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dats pénètrent dans la maison de cette mère dénaturée, et elle se poignarde à leurs yeux. M. Theveneau a retourné cette combinaison. Ce n'est point une femme qui veut dévorer son fils, ce sont des enfans qui mangent leur mère. Pendant le siége de Paris, une famine horrible désole cette ville; une mère fait venir ses enfans, et leur parle ainsi : Mes chers enfans, un seul parti nous reste à » suivre; il est affreux sans doute, mais nécessaire. Je vous ai déjà donné la vie, je veux encore vous » la donner, oui, je veux que mon corps... » Arrêtez, ne cherchez pas, par d'inutiles dis- » cours, à me détourner d'un dessein irrévocable. Songez seulement que si je meurs aujourd'hui,

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» vous vivez tous les deux, et qu'au contraire, si je vis jusqu'à demain, nous ourrons tous les » trois. Elle se donne la mort, ses enfans se livrent d'abord au désespoir; mais bientôt, poussés par la faim, ils apprêtent, comme dit l'auteur, un festin plus horrible que celui de Thieste et d'Atrée. Qui ne voit que ce tableau est aussi froid que révoltant? Nulle exaltation dans la résolution de la mère, nulle chaleur dans son discours; de la sécheresse et de l'horreur dans la situation et dans la conduite des enfans.

On ne peut juger avec sévérité le style de cet ouvrage, parce que l'auteur se borne à présenter un plan, à l'exécution duquel il mettrait plus de soin s'il était approuvé. Cependant nous croyons devoir lui reprocher de l'emphase et du néologisme. En parlant de Roland, l'auteur s'exprime ainsi : « Les ennemis à la vue de ses exploits plus » que mortels reculent d'effroi pendant quelques » instans. » Qu'entend-on par des exploits plus que mortels? l'auteur a voulu dire des exploits plus qu'humains. Charlemagne est témoin d'un stratagème de Constantin : « Le héros, dit M. The» veneau, a saisi d'un coup d'oeil toute l'astuce

» de ses ennemis. » Astuce est un vieux mot qui veut dire mauvaise finesse. Il a été reproduit dans le langage révolutionnaire avec une nouvelle acception en aucun cas, il ne peut entrer dans le style noble. Nous ne pousserons pas plus loin nos critiques, par la raison que nous avons déjà donnée.

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Quelquefois cet ouvrage présente des morceaux bien écrits et bien pensés. L'impartialité que nous nous prescrivons, nous oblige à faire connaître celui qui nous a paru le plus digne d'être cité. On parle à Charlemagne de la secte des iconoclastes; cette secte voulait qu'il n'existât point d'images dans les églises. « Oui, sans doute, je la connais, dit le » héros, et sans doute aussi le premier de ces sec»tateurs impies eut une ame froide et dure : il est » si naturel de vouloir conserver et révérer, » moins dans leurs images, les objets de sa ten» dresse et de sa vénération! il est si heureux qu'il » existe des arts capables de les reproduire et de » nous les montrer encore lorsqu'ils ne sont plus! ah! je le sens, le même principe qui fait désirer d'avoir le portrait d'un ami, d'un fils et d'un père, a fait desirer aussi d'avoir les portraits de ceux qui ont édifié le monde par leurs vertus, » ou qui l'ont éclairé de leurs lumières. Je dis plus >> encore; les images facilitent au peuple la con» naissance de la religion. La peinture est une » histoire abrégée. Les mères montrent ces tableaux » et les expliquent à leurs enfans: alors les faits. qu'ils représentent, saisissent l'imagination et > se gravent dans la mémoire. Privé de ces ta»bleaux, le peuple adoptera des fables que la

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peinture même ne pourra plus rectifier. » Ici Charlemagne justifie l'idée que les historiens nous donnent de lui; il développe la raison supérieure qui lui fit exécuter de si grandes choses. On desire

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rait seulement que cette tirade eût un tour plys poétique.

Plus l'on réfléchit aux défauts de ce planp on est convaincu de l'extrême difficulté de concevoir la fable d'un poëme épique. Il faut, indépen damment de l'art des vers, réunir tant de sortes de talens, que l'on doit peu s'étonner s'il n'existe, dans ce genre, qu'un très-petit nombre de Chefsd'œuvre. Nous ne savons si le plan de M. Thévençau est une esquisse faite rapidement, ou une fable long-temps méditée. En lui indiquant les parties faibles de son travail, nous n'osons donc ni l'engager à poursuivre une entreprise si difficile, ni lui conseiller d'y renoncer absolument; nous nous bornons à observer, qu'en supposant même les avantages d'une belle versification, le plan dont il s'agit ne présente pas, dans la conception géné. rale et dans les épisodes, l'intérêt, les développemens poétiques, et l'enchainement de toutes les parties qu'on exige dans l'épopée.

P.

Monumens antiques ou nouvellement expliqués, Collection de statues, bas-reliefs, bustes, peintures, mosaïques, gravures, vases, inscriptions, médailles et instrumens, tirés des collections nationales et particulières, etc., ac compagnée d'un texte explicatif; par A. L. Millin, conservateur des antiques, médailles et pierres gravées de la bibliothèque nationale, professeur d'histoire et d'antiquités, etc. Tome I, in-4°. De l'imprimerie de la république. A Paris, chez Laroche, libraire, rue Neuve des-Petits-Champs, n°. 11, au coin de celle de la Loi; et chez le Normant, imprimeur - libraire, rue des Prêtres Saint-Germain-l'Auxerrois, n. 42.

En général, l'étude des monumens antiques ne parait que curieuse aux hommes superficiellement instruits : ils

ne conçoivent pas quel intérêt si grand, et sur-tout quelle utilité il peut y avoir à connaître cette foule de détails dont se compose la science des antiquités. Mais puisque l'on convient qu'il est utile d'étudier les livres des anciens, il faut convenir au-si qu'il n'est pas inutile d'étudier leurs monumens. Si leurs ouvrages littéraires servent à former le goût des écrivains modernes, les productions de leurs arts sont encore aujourd'hui des modèles pour nos artistes. Telle est l'utilité des monumens, envisagés sous le seul rapport de l'élégance et de la correction des formes. Ils n'en offrent pas une moins réelle, si on les observe du côté scientifique : étudiés sous ce point de vue, ils répandent un grand jour sur la lecture des classiques. En effet, combien n'y a-t-il pas, dans les livres anciens, de détails sur les usages publics et ceux de la vie privée, auxquels un lecteur qui n'a point vu de monumens, ne peut rien comprendre, et dont les meilleurs commentaires ne peuvent jamais lui donner qu'une idée très-imparfaite? Beaucoup de passages que de fort habiles critiques croyaient altérés, ont été heureusement expliqués par les monumens, et souvent par ceux qui paraissaient avoir le moins d'importance. Il ne faut qu'ouvrir les ouvrages des grands antiquaires, pour voir avec quel succès ils ont appliqué la science des monumens à l'interprétation et à la restitution des auteurs.

D'après ces idées, qui paraîtront justes à tous les bons esprits, il est évident qu'on doit beaucoup de reconnaissance aux érudits qui publient de nouveaux recueils d'antiquités, sur-tout lorsque, comme M. Millin, ils y ajoutent de savantes explications.

I. Le premier monument de cette belle collection est un superbe camée de la bibliothèque nationale, connu vulgairement sous le nom des Vainqueurs à la course. Quatre chevaux, d'un très-bon style, sont placés devant une auge, et semblent impatiens de s'y désaltérer. Un homme nu à l'héroïque, n'ayant qu'une simple chlamyde jetée sur les cuisses, les retient par la bride. Auprès d'eux

est un autre homme en costume phrygien; il est accroupi sur ses genoux et porte à ses lèvres une hydria d'une trèsbelle forme. M. Millin a pensé très-justement qu'il était presque impossible 'que l'artiste n'eût voulu représenter qu'un conducteur de char ramenant de la course les chevaux de son quadrige, les présentant à son maître, et apaisant la soif qui le dévore: il me paraît aussi probable qu'à lui, que l'artiste aura voulu animer cette riche composition par une application plus particulière à quelque · événement mémorable, et par la présence d'un héros célèbre. Le sujet était sans doute autrefois moins obscur; ce camée est peut-être la copie de quelque bas-relief, ou de quelque peinture que tout le monde connaissait : mais aujourd'hui il faut, pour l'expliquer, avoir recours aux conjectures. M. Millin y voit Pelops, ses quatre chevaux et son aurige, et il emploie beaucoup d'érudition pour donner à cette opinion toute la vraisemblance dont elle peut être succeptible. J'avoue cependant qu'il ne m'a pas convaincu. La présence de ce phrygien est une difficulté qu'il ne me paraît pas avoir expliquée d'une manière. entièrement satisfaisante. Je me trompe peut-être; car, en ces matières, comme en toutes les autres, je suis fort novice mais, il me semble que l'artiste n'a donné à ce personnage le costume phrygien, que parce qu'il était phrygien; et le cocher de Pelops ne l'était pas. M. Millin avait d'abord pensé aux chevaux d'Hector; ensuite il a rejeté cette idée, qui me paraît, à moi, beaucoup plus probable que celle qu'il a adoptée. Dans l'Iliade (1), Hector, parlant à ses quatre chevaux, leur rappelle que c'est Andromaque qui leur présente le doux froment et le vin dont ils s'abreuvent. M.. Millin voyant que sur le camée ce n'est point une femme qui fait boire les chevaux, a cru, par cette raison seule, qu'ils ne pouvaient être ceux d'Hector. Cette difficulté me paraît faible. Assurément rien n'obligeait l'artiste

(1) VIII. 188.

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