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Ainsi tout ouvrage dont le but est de rectifier des erreurs, de fixer nos idées sur le climat, les mœurs et le caractère d'une nation dont l'indépendance est aujourd'hui reconnue, devrait donc par cela même offrir un grand intérêt ; et, sous ce rapport, le citoyen Volney aura des droits à la reconnaissance publique, s'il parvient à nous donner sur les Anglo-Américains les lumières qu'il a su répandre dans son important voyage d'Egypte. Mais, il faut le dire ici, il y a des personnes qui se trouvent humiliées même par les vérités salutaites qu'on leur découvre. Elles ne peuvent souffrir qu'on les désabuse sur les erreurs que leur intelligence n'a point aperçues elles regardent même comme un affront la nécessité de réformer leurs sentimens. Une sorte d'indolence, ou une prévention inexplicable leur fait prendre la défense de l'auteur qui les a trompées, contre celui qui les éclaire.

Cette disposition aussi commune que déraisonnable, est précisément celle où se trouvent aujour d'hui ceux qui ne pardonnent point au sénateur Volney, les affligeantes vérités qu'il s'est permises dans son premier ouvrage sur l'Egypte. Heureusement la plus saine portion du public ne partage point ce délire, et l'homme impartial qui lira avec quelque attention ce nouveau voyage aux Etats-Unis, ne pourra du moins refuser à son auteur le seul tribut qu'il ambitionne. Peut-être même regrettera-t-il avec nous que le sénateur Volney, cédant trop légèrement à des considérations personnelles, n'ait pas suivi la marche que d'abord il s'était tracée, et qu'il nous ait ainsi privés d'un ouvrage plus étendu qui eût ajouté, sinon à sa gloire, du moins à la masse de nos connaissances. Que ne devait-on pas attendre, en effet de l'écrivain qui, après trois ans d'observations et d'expériences, déclare qu'il est en état de prouver par des faits incontestables, que l'Amérique septentrionale, loin d'être,comme on l'imaginait, le

modèle des gouvernemens fédératifs, n'offre ni plus d'économie dans les finances, ni plus de bonne foi dans les transactions, ni plus de décence dans la morale publique, ni plus de modération dans l'esprit de parti, ni plus de soin dans l'instruction, que dans la plupart des Etats de la vieille-Europe?

Si on se rappelle, un instant, qu'en 1779 le sénat de la Delaware, dans une exhortation adressée au congrès, portait le tableau de ses dettes à onze cents millions de livres tournois, on conviendra que pour un état encore enfant, il était difficile d'avoir un berceau plus plus coûteux. Nous savons trop, il est vrai, combien il en a coûté depuis à ses parrains, pour expier la protection que le gouvernement français avait cru devoir leur accorder; mais cette circonstance ne prouve pas en faveur de l'Amérique et net pourrait lui être opposée. Veut-on savoir en un inot comment la réduction de cette dette immense s'est opérée ? on s'est contenté un beau jour de regarder comme non-avenue l'émission des billets que nous venons d'évaluer, et cette libération inouie s'est consommée, le dirai-je? sans obstacle, sans froissement, sans murmure.

Ce fait que le sénateur Volney n'a point cité, il est vrai, mais qu'il a presque laissé entrevoir dans son aperçu général, suffirait seul pour constater la vérité de ses autres observations, et prouver que l'Amérique est encore loin d'être redoutable à l'Europe; qu'elle ne vérifiera pas même de long-temps les pronostics flatteurs que des partisans trop empressés avaient cru pouvoir tirer de ses premiers efforts. Elle a fait sans doute une plaie profonde à l'Angleterre, mais sans introduire dans le monde politique une nation redoutable de plus; elle sépare une partie du nouveau continent de l'ancien, mais sans compromettre le repos de ce

dernier.

Ce n'est pas le moment d'examiner ici pourquoi

l'Amérique ne semble point encore appelée à jouer le rôle brillant qu'elle ambitionnait. Il faudrait remonter aux causes qui ont déterminé son affranchissement, aux principes sur lesquels reposent aujourd'hui ses institutions; et cet examen serait peut-être aujourd'hui sans intérêt pour une grande partie de nos lecteurs. Ce qu'il importe de bien connaître à présent, c'est la situation où se trouvent les Etats-Unis sous le rapport du climat, des mœurs, de la culture, et de leurs relations avec les autres peuples. Or, il faut convenir qu'après avoir lu l'ouvrage du sénateur Volney, il est difficile de partager l'enthousiasme de l'écrivain qui l'a précédé dans cette carrière; je veux parler du cit. Bonnet, qui, dans ses recherches sur les EtatsUnis, traçait, avec une confiance vraiment rare, un plan de colonisation pour les Français émigrés, et leur garantissait tous les avantages de la terre promise.

C'était aussi dans l'intention d'y fixer son séjour, que le sénateur Volney avait, sous le règne de la terreur, quitté la France pour respirer, en Améde la liberté, et trouver, comme rique, l'air pur il en convient lui-même, pour la vieillesse, un asile de paix dont l'Europe ne lui offrait plus l'espérance: et c'est après trois ans de séjour, après avoir visité avec cette attention scrupuleuse qui le distingue de tous les voyageurs connus, les différentes parties des Etats-Unis, étudié le climat, les lois, les habitans et leurs mœurs, que le sénateur Volney revient dans sa patrie, désenchanté et en quelque sorte converti sur les prétendus avantages d'une colonisation qu'une foule de motifs rend d'ailleurs. impraticable pour des Français. Il est malheureux, sans doute, comme nous l'avons déjà remarqué que des considérations personnelles n'aient pas permis au citoyen Volney de donner à son ouvrage toute l'étendue dont il l'avait jugé susceptible;

mais dans l'état où il est, il mérite de fixer l'attention des savans, des voyageurs, et de ceux-là même qui, séduits par les raisonnemens de M. Bonnet, auraient l'imprévoyance de réaliser un projet d'émigration dans ces colonies lointaines.

Le premier volume renferme des observations absolument neuves sur le climat, le sol, la configuration générale, la formation, la division des montagnes, des lacs et des rivières; sur le système des vents, l'influence qu'ils exercent sur la tempé rature, et leur extrême variation. Dans les conjectures que le voyageur se permet, lorsqu'il explique quelques phénomènes physiques, il cherche sur-tout à s'appuyer de témoignages respectables, d'expériences bien constatées. C'est donc en mêmetemps un cours de physique, d'histoire naturelle, d'astronomie et d'économie politique.

Le second volume qui termine la première partie de l'ouvrage, traite des maladies dominantes aux Etats-Unis, et dont les quatre principales par leur fréquence, leur universalité, leurs symptômes, sont considérées par notre voyageur comme le produit spécial du climat et du sol. Ce sont les catarres qui se terminent par la consomption pulmonaire, les fluxions aux gencives, la fièvre d'automne avec frisson, et enfin cette fièvre jaune qui, dans ces derniers temps, a exercé de si grands ravages, même à Philadelphie, où, jusqu'en 1797, elle était encore inconnue. On ne lira pas sans intérêt, les développemens que l'auteur a cru devoir donner sur cette maladie, les moyens curatifs qu'elle présente et le régime qu'il convient de suivre pour s'en garantir ou en arrêter les funestes progrès. Ceux que le spectacle des infirmités humaines pourrait attrister, auront des motifs de distraction dans le chapitre où le citoyen Volney présente des éclaircissemens sur les sauvages. Ce ne sont pas ici des relations faites à plaisir ; c'est un recueil d'ob

servations rédigées sur les lieux, par un homme qui n'a point intérêt d'égarer ses semblables sur une perfection chimérique que l'auteur d'un roman trop célébre n'a pas craint de vanter aux crédules Parisiens. Qu'on nous permette donc d'opposer ici à des récits fabuleux sur l'innocence des sauvages de l'Amérique, le témoignage irrécusable d'un homme qui les a vus de près.

« Imaginez, dit Volney (1), des corps presque nus, bronzés par le soleil et le grand air, reluisans de graisse et de fumée; la tête nue, de gros cheveux noirs, lisses, droits et plats; le visage masqué de noir, de bleu et de rouge, par compartimens ronds et carrés ; une narine percée pour porter un gros anneau de cuivre ou d'argent, des pendeloques à trois étages, tombant des oreilles sur les épaules; un petit tablier carré couvrant le pubis; un autre, le coccix, tous deux attachés par une ceinture de rubans ou de corde; les cuisses et les jambes tantôt nues, tantôt garnies d'une longue guétre d'étoffes; un chausson de peau fumée au pieds; dans certains cas, une chemise à manches larges et courtes, flottante sur les cuisses; par-dessus, une couverture de laine, ou un morceau de drap carré jeté sur une épaule; enfin tout l'attirail d'une Bohémienne.

« Telle est à peu près l'esquisse du tableau, et encore, observe M. de Volney, je le montre du beau côté car si je le présente tout entier, il faut que j'ajoute que, dès le matin, hommes et femmes vaguaient dans les rues avec le but unique de se procurer de l'eau-de-vie; que vendant d'abord les peaux de leur chasse, puis leurs bijoux, puis leurs vêtemens, its quétaient ensuite comme des mendians, ne cessant de boire jusqu'à perte absolue de leurs facultés. Tantôt c'étaient des scènes bur

(1) Tom. 2, p. 423.

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