradent par là l'opposition elle-même; par là elles dégradent le principe de la résistance qu'on a fait de tout temps aux ministres, en en dépravant le principe et la source.

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» J'ai une autre réponse à faire à ceux qui ont dit qu'en Angleterre on peut devenir ministre, el que par cette raison toujours on nettoie la place du ministère.... Hé bien, messieurs, je réponds à ceux qui ne veulent supposer d'opposition qu'autant qu'il y a de l'intérêt personnel pour les membres de la législature, que nous ne sommes pas en France du tout dans le même cas que l'Angleterre; car en Angleterre il n'y a de places pour les ambitieux que celles que

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donne le roi, au lieu qu'en France on a encore beaucoup de récompenses à attendre du peuple en vertu de vos institutions mêmes lorsqu'on s'est montré défenseur de sa cause,. puisque, le gouvernement étant essentiellement représentatif dans toutes ses branches, le peuple trouve par là le moyen de reconnaître ceux qui lui ont rendu de véritables services. Ainsi donc vous aurez toujours, et réellement pour l'intérêt du peuple, et par l'intérêt particulier, qui se confond avec celui du peuple, une forte opposition, mais une opposition patriotique et sainte dans le sein de l'Assemblée nationale : ainsi s'évanouissent toutes les craintes qu'on vous a présentées. >> On dit au reste, messieurs, qu'il serait désirable que le peuple pût avoir quelque part à la nomination des ministres; que l'unique moyen de lui donner cette participation sans danger est de laisser passer les membres de la législature dans le corps ministériel.... Hé bien, messieurs, quand cela serait vrai qu'en résulterait-il? Le système de suspension de quatre années n'empêche certainement pas que des gens que le peuple aura honorés de son choix, qu'il aura placés dans la législature, ne puissent être ministres; il n'y a évidemment qu'une lacune de quatre années à l'exercice de cette faculté de la part du roi, car, les quatre premières années écoulées, il est clair qu'il se succédera dans le nombre des hommes parmi lesquels le roi pourra choisir. Je conclus donc, messieurs, par dire que non seulement le parti de l'opposition, si l'on me permet de me servir de ce mot, peut invoquer ici et le décret et le titre constitutionnel qui lui a été donné, mais aussi les motifs qui ont été sentis alors par tout le monde, quoiqu'ils n'aient été exposés par personne, pour donner ce décret et le faire placer dans l'acte constitutionnel.

» Je finis par une dernière observation. Quand même ce décret ne vaudrait rien pour une législature il serait excellent pour tous les corps constituans; il serait nécessaire dans tout corps qui crée des pouvoirs; et je ferai observer à l'Assemblée que si l'on rejetait ce décret parmi les articles purement réglementaires, il est évident que rien n'empêeherait que les membres de cette législature ne pussent être élus incessamment au ministère, car le premier acte que pour

rait faire la législature qui nous remplacera serait d'anéantirle décret, même pour les membres sortis du corps constituant, et après demain.... (Applaudissemens.) Je finis. » (Aux voix, aux voix. La question préalable.)

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MM. Goupil et Chabroud demandent que le décret soit applicable à l'Assemblée actuelle, mais non aux législatures qui la suivront.

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M. Buzol. « Je m'oppose d'abord à ce que vient de demander le préopinant, et par une raison bien simple; c'est que certainement si l'article ne vaut rien pour cette législature-ci il ne vaut rien non plus pour la législaturo nouvelle, car, quoi qu'on en puisse dire, j'aimerais autant que les députés actuels entrassent dans le ministère que les députés à venir. Mais j'ai demandé la parole pour un amendement qui peut-être conciliera tout le monde; c'est pour accor der cet article avec un autre qui est également constitutionnel. Vous avez dit, messieurs, qu'un législateur ne pourrait être commissaire du roi que deux années après la législature; je ne vois pas de raison pourquoi il y aurait ici quatre ans lorsque dans l'autre cas il n'y en a que deux. Je crois que pour ne pas mettre de dissonance dans vos décrets il faut se contenter de deux ans, non seulement pour l'Assemblée actuelle, mais pour les législatures à venir, mais pour toujours, pour tout le monde, Mon amendement est qu'on change les quatre années en deux. » (Nombreux applaudissemens.)

Cet amendement est mis aux voix, et adopté à une grande majorité. L'Assemblée confirme et décrète, comme disposition constitutionnelle, « que les membres de l'Assemblée actuelle et des législatures suivantes ne pourront être promus au ministère ni à aucunes places données par le pouvoir exécutif pendant la durée de leurs fonctions ni pendant deux ans après en avoir cessé l'exercice. »> Ainsi se trouvait adoptée la motion de M. Saint-Martin; seulement il avait demandé que le décret du 7 avril 1791 fût placé dans la section III, chapitre 1er du titre III, et il fut reporté à la partie relative aux ministres, section IV, chapitre II du même titre.(Voyez la Constitution.)

La séance du 13 se termina par la lecture et l'adoption successive des articles du projet jusques et compris la première section, chapitre II du titre III. Le lendemain en rouvrant la discussion le rapporteur fit à l'Assemblée la déclaration qui suit :

M. Thouret, au nom des comités de Constitution et de révision. (Séance du 14 août 1791.)

« Messieurs, avant de commencer l'ordre du jour je suis chargé par les comités dont je suis l'organe de faire à l'Assemblée une observation qui n'interrompra pas la suite du travail, que je vais reprendre immédiatement après. L'Assemblée veut certainement, tant pour son honneur que pour le salut de la France, établir par la Constitution un gouvernement stable, et tel qu'il donne au pouvoir exécutif les moyens de concourir au maintien de la liberté publique sans pouvoir jamais l'opprimer, et qu'il ait cependant tous les moyens de sûreté et d'énergie nécessaires pour être capable de maintenir l'ordre public : c'est la difficulté d'atteindre ce double but qui a fixé principalement votre attention, et qui, j'ose le dire à l'Assemblée, a fait en quelque sorte notre tourment pendant tout le travail de la révision. Bien convaincus du désir de l'Assemblée d'étendre jusqu'au dernier terme possible toutes les précautions contre le danger des tentatives et des attributions du pouvoir exécutif, nous avons calculé sévèrement tout ce qui pouvait en être retranché, et nous n'avons laissé que les dispositions sans lesquelles il était démontré pour nous qu'il n'est point de gouvernement effectif et durable.

» L'observation sur laquelle les comités désirent fixer votre attention est que dans le plan qu'ils ont présenté tout était lié, tout était correspondant, et que, comme il n'y avait que le nécessaire très juste, tout changement important a dû en altérer les bases. Par exemple, c'était en compensant dans la main du roi l'affaiblissement des moyens de puissance par la restitution des moyens de confiance et de facilité dans le choix de ses agens que nous avions pensé qu'il pourrait remplir les fonctions difficiles du pouvoir exécutif, et qu'avec un

roi attaché à la Constitution nous pourrions avoir un bon gouvernement.

» Vos comités ont donc dû prendre en considération les résultats des changemens opérés depuis deux jours dans notre plan par les délibérations de l'Assemblée; et c'est après la méditation la plus approfondie, après un examen religieux et digne des hommes honorés tant de fois de votre confiance, et qui ont travaillé avec tant de persévérance à cet ouvrage même de la Constitution, que nous avons unanimement reconnu que les entraves mises à la rééligibilité, combinées avec l'interdiction au pouvoir exécutif de prendre dans les membres d'une législature finissant les agens qui lui seront nécessaires, et que le peuple aura jugés dignes de sa confiance, détruisent tous les moyens de force et d'énergie du pouvoir exécutif, et enlèvent réellement tout ce que nous avions laissé subsister de bases efficaces pour l'établissement d'un gouvernement actif et durable.

» Notre unanimité sur ce point capital nous a fait penser aussi qu'il était de notre devoir, de notre honneur, et de la courageuse persistance que vous devez attendre de nous, de vous faire cette déclaration de l'opinion des comités, que la Constitution telle qu'elle existe maintenant ne saurait aller et atteindre le but que nous nous sommes tous proposé.

» Nous ne cherchons pas à faire prévaloir notre opinion, quelque évidente qu'elle nous paraisse; mais lorsque nous touchons tous à une responsabilité commune, qui s'attachera plus particulièrement aux comités sur les parties de leur travail, chacun des membres de l'Assemblée doit méditer encore à part soi, froidement, impartialement, sur les grands intérêts de ses commettans, avant que l'acte d'où doit dépendre irrévocablement le bonheur ou le malheur du peuple français soit irrévocablement consommé. Je passe à l'ordre du jour. »

Cette déclaration fut accueillie avec froideur. On reprit aussitôt la discussion, De légers amendemens admis ou rejetés sans opposition, le renvoi aux comités de quelques propositions pour être examinées à la fin de la révision, permirent à l'Assemblée de décréter dans la même séance

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