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Mais alors, répondait-on, et c'était une objection excellente, pourquoi les travaux exécutés pour le compte. d'un département sont-ils qualifiés de travaux publics? Pourquoi traite-t-on de travaux publics les travaux de curage imposés aux propriétaires des cours d'eau non navigables ni flottables, et les travaux de dessèchement imposés aux propriétaires des mines inondées? Certes, ce sont là des travaux qui ne concernent pas l'État tout entier.

2° La loi de pluviose parle de contestations entre les entrepreneurs et l'administration sans épithète: ce qui ne peut s'entendre que de l'administration générale.

A cela on répliquait que l'administration est un être complexe qui comprend l'administration centrale, l'administration départementale et l'administration communale.

3o La loi de pluviôse n'attribue compétence au conseil de préfecture, qu'en matière de grande voirie, et par conséquent la lui refuse en matière de petite voirie, c'est à-dire de voirie communale.

C'était jouer sur les mots que de raisonner ainsi :

Quelle est, en effet, la compétence du conseil de préfecture, en matière de grande voirie? Une compétence correctionnelle; or, ici il s'agit de contestations civiles.

Deuxième système (1). LES TRAVAUX INTÉRESSANT LES COMMUNES SONT DES TRAVAUX PUBLICS; EN CONSÉQUENCE, C'EST L'AUTORITÉ ADMINISTRATIVE QUI EST COMPÉTENTE.

Ce système présente trois arguments principaux: 4° L'utilité publique existe aussi bien dans la commune que dans le département. Autrement, il faudrait soutenir que l'expropriation ne saurait avoir lieu dans un intérêt communal: ce qui est insoutenable.

2o La loi du 16 septembre 1807 se sert, dans son art. 30, des expressions: « ou tous autres travaux publics généraux, départementaux ou communaux »; ce qui fait bien

(1) Serrigny, t. II, no 678; M. Vuatrin, à son cours.

rentrer les travaux communaux dans les travaux publics. 3o La loi du 3 mai 1841 sur l'expropriation pour cause d'utilité publique les comprend également parmi les travaux qui peuvent amener l'expropriation.

Toutefois ce système fait une distinction fort rationnelle. Sont considérés comme travaux publics, soumis à la compétence du conseil de préfecture, les travaux conimunaux exécutés dans un intérêt général, comme la construction d'un navire, d'une école; mais une commune peut avoir un patrimoine, à l'égard duquel elle est considérée comme une personne privée. Les travaux qu'elle fait exécuter sur ce patrimoine ne sont pas des travaux publics, et sont, par conséquent, de la compétence des tribunaux civils.

Cette question a longtemps divisé la Cour de cassation. qui adoptait le premier système, et le conseil d'État qui se ralliait au second (1). Le tribunal des conflits s'est rangé au second système, et la Cour de cassation a fini par adopter la même décision par son arrêt du 28 juin 1853. 717. Quelle est la compétence du conseil de préfecture en matière de travaux publics?

Elle peut porter sur trois objets :

1° Interprétation des clauses des marchés passés entre l'administration et les entrepreneurs de travaux publics;

2o Indemnités dues aux particuliers à raison des terrains pris ou fouillés pour la confection des chemins, canaux et autres ouvrages publics.

3° Torts et dommages provenant du fait personnel des entrepreneurs et non du fait de l'administration.

Nous allons passer rapidement en revue ces trois chefs de compétence.

(1) Le conseil d'État avait adopté le premier système jusqu'en 1843, époque à laquelle un brusque revirement se produisit dans sa jurisprudence.

1° INTERPRETATION DES CLAUSES DES MARCHÉS

DE TRAVAUX PUBLICS (1).

718. Qu'entend-on par marchés de travaux publics? A cet égard, une confusion est à éviter. Il ne faut pas confondre les marchés de travaux publics et les marchés de fournitures ayant pour objet la livraison des matériaux destinés à être employés dans une entreprise. Les marchés de travaux publics sont des contrats de louage d'ouvrage; les marchés de fournitures sont des contrats de vente. La loi de pluviôse n'attribue compétence aux conseils de préfecture que relativement aux marchés de travaux publics. Quant aux marchés de fournitures, il faut distinguer. S'ils intéressent l'État, comme par exemple les fournitures de vivres aux armées en campagne, ils sont de la compétence du ministre, sauf recours en appel au conseil d'État (2); si, au contraire, ils sont passés pour le compte des départements ou des communes, ils sont de la compétence des tribunaux ordinaires (3).

719. Sur quoi peuvent porter les contestations ? Elles peuvent porter, non seulement sur le sens et l'exécution des clauses, mais encore sur l'organisation des ateliers et les lenteurs de l'adjudicataire, sur la qualité des matériaux employés, sur les réceptions de travaux, sur la résiliation du marché et sur la responsabilité décennale de l'entrepreneur aux termes de l'article 2270 du Code civil.

(1) V. MM. Pezous, Des devis et marchés au point de vue du droit civil; Périer, Des marchés de fournitures.

(2) Rappelons ici une disposition particulière de l'art. 433 du Code pénal. Les délits des fournisseurs des armées ne peuvent être poursuivis que sur la dénonciation du Gouvernement. On a craint, sans doute, que des poursuites intempestives ne vinssent entraver le service des armées, Voir nos Répétitions de droit criminel, 2o édi

tion, no 524.

(3) M. Vuatrin pense avec raison qu'il faut distinguer entre la commune, personne publique et la commune, personne privée (M. Vuatrin, à son cours).

720. Que faut-il entendre par entrepreneurs dans le sens de la loi de pluviòse?

Il faut entendre cette expression dans le sens le plus large. Elle comprend non seulement les véritables entrepreneurs qui se chargent de l'exécution d'un travail moyennant une somme fixe, une fois payée; mais aussi les compagnies concessionnaires, comme celles des chemins de fer qui se chargent d'exécuter les travaux moyennant l'abandon d'un péage temporaire.

721. Quid, des propriétaires intéressés à la confection d'un travail d'utilité publique, par exemple, d'un chemin vicinal, qui se sont engagés à payer une somme déterminée ou à abandonner une portion de leur propriété et qui ensuite, refusent de s'exécuter, sous prétexte que ces travaux marchent mal ou ne sont pas exécutés suivant les plans tracés?

On décide que, même dans ce cas, le conseil de préfecture est compétent. Il est bien évident cependant que ces propriétaires ne sont pas des entrepreneurs. On justifie, à peu près, cette solution en faisant remarquer qu'il y a, de la part de ces propriétaires, une soumission presque analogue à celle des entrepreneurs, soumission qui doit être approuvée par le préfet, dont l'arrêté est luimême approuvé par le président de la République (1). 722. Que faut-il décider, lorsqu'un entrepreneur de travaux publics a traité avec des sous-entrepreneurs?

Le droit de juger les contestations nées à l'occasion de ce marché de seconde main appartient à l'autorité judiciaire; car il n'y a en présence que des intérêts privés. On objecte que l'entrepreneur est subrogé aux droits de l'administration; d'où l'on conclut que l'autorité administrative doit être compétente. Cette objection est fondée sur la loi de 1841, relative à l'expropriation pour cause d'utilité publique; mais cette subrogation n'a lieu précisément que dans cette matière (1) M. Vuatrin, à son cours.

spéciale; et, comme elle constitue une dérogation au droit commun, il ne faut pas l'étendre à d'autres cas (1).

2° INDEMNITÉS DUES AUX PARTICULIERS POUR TERRAINS PRIS OU FOUILLÉS.

723. Quelle est, en cette matière, la compétence du conseil de préfecture ?

La loi prévoit deux hypothèses: les terrains pris et les terrains fouillés.

724. Terrains pris. Les mots pris ou fouillés ont été copiés dans la loi du 7 septembre 1790. Dans le sens primitif de l'art. 4 de la loi de pluviôse an VIII, le mot pris s'entendait non seulement de l'occupation temporaire des terrains, mais aussi de l'occupation définitive, et dans les deux cas, c'était le conseil de préfecture qui déterminait l'indemnité due. La loi du 16 septembre 1807 avait maintenu cette compétence; mais des réclamations nombreuses s'étant élevées contre ce système, la loi du 8 mars 1810 la transporta aux tribunaux judiciaires. Plus tard, la loi du 7 juillet 1833, confirmée depuis par celle du 3 mai 1841, confia à un jury spécial la fixation de l'indemnité. La compétence exceptionnelle du conseil de préfecture, en matière d'occupation défitive, se trouva dès lors abrogée. Il ne reste donc, en fait de terrains pris aux particuliers, que le cas d'occupation temporaire qui rentre aujourd'hui dans ses attributions. 725. Terrains fouillés. Le texte fondamental en cette matière est un arrêt du conseil du 7 septembre 1755 qui autorise les entrepreneurs de travaux publics: « à « prendre de la pierre, des grès, du sable et autres matériaux « dans tous les lieux qui leur seront indiqués par le devis, a à moins que ces lieux ne soient entourés de murs ou autres « clôtures, suivant les usages du pays (2). »

(1) MM. Vuatrin et Cassin, à leurs cours.

(2) La disposition de l'arrêt de 1755 relative aux lieux dans les

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