Page images
PDF
EPUB

d'élire par sections, mais quand il est forcé d'admettre une élection médiate, qui est par conséquent confiée à des délégués intermédiaires chargés d'élire au nom de ceux qui les commettent, et d'élire pour la nation.

[ocr errors]

» Alors la qualité d'électeur est fondée sur une commis→ sion publique, dont la puissance publique du pays a le droit de régler la délégation. Là, messieurs, il y a une alternative entre les deux partis qu'on peut adopter, ou de rendre la qualité très facile à obtenir, et elle ne présente pas alors une garantie très certaine de l'indépendance personnelle de chacun de ceux qui la remplissent, de l'intérêt très efficace qu'ils prennent au succès de la chose publique; on est alors obligé de renforcer la précaution contre les méprises : ou bien l'on peut rendre la qualité d'électeur plus difficile à obtenir, et parvenir par là à avoir des électeurs qui présentent à la société une plus grande garantie de leur indépendance personnelle et de l'intérêt très réel qu'ils prennent à la chose publique, et alors le meilleur parti est de leur abandonner l'exercice libre de la confiance.

» Il ne nous a pas paru douteux que la plus grande sûreté sociale, objet de notre travail, serait dans ce dernier parti, si l'Assemblée se décide à l'adopter. Prenons pour exemple ce que nous avons fait. Nous admettons des électeurs qui ne -nous présentent pas d'autre garantie que celle qui peut être portée, à raison de la valeur des propriétés, soit foncières, soit mobilières, au taux de la valeur de dix journées de travail : nous avons bien senti que cette garantie ne remplissait pas suffisamment tout ce que l'Assemblée devait attendre du résultat des élections; et alors, précautionnant la nation. contre ces élections, nous avons mis des entraves à la liberté des électeurs, et au lieu de leur laisser le libre exercice de leurs fonctions nous les avons obligés d'élire dans une certaine classe de citoyens, le mot classe est impropre, mais dans le nombre des citoyens qui présentent cette garantie plus étendue et de leur indépendance dans les délibérations du corps législatif et de l'intérêt qu'ils prennent au succès de la chose publique. Ceci, messieurs, n'assure pas bien le grand objet que nous voulons garantir; car d'une part on

exclut de l'éligibilité au corps législatif des hommes d'un mérite reconnu qu'on pourrait désirer d'avoir, qu'on se trouverait bien d'avoir, et cette exclusion ne part que de ce qu'ils. ne paient pas la somme de contribution prescrite par la Constitution : cette condition de la contribution n'est cependant pas rassurante contre le résultat des élections, car en élisant même sans sortir de cette classe d'hommes qui paie la contribution constitutionnellement exigée on pourrait composer une très-mauvaise législature.

» Il semble indubitable, messieurs, qu'on remplit bien mieux son objet si l'on porte la garantie sur les électeurs mêmes, parce qu'en assurant la bonne composition des corps électoraux on a la combinaison la plus favorable aux bons choix, même en y faisant entrer, si c'est une condition nécessaire pour la latitude de ces bons choix, en y faisant entrer la liberté aux corps électoraux bien composés d'élire tous les sujets qui méritent leur confiance.

» Il faut ajouter que c'est dans les électeurs que repose la base la plus essentielle de la sûreté de la chose publique, puisque c'est par eux que la société obtient non seulement ses représentans, qui font les lois, mais encore tous les fonctionnaires publics qui agissent par elle pour le maintien de l'ordre dans toutes les parties de l'administration politique; puisque ce sont les mêmes électeurs qui donnent les administrateurs, les juges, même les ministres du culte.

[ocr errors]

Quant aux citoyens ce système laisse la même latitude que la Constitution a établie pour le premier degré de l'activité des citoyens qui concourent à nommer ceux qu'ils chargent d'élire pour eux; ce système ouvre ensuite le dernier degré, celui qui doit être l'ambition de tout bon citoyen, celui de la représentation nationale. Je ne puis cependant pas vous dissimuler, messieurs, car le devoir du rapporteur est de vous montrer l'objet sous toutes ses faces, qu'il aurait été infiniment avantageux d'adopter d'abord ce mode; que maintenant il peut avoir cet inconvénient qu'un nombre assez considérable de citoyens éligibles aujourd'hui au corps électoral peut cesser de l'être; mais d'un autre côté nous présentons cette compensation d'ouvrir l'éligibilité à la grande repré

sentation à ceux qui en étaient exclus par le mode avez adopté d'abord..

que vous

que vous

» Nous ajoutons cette réflexion : l'effet du décret rendriez aujourd'hui dans le sens de ma proposition ne serait applicable qu'à deux ans d'ici, puisque la composition actuelle des corps électoraux ne peut pas être changée.

» Je termine par cette dernière réflexion, que ce serait ne rien faire dans notre sens que de ne porter sur l'éligibilité à la qualité d'électeur qu'une petite portion de contribution; qu'il vaudrait mieux conserver l'état actuel que de ne pas le bonifier réellement et efficacement; qu'en conséquence l'Assemblée doit se déterminer entre la conservation du mode qu'elle a déjà admis et la rectification réelle et efficace de ce mode en augmentant d'une manière convenable la contribution des électeurs. Nous avons pensé, messieurs, que la condition de l'éligibilité des électeurs devait être une contribution de la valeur de quarante journées de travail, et en voici les résultats.... ( Longs murmures à gauche)

» Il faut en examiner les résultats. Il y a d'abord un avantage à substituer au taux des valeurs du marc d'argent, qui était le mode proposé, le taux des valeurs des journées de travail; car le marc d'argent est en soi plus susceptible, avee le temps et par les événemens commerciaux et politiques, d'une plus grande variation de valeur réelle qué les valeurs en journées de travail. D'un autre côté quel serait le résultat pratique de cette opération? La valeur de quarante journées de travail appliquée aux électeurs dans les pays où la journée de travail est à un prix très faible, par exemple, si elle était de dix sols... (Une voix il n'y en a pas.) Je ne propose ceci que comme une fraction, et elle n'est pas invraisemblable; le résultat ne serait qu'une contribution de vingt livres, qui, relativement aux propriétés mobilières, foncières ou industrielles, supposerait cent vingt livres de revenu; dans les lieux où la journée de travail est de quinze sous le résultat de la contribution serait de trente livres, qui, à raison du sixième, supposerait cent quatre-vingts livres; et dans les villes opulentes, dans les départemens riches où la journée de travail serait au premier prix, c'est à dire à vingt sous,

le résultat serait de quarante livres d'imposition, ce qui supposerait deux cent quarante livres de propriétés foncières on industrielles.

» Il est temps que l'Assemblée prenne notre proposition en considération, et qu'elle se décide ou à conserver l'ancienne garantie dans le taux de la contribution exigée pour être représentant; ou, si elle transporte ce inode sur les électeurs, il faut qu'elle prenne un juste milieu, et la quarantième journée que nous proposons y atteint. »

t

M. Pétion, quoique membre des comités, s'éleva le premier contre cette proposition, à laquelle il préférait le maintien du marc d'argent, quelque vicieuse que lui eût semblé d'abord une pareille obligation M. Prugnon le 'remplaça à la tribune pour appuyer l'avis des comités : ensuite parut M. Robespierre, qui se prononça contre toute ' condition, soit pour les électeurs, soit pour les éligibles.

M. Robespierre. (Méme séance.) « Le projet de vos comités tend à changer l'esprit de votre Constitution; jamais question du moins ne mérita de la part de l'Assemblée natio nale une attention plus sérieuse. Les comités vous proposent de supprimer le marc d'argent à une condition qui me paraît infiniment plus injuste et plus onéreuse à la nation : les motifs qui déterminent les comités à proposer de supprimer ce décret du marc d'argent relativement aux députés s'appliqueront encore d'une manière bien plus forte aux électeurs. Un de qes principaux motifs est qu'il ne faut point gêner la confiance du peuple dans le choix de ses représentans... Or le peuple est-il libre de choisir ses représentans lorsqu'il n'est pas même libre dans le choix des intermédiaires qu'il est obligé de commettre pour choisir ces mêmes représentans; ou plutôt n'est-il pas évident que sa liberté est gênée d'une manière encore plus dangereuse, puisque non seulement il ne peut pas atteindre tout de suite le but, mais qu'il ne peut pas même arriver librement à l'intermédiaire qui doit ensuite le porter vers le but?

» Un autre motif qui a déterminé les réclamations élevées de toute part contre le décret du marc d'argent c'est qu'il

ne faut point violer l'égalité ni concentrer les dignités dans la classe la plus riche de la nation et il est évident que çe motif s'applique aux corps électoraux, et qu'il n'est pas moins important pour la nation que les assemblées électorales soient ouvertes à tous les citoyens sans distinction de fortune aussi bien que le corps législatif lui-même, puisque encore un coup ils ne peuvent envoyer leurs députés à la législature qu'en passant par l'intermédiaire des corps électoraux.

» Les comités, messieurs, me paraissent être continuellément en contradiction avec eux-mêmes dans ce système. Vous avez sur leur proposition reconnu que la Constitution devait garantir, et vous avez dit en, effet qu'elle garantissait que tout citoyen français était admissible à tous les emplois sans autre distinction que celle des vertus et des talens; or je prie les auteurs du système que je combats de dire si la commission donnée à dés citoyens de choisir pour eux des représentans au corps législatif n'est pas aussi un emploi? Il en résulte donc que la garantie promise au nom de la Constitution est violée par le système des comités...(Applaudissemens d'une partie du côté gauche et des tribunes publiques.) Messieurs, on conçoit les plus heureuses espérances lorsqu'on lit le début de votre Constitution, et qu'on voit le scrupule avec lequel vous vous êtes appliqués à arracher les racines mêmes de toutes les distinctions de la noblesse et de tous les autres préjugés qui mettaient une classe de citoyens au-dessus de toutes les autres; mais que nous importe, messieurs, qu'il ne reste plus de noblesse féodale si à ces préjugés absurdes, si à ces distinctions humiliantes pour les autres citoyens vous substituez une nouvelle distinction plus réelle, qui a beaucoup plus d'influence sur le sort et sur les droits des citoyens, puisqu'on y attache un droit politique, celui de décider du mérite des membres qui doivent représenter la nation, et par conséquent du bonheur du peuple!

[ocr errors]
[ocr errors]

Que m'importe à moi, citoyen qu'il n'y ait plus de ́nobles, qu'il n'y ait plus de tous ces titres ridicules sur lesquels s'appuyait l'orgueil de quelques hommes, s'il faut que je voie succéder à ces privilégiés une autre classe à laquelle je serais obligé de donner exclusivement mon suffrage afin qu'ils puissent discuter mes plus chers intérêts!

« PreviousContinue »