(No. CXLIII.) 3 GERMINAL an 12. (Samedi 24 Mars 1804. )
MERCURE
DE FRANCE.
LITTÉRATURE.
Sous ton ombre caché, je viens, forêt tranquille,
Séjour de paix et de bonheur,
Reposer mes sens et mon cœur
Fatigués du chaos et des mœurs de la ville.
Heureux; les noirs torrens dont les rapides flots Roulent avec fracas au pied de ces coteaux, Rappellent seuls à ma pensée
Des tristes passions la fureur insensée.
Si leur emblème est sous mes yeux, Ah! du moins des cités cette effroyable peste, Sur leurs habitans malheureux,
Exerce loin d'ici son ravage funeste.
O passions! tyrans des cœurs,
Puissé-je dans ce port, à l'abri de l'orage, Ne voir désormais votre image
Qu'en ces torrens dévastateurs!
Oui, tout cruels qu'ils sont, vous l'êtes davantage.
Ces maux nombreux qui d'âge en âge, Ont désolé la terre et fait couler ses pleurs, Ne sont-ils pas tous votre ouvrage ?
Par vous, l'homme a connu le crime et la douleur. Du fer et du poison, sanguinaires furies, Vous armâtes ses mains impies :
Des liens les plus saints vous troublez la douceur. A votre voix, une épouse infidelle,
Dans le lit nuptial place le déshonneur;
A votre voix, un fils, et barbare et rebelle, Immole un père à sa fureur.
Tout-à-coup dans le sein de la vierge innocente, S'allume une honteuse ardeur;
Et la débauche dégoûtante
Respire sur ce front où brilloit la pudeur. La discorde, le vol, et l'injure homicide, Le sacrilege parricide,
Sont la pompe de vos autels.
C'est vous qui commandez ces meurtres solennels Qui d'un vaste carnage épouvantent la terre : Horribles attentats que, sous le nom de guerre, Osent légitimer de barbares mortels.
Ah! faut-il nommer tous les crimes Qui reçurent le jour dans vos coupables flancs? Faut-il de toutes vos victimes,
Faire entendre les cris et les gémissemens? de l'usure
Ici le pauvre,
Maudit les perfides secours;
Plus loin, à l'infâme luxure,
Un jeune homme expirant redemande des jours Dont, sans ses faux plaisirs, la santé, la nature Auraient long-temps encor prolongé l'heureux cours; Ailleurs, l'humanité sanglante
Contre un ambitieux, dont le farouche cœur Par le meurtre des siens cimenta sa grandeur, Elève sa voix gémissante;
Là, réclamant en vain et les dieux et les lois, De leurs affreux malheurs, de leur fin déplorable, Des milliers de mortels accusent à la fois L'Orgueil au front superbe, et la Haine implacable, L'Envie aux obliques regards,
Dans l'ombre, chaque jour, aiguisant ses poignards. Dirai-je aussi du jeu les suites effroyables; Ces enfans, cette femme, êtres infortunés, Par un père, un époux, à la faim condamnés, Et remplissant les airs de leurs cris lamentables ? Dirai-je de leurs maux, le trop barbare auteur, Par de tardifs remords l'ame enfin déchirée, Le blasphème à la bouche, et l'œil plein de fureur, Tournant contre lui-même une main égarée, Et de son propre sang expiant son erreur? O vous! des passions ardens panégyristes, Ah! ne nous vantez plus leurs sublimes effets: C'est assez opposer, ingénieux sophistes,
Aux maux qu'elles nous font d'équivoques bienfaits. Elles sont, dites-vous, le principe admirable
Des écrits immortels, des nobles actions; J'y consens, je le veux; mais par les passions, L'homme grand quelquefois, est plus souvent coupable. Ce feu qui du caillou s'échappe en pétillant, Il est vrai, l'échauffe et l'éclaire;
Mais à la fois utile et dangereux présent, Ne dévore-t-il pas le toît de l'imprudent? Sa flamme active et meurtrière, Dans un vaste incendie embrasse en un instant Le palais orgueilleux et la simple chaumière Un peuple entier gémit sur des débris fumans. Ces vents (1), du nautonnier secourables agens,
(1) Assimiler les passions au feu et au vent, c'est avouer qu'elles sont nécessaires, quoique dangereuses. C'est adopter le principe qu'on prétend réfuter. Ici la logique de l'auteur est en défaut. (Note de l'éd.)
Dont la douce et propice haleine.
Fait voler son vaisseau sur la liquide plaine, Et le pousse à son gré vers ce bord florissant Où, prodigue de biens, le commerce l'attend; Ces vents.... bientôt, hélas ! trompant son espérance, Déchaînés, furieux, mugissant sur les eaux, Présentent mille morts aux pâles matelots. Emporté par leur violence,
Le vaisseau tour-à-tour s'élève dans les airs, Descend dans les flots entr'ouverts, Jusqu'aux cieux de nouveau s'élance, Retombe et disparaît dans l'abyme des mers. Ah! sur cet élément, domaine des orages, L'homme imprudent et malheureux Compte moins de succès que de tristes naufrages. Il n'eût pas, moins ambitieux, Quitté ces paisibles rivages
Où ses ancêtres, bien plus sages, Ont coulé des jours plus heureux.
Nous aussi, croyez-moi, si dans une ame pure, Nous avions conservé, constamment vertueux, L'innocence de la nature,
Nous n'eussions point connu la mer des passions, Ses dangereux écueils, ses tempêtes horribles; De ces divinités terribles,
Jusque dans les bienfaits que nous en recevons, Nous n'eussions point connu les redoutables dons. Pour jouir d'un bonheur et parfait et durable, Aux humains innocens que fallait-il de plus Qu'un travail sans excès et de douces vertus? Ah! si ce destin regrettable
Eût rempli leurs modestes vœux, Que nous importeraient tous ces héros fameux, Dont la haute valeur chaque jour réalise, Aux yeux de l'Europe surprise,
D'Hercule, de Jason, les exploits fabuleux ? D'une immuable paix savourant les longs charmes,
Le monde ignorerait le besoin des guerriers; Il n'arroserait point leurs funestes lauriers Et de son sang et de ses larmes.
Que nous importeraient ces esprits créateurs, De qui les plumes immortelles,
Sur la religion, les arts, les lois, les mœurs, Répandent des clartés nouvelles ?
A la voix, aux conseils de la droite raison, Toujours soumis, toujours dociles, Les hommes apprendraient, par inspiration, Les simples vérités à leur bonheur utiles. Des besoins peu nombreux exigeraient peu d'arts; Peu de lois suffiraient à leurs mœurs innocentes; Sous la foi des vertus, sans gardes, sans remparts, Sans procès, sans guerres sanglantes,
Ils jouiraient des biens dans la nature épars; Croyant avec candeur ce que crurent leurs pères, Et ne se vantant point d'être plus sages qu'eux, De la religion qu'ont suivi leurs aïeux On ne les verrait point déserter les bannières :
De sa morale pure, observateurs sincères,
Au lieu d'en discuter les dogmes ténébreux, Ils en pratiqueraient les vertus salutaires.
La suite au prochain numéro ( 1 ).
Du Dieu d'amour mon cœur subit les lois :
Je savourai ses charmes, son ivresse. Sur ce gazon, pour la première fois,
J'ai d'un amant couronné la tendresse.
(1) L'abondance des matières a forcé de retarder l'impression-de quelques bonnes pièces de vers, de celle-ci entr'autres; mais leurs auteurs peuvent être sûrs que toutes auront leur tour dans l'ordre de leur date.
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