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membres, et y fortifier de leurs réflexions et de leurs suffrages les diverses opinions favorables à leurs avis qu'on y a soutenues; par lå ils auraient évité des longueurs à l'Assemblée. (Applaudissemens.) Mais il n'y a point de fin de non recevoir contre la raison et la justice, et je dirai avec franchise que parmi les objections faites par MM. Buzot et Pétion il en est de justes, il en est d'inutiles, il en est de dangereuses. Quant à ce qui regarde la liberté de la presse, il n'y a qu'un petit nombre d'idées fondamentales qui sous la forme de principes peuvent être placées dans l'acte constitutionnel, savoir, 1° que chacun puisse écrire et imprimer sans qu'aucune législature puisse porter obstacle à l'exercice de ce droit; 2° que chacun réponde de l'abus de cette liberté ; 3° enfin que les libelles, ainsi que les délits de la presse, soient jugés par un juré. Lorsqu'on a dit cela on a dit tout ce qui est nécessaire sur cette question; le reste appartient à la loi.

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que

Quant à la demande d'un préopinant de placer dans la constitution que le roi n'a pas le droit de faire grâce, je me servirai de l'article qui sert de base à son raisonnement pour fonder la contradiction à son opinion. Il est dit que tous les délits seront punis des mémes peines or pour que cet article ait sa pleine exécution il faut de toute nécessité qu'il existe un droit d'équité qui établisse entre les peines les nuances qui existent entre des délits extérieurement les mêmes. Prenons un exemple: un particulier assassine un homme sans provocation, sans autre motif la haine ou la cupidité; il est infiniment plus coupable que celui qui tue un homme poussé par une provocation violente, par un motif qui rend son action sinon entièrement innocente, du moins excusable jusqu'à un certain point. Les deux délits sont matériellement les mêmes; néanmoius l'auteur de l'un est un scélérat; l'auteur de l'autre peut être un honnête homme. Afin donc que les deux délits soient punis des mêmes peines il faut que l'équité puisse tempérer la justice: il n'a jamais existé au monde de pays où la justice ait été rendue sans des moyens d'équité et d'adoucissement dans les peines.

» A qui ce droit sera-t-il remis maintenant? En Angle

terre et en Amérique même ce droit est remis au pouvoir exécutif, parce que les Américains ont copié les Anglais, et que, leur juré prononçant uniquement coupable ou non coupable, il a fallu laisser à quelqu'un le droit d'adoucir en certains cas la peine. Pour nous, messieurs, nous avons pensé qu'au moyen d'une prononciation différente des jurés il était possible de répartir entre les juges et les jurés le droit de déterminer les cas d'excuse. Nous n'avons aucun modèle à cet égard, et au contraire l'expérience des pays libres est contre nous; nous n'en avons pas moins proposé la loi, parce qu'elle nous a paru et nous paraît encore plus pure et meilleure. Mais, messieurs, il nous a paru trop hardi et trop dangereux d'établir dans la constitution même une disposition qui n'a pas pour elle la sanction de l'expérience; en effet, messieurs, la disposition qui abolit le droit de faire grâce étant absolument corrélative à la méthode des jurés que nous avons adoptée, si elle venait à être détruite par la législature, si l'on rétablissait la prononciation anglaise et américaine, coupable ou non coupable, il faudrait bien rétablir aussi un droit d'équité, lequel droit ne pourrait être remis évidemment qu'au roi, avec des formes déterminées. Dans de telles circonstances il fallait tout mettre dans la constitution, l'abolition du droit de faire grâce et ce qui en tient lieu, ou n'y rien mettre; et nous avons préféré ce dernier parti, afin que la constitution entière ne soit pas changée, que les malheurs et les troubles attachés à des conventions ne renaissent pas.

» Il ne reste plus qu'une observation; c'est celle qui a rapport au second paragraphe. On a observé à cet égard qu'on parlait beaucoup des droits politiques des Français, et point de leurs droits civils... Cette observation n'est pas juste, car les droits dont il s'agit ici sont civils, et non pas politiques. 11 me semble que le préopinant a poussé trop loin ses inquiétudes : il désire que l'on établisse qu'un particulier ne sera accusé que de telle manière, arrêté que de telle manière, jugé que de telle manière; or cela existe dans l'acte constitutionnel, dans la partie qui traite du pouvoir judiciaire. Il se peut qu'il eût mieux valu placer le tout

dans le titre actuel; et vous voyez, messieurs, que nous différons très peu des préopinans. Je les prie, messieurs, au nom des comités, d'y venir ce soir et d'y apporter leurs réflexions, afin de prévenir des débats inutiles et prolongés dans l'Assemblée. »

L'Assemblée renvoya tout le titre Ir à l'examen des comités, en ajournant la discussion au lendemain.

M. Thouret, au nom des comités de constitution et de révision. (Séance du août 1791.)

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«Messieurs, l'Assemblée nous a chargés de nous occuper du titre Ier. Les difficultés qui se sont élevées hier sur ce titre ont été aplanies aux comités, où M. Buzot et M. Pétion se sont rendus, de manière à ne pas retarder davantage la délibération de l'Assemblée. Il a été question d'abord de bien fixer l'objet de ce titre. Lorsque vous avez fait la Déclaration des Droits vous vous êtes occupés de rechercher quels étaient, antérieurement à la constitution, les droits individuels et les droits politiques que la constitution doit assurer et garantir; l'effet de cette recherche a été de vous faire reconnaître les droits de l'homme et du citoyen: votre Déclaration se borne à constater cette reconnaissance, pour servir de règle à la constitution, à la législation, à l'exercice du pouvoir exécutif. Ce qui est contenu dans cette Déclaration s'applique également à tous les hommes, de quelque condition qu'ils soient, et doit aussi servir de règle à tous les gouvernemens, quelque différence qu'il y eût entre le mode de ces gouvernemens et le nôtre. Ensuite, faisant la constitution française, il a été nécessaire d'appliquer à cette constitution même d'une manière spéciale la reconnaissance générale des droits de l'homme et du citoyen, et de les mettre sous la garantie de la constitution. Ce titre premier n'a été destiné qu'à énoncer cette garantie, qu'à constater que la constitution française remet sous sa sauvegarde et sous sa défense l'exercice de ces droits, compris dans l'acte constitutionnel. On a dit : quels sont les moyens de garantie? Il y en a d'abord un général et principal; ce moyen est la constitution; elle donne pour

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garantie le moyen qu'elle a pour elle-même, c'est à dire l'organisation du gouvernement... Votre constitution n'a point pour elle d'autre garantie que celle-là, et elle la communique. Mais on a dit : il serait désirable que sur les droits individuels des hommes il y eût dans l'acte constitutionnel quelques dispositions spéciales et plus détaillées qui missent ces droits-là à l'abri des entreprises qui pourraient être commises par les législatures.... Sur cela, messieurs, il est évident que ces moyens principaux de garantie ne sont pas nécessaires à employer dans le titre premier, dans ce titre primitif qui ne fait que garantir la constitution elle-même, qui n'est que l'objet des détails subséquens de la constitution; ainsi, pourvu que ces autres parties-là se trouvent dans les autres parties auxquelles elles correspondent, l'acte constitutionnel aura établi la garantie et les moyens de la réaliser. Sous ce rapport nous sommes convenus qu'en laissant subsister, à quelques corrections près, la rédaction du titre 1, les moyens plus efficaces et plus spéciaux se trouveraient placés dans les titres auxquels ils pourraient appartenir davantage par la nature de leur objet.

» Vous avez décrété la garantie du droit individuel d'aller, de rester, de partir, sans pouvoir être arrêté ni détenu que selon les formes prescrites par la constitution; or dans le pouvoir judiciaire nous proposons d'établir constitutionnellement ces formes, savoir, que nul individu ne puisse être arrêté ni détenu qu'en vertu d'un mandat de justice et de police; qu'arrêté, il soit incessamment traduit devant le tribunal; que pendant le temps que durera, son arrestation nécessaire il ne puisse être détenu que dans les lieux légalement établis pour servir de maisons d'arrêt.

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Quant à la liberté de la presse, nous avons tous élé d'accord et sur les principes qui doivent la protéger, et sur la nécessité d'établir une répression contre ses abus; car comme l'abus de la presse peut aller jusqu'au délit et jusqu'au crime, le délit et le crime commis par ce moyen ne peuvent pas être plus impunis que les autres délits et les autres crimes commis par d'autres modes. Mais pour que les légis– fatures n'abusent pas du droit qui leur est confié d'établir les

tois répressives, nous sommes également convenus de placer dans le titre judiciaire, avec les maximes fondamentales qui doivent assurer la liberté de la presse, la désignation des abus qui peuvent exiger les mesures de répression. Cette garantie consistera en ce que les moyens seront établis cons titutionnellement, de même que tous les articles qui sont dans l'acte constitutionnel. Un des plus efficaces sera que les délits soient recherchés et appréciés par des jurés; car ce n'est que parce qu'on a ôté cette attribution aux jurés en Angleterre pour la reporter aux juges, qui sont officiers du roi, caractérisés serviteurs de la couronne, que les Anglais ont perdu la liberté de la presse : mais en établissant constitutionnellement que le fait articulé d'un délit commis par la presse sera toujours caractérisé par un juré, c'est un des modes les plus efficaces, auquel on peut encore ajouter quelques autres articles établis constitutionnellement, et sur lesquels nous sommes convenus, MM. Pétion, Buzot et les comités, de faire de nouveaux efforts, de nouvelles recherches, un nouveau travail, jusqu'au moment où l'Assemblée s'occupera du titre du pouvoir judiciaire.

» Mais revenons à l'objet pour lequel le titre 1er a été mis dans notre projet. Il est en quelque sorte le supplément de la Déclaration des Droits, ou plutôt il en est la réalisation par la constitution française, et toute sa substance se réduit à énoncer dans l'acte constitutionnel la garantie donnée par la constitution aux droits naturels et civils de tous les citoyens; de là résulte déjà le premier moyen de garantie qui assure la constitution tout entière, c'est à dire qu'aucun des pouvoirs constitués ne peut altérer les dispositions comprises dans l'acte constitutionnel. Les moyens de détail se trouveront aussi dans l'acte constitutionnel, mais placés aux titres qui correspondent aux objets dont il s'agit maintenant.

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D'après cet exposé j'ai l'honneur de rappeler à l'Assemblée la disposition du titre 1er, et de lui faire observer les petits changemens qui ont été faits dans la rédaction pour le rendre concordant avec les articles adoptés hier; il doit, je crois, convenir à l'Assemblée, parce qu'il contient tout ce que nous avons eu en vue d'établir.

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