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répugnance; ce qui prépare au dénouement avec assez d'adresse. Adèle a une soubrette qui doit se marier le mème jour qu'elle, et qui n'a pas la même froideur la diversité de leurs sentimens donne lieu à un duo fort agréable.

Linval, quoiqu'il aime, lui, à son aise, au ait voulu, dit-il, rencontrer une femme passionnée, une héroïne de roman. Il est plus heureux qu'il ne croit; car la sœur de sa future, Louise, meurt, à la lettre d'amour pour lui. Adèle s'aperçoit qu'elle est émue par la présence de Linval, et en soupçonne le motif. Le père des deux jeunes personnes obtient avec peine que Louise veuille déjeuner en famille, et encore plus difficilement qu'elle leur chante quelques couplets. Enfin, la malade fait entendre une romance touchante et analogue à sa position. Son secret cesse d'en être un pour sa sœur. Adèle, restée seule avec elle, en obtient à moitié l'aveu de sa bouche; Louise, en convenant de sa défaite, n'a pas nommé son vainqueur. Linval survient; sa future le prie de tâcher de découvrir l'auteur du mal qui consume Adèle, et s'en va. Linval presse, conjure, supplie, se jette aux genoux de la belle malade pour qu'elle lui ouvre son cœur : elle confesse que c'est l'amour qui la tue; se fait long temps prier pour nommer celui qui l'inspire, finit par dire à Linval c'est toi, et s'enfuit en courant, honteuse et comme épouvantée du mot qui lui est échappé. Adèle cède avec joie à sa sœur, un homme qui ne lui inspirait qu'un médiocre intérêt; et Linval est flatté de se trouver le héros d'un roman, et de le terminer suivant l'usage.

Cette fable, qui rappelle l'anecdote des amours d'Antiochus pour Stratonice, qui lui fut cédée par son père, a paru mesquine. La pièce a peu réussi, malgré le talent qu'y a déployé madame Scio, également admirable, soit qu'elle chante, parle ou se taise; qui remplit la scène dès l'instant où elle s'y montre, et trouve le moyen de causer les plus vives émotions dans des pièces fort médiocres. Elle a été très-bien secondée par l'intelli

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gence, l'à-plomb de Mile Pingenet l'aînée, l'aisance et la gaieté de madame Gavaudan. On a demandé les auteurs; celui des paroles n'a pas voulu se faire connoître. C'est une louable omdestie; car quoiqu'il n'y ait pas assez d'art et de conduite dans sa pièce, il s'y trouve des couplets gracieux et des vers bien faits. L'auteur de la musique (qu'on a trouvée facile et appropriée aux paroles), n'a pas cru devoir taire son nom; c'est M. Solié.

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L'Amour médecin, comédie de Molière, en trois actes et en prose, remise au théâtre.

On peut juger de la prodigieuse facilité de Molière, par cette pièce impromptu, demandée, faite, apprise et représentée en cinq jours. Les quatre premiers médecins de la cour y furent joués sous des noms grecs qui les désignaient, et sous les yeux du roi; ce qui suppose qu'il en avait donné ou la permission, ou même le conseil. Les médecins de ce siècle étaient des originaux très-risibles, courant les rues sur leur mule, en habit de docteur, et consultant en latin sur les moindres maladies. Molière les peint comme des pédans et des charlatans très-avides et très-intéressés. Il n'est donc pas vrai que le monde aille toujours de mal en pis; car nos Esculapes ne sont rien moins que des pédans. Il est vrai qu'il en est parmi eux qui se font remarquer par d'autres ridicules. Les uns veulent être des merveilleux, les autres affectent de ne pas croire à la réalité de l'art qu'ils professent. Ce sont des prêtres athées. La vanité de passer pour des esprits forts l'emporte sur leur intérêt.

Quoique nous n'ayons plus sous les yeux les originaux peints par Molière, la peinture en est si vive, qu'on la voit toujours avec plaisir. On ne sait pourquoi Picard a cru devoir confondre les trois actes en un, et sur-tout sup

primer la première scène du troisième, dans laquelle il y a des traits si vifs; où M. Fonandrès dit, en parlant d'un autre médecin : « Qu'il me passe l'émétique, et je lui » passerai tout ce qu'il voudra; » où M. Fillerin fait une leçon à ses confrères sur l'imprudence de la publicité de leurs querelles, et ajoute: « Je ne parle pas pour mon » intérêt; car, dieu merci, j'ai déjà établi mes petites » affaires. Qu'il vente, qu'il pleuve, qu'il grêle, ceux >> qui sont morts, sont morts, et j'ai de quoi me passer » des vivans. »

Picard a fait quelques suppressions plus judicieuses; par exemple, celle de la scène d'un opérateur qui fait l'énumération fort dégoûtante des maux que guérit son orviétan. Il a substitué aussi, dans la scène cinquième du troisième acte, un mot décent, à une expression qui eût justement révolté. On peut nous reprocher d'être plus corrompus que nos pères, reproche, au reste, qui se reproduit de siècle en siècle; mais on ne doit pas nous blâmer d'être plus délicats; du moins lorsque cette délicatesse n'est pas excessive; car rien ne rétrécit plus la langue, et même le génie, que la manie de trouver partout, ou plutôt de sup→ poser des allusions indécentes.

C'est dans la première scène du Médecin par amour qu'on trouve ce mot si plein de sens et devenu proverbe : » Vous êtes orfévre, M. Josse.»

Tel est le privilége des esprits créateurs, que leurs con ceptions en font naître une foule d'autres. L'Amour médecin a donné l'idée des Folies amoureuses, et de Dupuis et Desronais. Tout le fonds de cette dernière pièce se trouve dans un monologue de Sganarelle, qui veut, dit il, garder son bien et sa fille pour lui.'

L'Amour médecin est très-bien joué par Picard jeune, Walvile et mademoiselle Molière.

Entre Démocrite et l' Amour médecin, on a donné Musard; et la petite comédie de Picard a fort bien soutenu ce voisinage. Il est vrai qu'elle ne se trouvait pas entre les meil

leures pièces de Regnard et de Molière; mais il est encore assez glorieux de n'être pas écrasé par les productions du second ordre des deux premiers comiques du ThéâtreFrançais.

THEATRE DU VAUDEVILL, E.

Duguay-Trouin, en deux actes, de MM. Barré, Radet, Desfontaines et Saint-Félix.

DUGUAY-TROU IN n'avait que vingt-un ans lorsqu'il tenta un des coups les plus hardis dont on eût encore ouï parler, et soutint un combat dont il n'y a pas, je crois, d'exemple dans les fastes de la marine. Monté sur une frégate de quarante canons, il tombe, par un brouillard, dans une escadre de six vaisseaux anglais de cinquante à soixante-dix canons. Un d'eux le joint, lui coupe ses mâts : ne pouvant faire retraite, et se trouvant tout près de l'ennemi, il allait sauter à l'abordage; un de ses officiers, qui ne peut soupçonner meine un si hardi dessein, croit que le pilote se méprend, et, de son chef, changeant la manœuvre, éloigne les combattan s au moment où son capitaine ya s'élancer le premier sur le vaisseau anglais. Il était plus que vraisemblable qu'il eût réussi : ce sont les expressions de Duguay-Trouin. Ce coup manqué, il se bat long-temps contre quatre à cinq vaisseaux, et allait peut-être périr, ne voulant pas se rendre, lorsqu'un boulet expirant le renverse, lui fait perdre connaissance, et lui sauve la vie en mettant fin à un combat trop inégal. Quinze jours auparavant, il s'était permis une mauvaise gasconnade (comme il le dit dans ses mémoires), dont il pensa être la victime. Il avait tiré sur un vaisseau anglais, ayant lui-même pavillon anglais. Cette équipée de jeune homme le fit incarcérer à Plymouth, et on dépêcha un courrier à Londres pour demander qu'il fût mis en jugement. Il parait qu'on n'y prit pas la chose aussi sérieusement qu'àPlymouth; car Duguay-Trouin eut le temps de nouer une intrigue

avec une jolie marchande de cette dernière ville, qui lui procura son évasion.

Ce ne fut que treize ans après (en 1707), que Louis XIV lui dit ce mot si agréable et si ingénieux, que Thomas a consigné dans une note de l'Eloge de Duguay-Trouin. Le héros breton rendait compte au roi d'un de ses nombreux combats. Le vaisseau la Gloire, monté par M. de la Jaille, (nom célèbre dans la marine) faisait partie de son escadre. « J'ordonnai, dit-il, à la Gloire de me suivre : elle vous » fut fi lelle, reprit le monarque. >>

C'est le trait historique de Plymouth, que les auteurs de ce vaudeville ont accommodé au théâtre. Ce n'est plus une anglaise, c'est une française, c'est sa cousine Derval qui aime Duguay -Trouin, et lui rend sa liberté. Peut-être at on dérobé quelque chose de sa gloire à DuguayTrouin par ce changement il semble qu'il était plus flatteur pour lui d'avoir triomphé de l'antipathie nationale, en subjuguant une anglaise, que d'avoir inspiré de l'amour à une femme de son pays et de sa famille ; mais c'est à ce changement qu'on doit le personnage du gouverneur de la citadelle de Plymouth, qui a fait le succès de la pièce.

Cette aimable française a si bien tourné la tête au pauvre mylord, qu'elle le fait consentir à dîner avec elle et son prisonnier hors de la citadelle: un chirurgien gascon est de la partie; sur la fin du repas, il reste seul à table avec Duguay-Trouin. Le stupide gouverneur est dans une salle voisine, d'où il voit, dit-il, son prisonnier sans en être vu: la porte du salon à manger est ouverte, et DuguayTrouin est vis-à-vis, le dos tourné. Cette position rassure l'anglais, qui épuise la fleurette auprès de madame Derval. Celle-ci s'écrie tout-à-coup: « Ah! quelle ressemblance! mais c'est frappant ! c'est incroyable! - Quoi? » comment? qu'est-ce ? dit le mylord. — Mais, c'est mon » frère lui-même !· Comment, moi ressembler à votre » frère? — Oui, sur-tout de profil.- De profil, c'est sin» gulier.-Tournez-vous donc, j'aime à vous voir ainsi de >> côté. » Tandis qu'il se laisse considérer, Duguay-Trouin

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