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ce personnage: quelques maximes hasardées appartiennent au siècle, mais ce qu'il a de bon appartient à l'auteur. Au reste, la distinction des rangs ne repose pas sur ce que tel ou tel état est par lui-même plus ou moins noble; car dans un pays où l'on ne serait guerrier que pour de l'argent, magistrat que pour de l'argent, la prééminence des rangs serait une absurdité : après celui qui saurait vivre dans une heureuse médiocrité, le plus riche serait nécessairement le plus noble. Ces réflexions ne sont point étrangères à notre sujet, puisqu'elles naissent naturellement de la pièce que nous examinons. Il y a long-temps qu'on a dit avec raison qu'il était plus sûr d'étudier les mœurs d'une nation dans ses ouvrages littéraires,que dans le récit des historiens : aussi, en examinant chaque comédie, nous arrivera-t-il souvent de juger les prétentions dominantes à différentes époques. »

Il est rare de trouver des idées aussi justes et aussi étendues dans un ouvrage frivole en apparence; mais cette collection a cu, en paraissant, un succès qui imposait de grands devoirs aux éditeurs. Accueillie dans tous les états de l'Europe, destinée à prendre une place honorable dans les meilleures bibliothèques, et à faire connaître une des plus intéressantes parties de notre littérature, présentée en un mot comme faisant suite aux OEuvres Dramatiques du siècle de Louis XIV, les éditeurs ont senti l'obligation de se rapprocher, du moins par leurs principes, de l'esprit de ce siècle où les lettres étaient inséparables de la morale et de la raison.

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Dans l'examen d'Esope à la Cour, les éditeurs ont fait preuve de goût en évitant de comparer les fables de Lafontaine et celles de Boursault; ils ont donné une justification sans réplique de l'accueil que le public fit aux fables de Boursault dans un moment où celles de Lafontaine étaient gravées dans la mémoire de tous les amis des lettres.

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« Lafontaine, disent-ils, travaillant pour tous les lecteurs s'applique à tirer de l'apologue des maximes générales qui sont d'une utilité égale pour les différentes classes de la société ; il varie à l'infini les moyens d'amuser et d'instruire; tous les tons lui sont permis; il ne craint pas les détails et les digressions; sa narration attache sans cesse soit par la naïveté, soit par la vérité inimitable des peintures, soit par l'importance comique donnée aux caractères des animaux. Outre l'impossibilité où se trouvait Boursault de marcher avec succès sur les traces du fabuliste, il avait encore un autre motifde ne pas le prendre pour modèle; l'apologue, dans une comédie, doit moins. renfermer une moralité applicable à tout le monde qu'une leçon directe pour l'interlocuteur; et tous les ornemens que le génie peut donner à cette sorte de poëme, eussent été déplacés dans un ouvrage dramatique. Boursault choisit donc très-judicieusement le parti que lui suggérait sa modestie, et que les règles de la comédie lui prescrivaient; il n'affecta aucune prétention de lutter avec Lafontaine, et donna aux fables d'Esope un ton particulier qui éloigna toute idée de comparaison. »

Cela n'a pas empêché la plupart des critiques, et même M. de La Harpe, d'opposer Lafontaine à Boursault; les éditeurs du Répertoire du Théâtre Français sont les premiers qui aient cherché dans la différence de position des deux auteurs un motif raisonnable pour expli quer le succès des fables d'Esope à la Cour, et le passage que nous venons de citer nous paraît sans réplique. En général, on peut dire que ceux qui dirigent cette collection évitent avec un soin égal l'affectation de vouloir paraître neufs sur des sujets rebattus, et l'inconvénient plus grave encore de fonder leur opinion sur les critiques qui les ont précédés. On sent qu'ils jugent chaque pièce sur la pièce même, seul moyen de rester indépendans; et

si ce travail exige plus de peines et plus de talent, il procure aussi plus d'honneur et plus de plaisir.

L. C.

SPECTACLE S.

THEATRE

LOUVO I S.

Les Mœurs du Temps, comédie en un acte et en prose-; par SAURIN.

Cette petite pièce, jouée pour la première fois à la fin de l'année 1760, eut alors un assez grand succès. Elle donne une idée des mœurs de la capitale au dixhuitième siècle; c'est-à-dire de celles qui ont régné dans sa prétendue bonne compagnie, depuis la régence jusqu'à la révolution. L'auteur a probablement cherché à peindre les originaux qu'il avait sous les yeux; car il vivait dans ce qu'on nommait le grand monde.

Le héros de sa pièce est un de ces roués qui croyaient tromper les femmes, et qui souvent étaient leurs dupes. On y voit aussi une bourgeoise devenue comtesse; c'est un de ces êtres froids, frivoles, méchans et légers connus sous le nom de petites-maîtresses. Elle veut rompre un mariage arrêté entre sa nièce Julie et Dorante, baron habitant la province, pour donner cette nièce à un marquis, amant infidèle de Cidalise, que ce mariage désespérerait. Cidalise qui se croit aimée, et qui néanmoins veut s'en assurer positivement, suit le marquis dans un bal, enveloppée d'un domino semblable à celui de la comtesse, qui s'y trouve aussi. Le marquis prend l'une pour l'autre, dit à chacune beaucoup de mal d'elle-même. Ce quiproquo le démasque; et Julie épouse Dorante.

que

On voit le fond de cette pièce est peu de chose, et n'offre rien de nouveau; mais elle est pleine de dé

ails agréables et piquans, de mots qui sont restés, et qu'on cite tous les jours. En voici quelques-uns. Dorante dit : « s'il faut médire pour plaire à la comtesse, je suis » son serviteur ; je croirais manquer à la probité. »

CIDA LISE,

« Oh, la probité! si c'était y manquer que de médire' et même de calomnier, il y aurait bien peu d'honnêtes gens de votre sexe, et il n'y en aurait point du nôtre. On ne peut pas toujours jouer, monsieur; à quoi voulezvous donc que des femmes s'amusent?

DORANTE,

» Je sens bien que vous plaisantez, madame; mais tourner en ridicule son frère, ses meilleurs amis !

CIDALIS E.

>> De qui dira-t-on du mal? de ceux qu'on ne connaît pas ?

L'idée de cette répartie a peut-être été inspirée par une réponse qu'on attribue à Malherbe. Il avait un frère aîné avec lequel il fut toujours en procès. On reprochait au poète la mauvaise intelligence qui était entr'eux, l'indécence d'un procès contre un frère. « Puis-je, dit-il, >> plaider contre les Turcs et les Moscovites avec qui je » n'ai rien à partager? »

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Il y a encore quelques traits bien vifs dans une scène du marquis avec Dorante, laquelle, il est vrai, rappelle un peu une autre scène connue du Méchant. Dorante, très-amoureux, parle de bonne foi de son amour.

LE MARQUIS.

« L'amour! l'amour ! ce mot ne signifie plus rien. Apprends donc une fois pour toutes, mon petit parent de province, apprends donc les usages de ce pays-ci: on épouse une femme, on vit avec une autre, et l'on n'aime que soi.

DORANTE.

>> Apprenez vous-même, monsieur, qu'on ne doit point appeler usage ce que pratiquent peut-être une douzaine de folles et autant de prétendus agréables.

LE MARQUIS.

» Mais, parbleu, mon petit cousin, j'aime à te voir arriver du fond de ta triste baronnie pour nous montrer à vivre. Je t'avertis que ce n'est pas là le moyen de réussir auprès de la comtesse. Voilà ce qui s'appelle une femme de la meilleure compagnie, par exemple ; c'est qu'elle est déli

cieuse.

DORANTE.

» Oh! oui, c'est une femme qui médit éternellement de tout le monde.

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» C'est ce que je te dis: une femme charmante. »>

Dorante qui se doute que le marquis veut lui souffler sa maîtresse, dit qu'on ne la lai ravira pas impunément. Le marquis resté seul :

« A la bonne heure; mais je commencerai toujours par » épouser, moi. Ils sont excellens, ces messieurs de pro» vince! Parbleu, mon petit cousin, si tu as de l'amour, » moi j'ai des dettes. Si je l'avais oublié, voilà un homme » qui m'en ferait souvenir. »

Cet homme est son intendant qui a l'impertinence de lui parler d'affaires, et de lui faire des remontrances, auxquelles il se croit obligé, en honnéte homme.

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« Ah! monsieur l'honnête homme, volez-moi, pillezmoi, cela est dans l'ordre, mais ne m'ennuyez pas de vos remontrances; je ne vous en fais pas, moi; et je crois cependant que, de nous deux, celui qui a le plus droit de me ruiner, ce n'est pas vous, monsieur Dumont. dr.

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