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3° Qu'on a voulu séparer l'administration proprement dite et l'administration contentieuse qui étaient réunies dans les mêmes mains.

4° Qu'à cet effet on a attribué, dans chaque département, l'administration au préfet, le contentieux au conseil de préfecture; et, au sommet de la hiérarchie administrative, l'action au chef de l'État et aux ministres, le contentieux au conseil d'État.

97. Malgré ces raisons, la jurisprudence du conseil d'État et la plupart des auteurs ont toujours reconnu la juridiction contentieuse des ministres. Aucun texte ne l'a supprimée. Elle a été consacrée expressément par l'avis du conseil d'État du 16 thermidor an XII, inséré au Bulletin des lois (1). Cet avis déclare que « les administra<«<teurs auxquels les lois ont attribué le droit de pro<< noncer des condamnations ou de décerner des con

traintes, sont de véritables juges, dont les actes doi«vent produire les mêmes effets, et obtenir la même « exécution que ceux des tribunaux ordinaires. » En conséquence, il décide: que les condamnations et les contraintes, émanées des administrateurs, emportent hypothèque de la même manière que celles de l'autorite judiciaire. Ces décisions sont donc de véritables jugements.

En outre, un grand nombre de textes (lois, décrets, avis du conseil d'État) établissent un recours au conseil d'État par voie d'appel, contre les décisions des ministres. Ainsi la loi du 27 avril 1838 autorise le Gouvernement à obliger les concessionnaires de mines atteintes ou menacées d'inondation à exécuter en commun et à leurs frais les travaux nécessaires pour assécher les mines et arrêter les progrès de l'inondation. A défaut par les concessionnaires d'acquitter les frais mis à leur charge, le ministre des travaux publics peut prononcer le retrait de la concession, sauf le recours au

(1) Sous l'Empire, les avis du conseil d'État, approuvés par l'Empereur, avaient force de loi.

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conseil d'Etat par la voie contentieuse (art. 6). Or si le conseil d'État, dans ce cas et d'autres semblables (1), joue le rôle d'un tribunal d'appel, c'est que les ministres constituent une juridiction de premier degré (2).

§ 2. Caractère de la juridiction des ministres.

98. Les ministres sont-ils juges de droit commun du contentieux administratif (3) ?

Cette question est une des plus controversées du droit administratif. Elle a fait naître trois systèmes dont deux refusent aux ministres cette qualification.

Premier système (4). — Le juge de droit commun du contentieux administratif est le conseil d'Etat.

Ce système se fonde sur l'art. 52 de la Constitution de l'an VIII aux termes duquel le conseil d'État est chargé de résoudre les difficultés qui s'élèvent en matière administrative. Il y a là une confusion. Il est certain que le droit de juger en dernier ressort appartient au conseil d'État. Personne ne l'a jamais contesté. Mais il s'agit de savoir qui est compétent en premier ressort. La difficulté reste donc entière.

Deuxième système (5). · Le tribunal de droit commun est le conseil de préfecture.

On invoque à l'appui de ce système :

1° L'exposé des motifs de la loi du 28 pluviôse an VIII, rédigé par Ræderer, où l'on trouve le passage suivant :

(1) V. ordonn., 19 novembre 1826, art. 2 (Lois administratives de MM. Vuatrin et Batbie, p. 1050).

(2) V. Serrigny. Traite de l'organisation, de la compétence et de la procédure en matière contentieuse administrative, t. III, n" 1291 à 1294.

(3) On entend par tribunal de droit commun celui qui, dans un ordre de matières, a la plénitude de juridiction, de telle sorte qu'un texte formel n'est pas nécessaire pour le saisir (V. Cabantous, 7° 489).

(4) M. Trolley, Traité de la hiérarchie administrative, t. V, p. 77. (5) Foucart, t. III, no 1931.

Remettre le contentieux de l'administration à un conseil de préfecture a paru nécessaire pour ménager au préfet le temps que réclame l'administration; pour garantir aux personnes intéressées qu'elles ne seront pas jugées sur des rapports et des avis de bureau; pour donner à la propriété des juges accoutumés au ministère de la justice, à ses règles, à ses formes, etc. (1).

Et ailleurs :

Dans l'administration locale, on reconnaît trois services distincts: 10 L'administration proprement dite; 2° les jugements qui se rendent d'office en matière de contributions et qui consistent dans les différentes répartitions qui ont lieu entre les masses et les individus; 3° le jugement du contentieux dans toutes les parties de l'administration. Le projet de loi sépare ces trois fonctions. Il remet la première à un seul magistrat dans chaque degré du pouvoir administratif. Il remet la seconde à des conseils et à des répartiteurs. Il remet la troisième à un conseil de préfecture.

2o Un décret du 6 décembre 1813 qui annule, pour incompétence, l'arrêté d'un préfet, et qui décide expressément « que le préfet est seul chargé de l'administration, mais que les conseils de préfecture sont institués pour prononcer sur toutes les matières contentieuses administratives ».

On fait remarquer que ce décret a été inséré au Bulletin des lois, ce qui implique, dit-on, de la part du Gouvernement, l'intention d'y attacher une portée générale. Troisième système. C'est aux ministres qu'appartient la juridiction de droit commun.

Ce système nous paraît préférable. Débarrassonsnous d'abord des deux arguments invoqués en faveur de la compétence des conseils de préfecture.

Réfutation du 1er argument. Cet argument est tiré de l'exposé des motifs de la loi de pluviôse an VIII. Or quelle est la valeur de l'exposé des motifs d'une loi pour son interprétation? La valeur d'une opinion individuelle (2). Quelque respectable que soit cette opi

(1) V. Moniteur du 12 pluviôse an VIII, p. 555.

Delisle, Principes de l'interprétation des lois, t. II, p. 188.

nion, elle ne saurait prévaloir contre le dispositif, c'està-dire contre le texte de la loi. Cela étant, comment procède la loi de pluviôse an VIII en ce qui concerne le conseil de préfecture? Par une attribution générale de compétence, comme semble le dire Roederer ? En aucune façon. Elle procède par voie d'énumération. Dans son article 4, elle énonce limitativement les cas dans lesquels le conseil de préfecture est compétent. -Les nombreuses lois postérieures qui ont étendu la compétence de ce conseil, ont suivi la même méthode. On peut donc dire qu'il n'a que des attributions spécia les et déterminées.

Réfutation du 2o argument. Nous ferons d'abord remarquer que l'argument qu'on veut tirer du décret de 1813 est puisé dans les motifs et non dans le dispositif. Or c'est au dispositif seul d'une loi ou d'un décret qu'appartient l'autorité législative ou réglementaire. En second lieu, ce décret n'a que la valeur d'une décision d'espèce. C'est un jugement qui, malgré son insertion au Bulletin des lois, ne peut avoir qu'un effet relatif. Voici dans quelles circonstances il fut rendu. Avant la révolution, les seigneurs justiciers avaient le droit exclusif de construire des halles, et ils percevaient sur les marchandises qui y étaient apportées, un grand nombre de droits connus sous les noms de hallage, havage, minage (2), étalage, etc. Ces droits furent supprimés par la loi des 15-28 mars 1790, dont l'art. 19 déclara que les bâtiments et halles continueraient d'appartenir à leurs propriétaires, sauf à eux à s'arranger à l'amiable, soit pour le loyer, soit pour l'aliénation, avec les municipalités; et que les difficultés qui pourraient s'élever à ce sujet seraient soumises à l'arbitrage des assemblées adminis

(1) Droit de prélever sur chaque sac de blé autant de grains que chaque main pouvait en contenir.

(2) Droit prélevé pour le mesurage sur chaque mine (77 centilitres) de grains.

tratives (1). En outre, l'Instruction de l'Assemblée nationale, du 20 août 1790, concernant les fonctions des assemblées administratives posa en principe que les propriétaires de halles pourraient obliger les municipalités de les acheter ou de les prendre à loyer; et que réciproquement, ils pourraient être contraints par les municipalités à les vendre, à moins qu'ils n'en préfèrent le louage (art. 2) (2). Une difficulté s'étant élevée entre une commune et le propriétaire d'une halle relativement au prix de location, elle fut tranchée par le préfet. Survint alors le décret du 6 décembre 1813 qui, comme nous l'avons vu, n'a que le caractère d'un jugement, caractère que n'a pu lui enlever son insertion au Bulletin des lois. Cette insertion peut d'ailleurs s'expliquer par le désir de proclamer bien haut et avec une sorte de solennité, la séparation de l'administration active et de l'administration contentieuse.

En résumé, les deux arguments invoqués en faveur de la compétence des conseils de préfecture ne résistent pas à un examen attentif des textes. Ni l'exposé des motifs de Roederer, ni les considérants du décret de 1813 ne sauraient prévaloir contre l'énumération restrictive de l'art. 4 de la loi du 8 pluviôse an VIII. Donc les conseils de préfecture ne sont que des tribunaux d'exception.

Il nous reste à établir que les ministres sont investis de la juridiction de droit commun.

Argument du troisième système. La loi des 27 avril et 25 mai 1791 (art. 17), avait confié aux ministres réunis en conseil, l'ensemble du contentieux administratif. La Constitution de l'an. (III art. 193 et 196) transporta aux ministres, concurremment avec le Directoire

(1) C'est-à-dire aux directoires de département.

(2) Ainsi la commune est tenue d'une obligation alternative. Elle peut être forcée d'acheter ou de prendre loyer. Le propriétaire n'est tenu que de vendre, mais avec la faculté de se soustraire à cette obligation en louant sa halle. Son obligation est facultative.

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