Page images
PDF
EPUB

sive écrasante de la flotte anglaise. On s'étonna donc qu'il n'ait point accueilli les démarches de Fulton, l'inventeur américain, qui lui proposait d'appliquer la vapeur aux navires, afin de tromper,

1. Pelet de la Lozère, en ses Mémoires, discute cette question : « Bonaparte, dit-il, reprit ses projets de descente en Angleterre, ou du moins ses démonstrations, car c'est encore une question de savoir, s'il avait sérieusement résolu de tenter l'entreprise. On publia des écrits sur des descentes tentées ou opérées, à diverses époques, sans oublier celle de Jules César et de Guillaume-le-Conquérant, dont le succès semblait inviter à les imiter. On construisit des bateaux plats et des péniches jusque dans les chantiers de Paris. Les ports de la Manche se remplirent d'embarcations de toute espèce. On compta bientôt dans les ports de Boulogne, Etaples, Vimereux et Ambleteuse 250 chaloupes canonnières, armées chacune de trois pièces de canon; 650 bateaux canonnières ou péniches, portant une bouche à feu, et un certain nombre de prames, armées de six pièces. Il y avait de plus, dans ces ports, sept à huit cents bâtiments de transports, avec l'artillerie nécessaire pour les armer. On comptait réunir 2.000 bâtiments et y embarquer 40.000 hommes; 20.000 devaient, en outre, partir d'Ostende et 20.000 de Hollande. Ces quatre-vingt mille hommes débarqués en Angleterre seraient suffisants, disait-on, pour en faire la conquête. L'armée de Brest devait former la réserve. C'était surtout dans le port de Boulogne que régnait la plus grande activité. La marine y dépensait trois millions par mois, sans compter la solde. On y avait accumulé une masse d'artillerie, double de ce qui était nécessaire pour armer les bâtiments. Les soldats, employés aux travaux, recevaient une haute paye de 25 à 30 sols par jour. Des fortifications nouvelles, construites sur tous les points accessibles de la côte, s'opposaient aux débarquements que les Anglais pourraient tenter. Ces fortifications furent emportées plusieurs fois par la violence de la mer. On les reconstruisait aussitôt. Une ligne de chaloupes canonnières, embossées en avant de la rade, empêchait que les Anglais n'en approchassent assez pour y jeter des bombes. La flottille sortait chaque jour du port intérieur, pour s'exercer dans la rade, et chaque jour la violence des vents ou les coups de mer lui coûtaient quelques hommes ou même quelques bâtiments. A deux mille toises de la rade paraissait la flotte anglaise, forte tantôt de quinze voiles et tantôt de trente. Des bâtiments légers allaient continuellement de la côte d'Angleterre à la flotte et de la flotte à la côte, pour entretenir leurs communications. Il ne fallait que quelques heures pour faire ce trajet. On se demandait comment, en présence de la flotte anglaise, on ferait sortir, de la rade de Boulogne, cette multitude de bâtiments, sans qu'ils fussent détruits par elle. Il leur fallait plusieurs marées, et par conséquent, plusieurs jours pour sortir, en sorte qu'ils seraient attaqués successivement, avant d'avoir pu se réunir et se mettre en ligne. On les exerçait dans la rade à se rallier promptement, et l'on se flattait que s'ils pouvaient échapper au danger de cette attaque partielle et rencontrer pour leur traversée une nuit obscure, et un temps calme, ils arriveraient heureusement sur la côte d'Angleterre où les gros vaisseaux ne pourraient les suivre, à cause des basfonds. On ajoutait, pour rassurer les esprits, que, l'escadre de Rochefort et celle de Toulon faisant route en apparence vers l'Inde, pour y attirer les vaisseaux anglais, vireraient de bord tout à coup et arriveraient devant eux dans la Manche pour protéger notre passage. Plus ces combinaisons parais

par une marche rapide, la surveillance des ennemis toujours aux aguets dans la Manche. Rovigo explique, en ses mémoires, que ce refus de Bonaparte d'agréer les idées de Fulton tenait à la nature de son esprit, imbu d'études mathématiques et fermé aux innovations, comme l'esprit de ceux qui se sont occupés d'artillerie. Les changements y sont trop coûteux et transforment immédiatement la tactique. La résistance à toute nouveauté y est donc une règle générale. Rovigo ajoute qu'il essaya bien d'éveiller la curiosité et le doute, dans l'esprit de Bonaparte. L'aide-de-camp était convaincu; son maître ne le fut jamais et traita toujours Fulton de « charlatan. »

Et l'Égypte ?... Oh ! certes, il ne l'oublie pas. Il veut la ravitailler, préparer même une nouvelle expédition, et il envoie son aide-de-camp, Savary, à Rochefort. Son lieutenant devait lui adresser un état détaillé de ce que chaque bâtiment emporterait de soldats de chaque corps, d'objets de chaque espèce. Cet état, Bonaparte l'approuve et le renvoie tel qu'il l'a reçu « Aussi bien, ajoute Savary, tout était prêt; on se disposait à partir, lorsqu'il m'ex

saient merveilleuses, plus elles flattaient l'esprit des troupes, qui croyaient en avoir surpris le secret. Elles pensaient que rien n'était impossible au génie de leur chef. Chaque soldat faisait déjà des rêves d'avancement, de gloire et de fortune. »>

Marmont dit, au contraire, que Bonaparte avait sérieusement l'intention d'une descente en Angleterre, mais il ne voulait pas le faire d'une manière hasardeuse. « Il ne voulait l'entreprendre qu'en étant maître de la mer, et sous la protection d'une bonne escadre, et il a démontré que malgré l'infériorité numérique de sa marine, il pouvait l'exécuter. Mais il fallait que Villeneuve, au lieu de manœuvrer autour de Cadix, vînt jusqu'à Brest débloquer la flotte et se portât à la rencontre des neuf vaisseaux hollandais, de façon à grouper 72 unités de combat, contre les 40 anglais. Si nous eussions débarqués en Angleterre, disait Bonaparte, et que nous fussions entrés à Londres, comme cela aurait incontestablement eu lieu, les femmes de Strasbourg auraient suffi pour défendre les frontières du Rhin. »

pédia l'ordre de prendre une corvette qui fût bonne voilière, de la charger de bois de construction pour l'artillerie; de matériaux de charronnage, d'affûts montés que j'étais autorisé à puiser dans l'arsenal de la Rochelle. Je fus chercher une corvette rapide, comme il la fallait; je la chargeai à comble; je la réunis à l'escadre et rendis compte de l'état des choses au premier Consul; sa réponse ne se fit pas attendre. C'était l'expédition des ordres qu'il avait donnés à Bruix, de se rendre immédiatement dans la Méditerranée où il devait rallier, sous son commandement, l'escadre de Gantheaume, et faire le plus de diligence possible, pour gagner Alexandrie. C'était assurément un tour de force d'être parvenu, avec les faibles moyens que possédait la marine, lorsque le premier Consul avait pris les rênes de l'État, à armer onze vaisseaux et sept ou huit frégates dont se composaient les deux escadres. Si ces bâtiments fussent arrivés en Égypte, comme il a été constaté depuis, qu'ils pouvaient le faire, la colonie était sauvée. Ils lui portaient au delà de huit mille hommes de troupes; plus de 50.000 pièces d'armes, et une foule d'autres objets qui eussent concouru à sa défense. Malheureusement, les difficultés, qu'on avait eues à les armer, avaient donné à la saison, favorable aux appareillages, le temps de s'écouler. Les calmes, les vents contraires survinrent. On fut obligé d'ajourner l'expédition à l'équinoxe d'automne. Mais alors, il n'était plus temps; tout était perdu en Égypte. »

[ocr errors]

Bonaparte ne se lassait point d'honorer le courage des braves qui se dévouaient à la grandeur et à la gloire de la patrie. L'hôtel des Invalides fut restauré et décoré à nouveaux frais; l'esplanade, au-devant

du palais, fut plantée d'arbres en quinconces, et les vieux pensionnaires de l'hôtel dotés d'une pension plus élevée. Un service solennel fut commandé à la mémoire des héros morts à Marengo; les funérailles du général d'Arçon, l'un des plus actifs collaborateurs de Carnot, au bureau de topographie, célébrées en grande pompe à l'église Saint-Roch, au milieu d'une foule respectueuse et recueillie; de même, les funérailles du dernier descendant des Bouillon, du neveu du grand Turenne, Godefroy de la Tour d'Auvergne. Une pension de 4.000 francs fut attribuée au vieux maréchal de Ségur; une école spéciale militaire créée dans les dépendances du palais de Fontainebleau ; enfin la statue de Desaix et celle de Kléber, dues au ciseau de Moitte, devaient être érigées sur la place des Victoires, après la démolition du monument élevé à Michel Pelletier. Ce qui est plus significatif et démontre son idée persistante de ne laisser dans l'oubli aucune de nos gloires nationales, -fussent-elles des gloires royalistes, c'est, qu'en son voyage en Normandie, visitant les lieux où Henri IV avait triomphé à Ivry, il ordonna de relever la colonne qui en attestait la victoire.

Toutes ces prédilections pour l'armée n'empêchaient point une sévérité implacable envers ceux qui refusaient de servir la France. Les conscrits.

1. Le Publiciste de ventôse an X écrit : « Un vieillard de 104 ans lui ayant demandé à être traité comme capitaine, vu son grand âge, il le lui accorda. Il a ordonné qu'un jeune tambour de 14 ans, qui a eu la cuisse emportée, en faisant une action d'éclat, fût mis dans un prytanée. Ayant demandé à un invalide qui avait une jambe de bois où il avait perdu sa jambe, le brave homme répondit : « A Fontenoy. J'étais grenadier; un boulet m'emporta ma jambe, lorsque nous marchions en avant. »

2. Ce fut en ce temps, en brumaire an XI, que le monde officiel organisa une fête, au hameau de Chantilly, pour fêter l'anniversaire du général Kociusko, exilé en France. L'agent des États-Unis, la Fayette, Monge, assis-taient au repas de cent couverts.

réfractaires étaient soumis à la chaîne des forçats, et ceux qui passaient aux chouans et se laissaient prendre, fusillés. Pour détendre ces rigueurs, il ne se sentait point encore assez intangible. Il savait que, parmi les généraux, il y avait des conspirateurs, contre son autorité et contre son pouvoir. Seulement, il les faisait surveiller et emprisonner au Temple, quand leurs actions devenaient menaçantes. Un soir, au théâtre, le général Fournier, l'un des plus compromis, se vit arrêté par Junot avec la douceur nécessaire, et cependant Junot s'attira quand même de Fournier cette réplique insolente: « Est-ce que passer mouchard, c'est monter en grade? Tu fais, là, un bien vilain métier. » Junot voulait répondre par un duel; Bonaparte l'en empêcha 1.

Cette fermeté d'un côté, ces faveurs de l'autre, divisaient les généraux en deux camps : dans l'un, ceux qui gardaient en eux la foi républicaine; dans l'autre, ceux qui pressés d'avancement, ou séduits par le génie de Bonaparte, lui prodiguaient leurs courbettes; et ils les prodiguaient également à celui qui venait d'être distingué par le premier Consul. On l'entourait, écrit Constant 2, on le félicitait, on l'embrassait, on se l'arrachait. Chacun de ses cama

[ocr errors]

1. Autre anecdote tirée des mémoires de Marmont (T. II, p. 217) au sujet du colonel Foy. « Un soir, étant allé travailler aux Tuileries avec le premier Consul, il me dit brusquement : « que fait à Paris le colonel Foy ? » Je lui réponds: Mon général, il est en congé et s'occupe, je crois, de ses plaisirs. Il me dit : Non; il intrigue avec Moreau et je viens de donner l'ordre de l'arrêter; il le sera cette nuit même. J'avais une véritable amitié pour Foy ; je connaissais son mécontentement, mais je savais qu'il ne pourrait lui inspirer rien de criminel. J'avais l'expérience de sa légèreté, de l'indiscrétion de ses propos. Mais ceux qui se plaignent tout haut ne sont pas ceux qui conspirent. Une fois arrêté, sa carrière était perdue et je résolus de le sauver. En sortant de chez le premier Consul, j'allai le trouver. Je lui annonçai ce dont il était menacé. Je le fis cacher pendant quelques jours, pour avoir le temps d'arranger son affaire. Je me rendis garant de sa conduite à l'avenir et huit jours après, j'avais obtenu qu'il m'accompagnerait à l'armée.

2. Constant, valet de chambre de Bonaparte.

« PreviousContinue »