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CHAPITRE III.

Matières uniquement législatives. — Lois relatives à la propriété en général. – Ventes judiciaires. — Expropriation pour cause d'utilité publique.

Nous consacrons ce chapitre et le suivant aux matières presque uniquement législatives. En première ligne se présente le projet de loi relatif aux ventes judiciaires. De la Chambre des pairs, qui l'avait voté en 1840 (Voy. l'Annuaire), ce projet avait été porté à la Chambre élective, cù il donna lieu à de longues et de sérieuses discussions. C'était en effet presqu'un Code tout entier appelé à régler une des matières les plus compliquées de la législation. Le gouvernement et la commission paraissaient également d'accord pour faire triompher le système adopté par la pairie, et portant sur ces deux bases: économie de temps, économie de formes. On verra ensuite que, sur un point assez important, le projet que l'on allait discuter touchait aussi à la politique, ou plus exactement à la polémique de chaque jour.

Chambre des députés du 4 au 21 janvier.-L'art.673, qui ouvrait la délibération et se rapportait à la signification du commandement qui devait être faite d'après la commission, à personne ou domicile, fut critiqué à ce sujet par M. Persil, qui aurait voulu que cette signification se fit toujours au domicile réel. Le domicile élu pourrait devenir de clause, la saisie être ignorée du saisi, en raison souvent des distances, des négligences possibles, et il pourrait arriver que le débiteur fût spolié presque sans le savoir. On objecte, ajoutait M. Persil, que le domicile réel gênerait les prêts hypothécaires? Mais n'existet-il pas d'autres voies d'exécution que les expropriations immobilières ? D'ailleurs on connaît toujours un propriétaire. On objecte encore que le débiteur doit toujours connaître son obligation il ne s'agit pas de l'en faire souvenir, mais de lui signifier la volonté de son créancier. Dans tous les cas,

il faudrait du moins qu'on déclarât expressément que la signification aura nécessairement lieu à domicile élu ou réel, comme l'avait proposé la commission de la Chambre des pairs.

L'opinion de l'honorable membre fut soutenue par M. Croissant, qui néanmoins proposa un sous-amendement: il s'agit ici de l'acte le plus important de la procédure, de celui qui avertit le débiteur des mesures que l'on se propose d'adopter contre lui, il faut donc qu'il soit prévenu d'une manière certaine, et conséquemment appliquer au commandement seul l'obligation du domicile réel. Ainsi raisonnait M. Croissant.

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L'opinion contraire fut défendue par le garde-des-sceaux et par MM. Durand de Romorantin et Amilhau. Voici comment ils argumentaient le visa du maire va au-devant des craintes que l'on exprime; il faut également favoriser le créancier, et supprimer le domicile élu serait évidemment violer la loi du contrat (le garde-des-sceaux). Le débiteur ne sera d'ailleurs pas dépouillé, comme on le dit, à son insu, puisque, aux termes d'un autre article (677), la saisie doit toujours être signifiée à domicile réel, quinze jours avant l'adjudication (M. Durand). Il y a plus : la suppression de la faculté de signifier au domicile élu mettrait les trois quarts des créanciers à la merci de leurs débiteurs; ce serait, en un mot, renverser toute l'économie de la loi (M. Amilhau).

Ces raisons prévalurent, et l'article 673 de la commission ayant été mis aux voix, fut adopté.

L'article 674, qui règle le délai dans lequel il pourra être procédé à la saisie, passa sans discussion. Il en fut à peu près de même du 675°; on ne s'arrêta point à la proposition que fit M. Durand, de désigner dans la saisie deux au moins des tenants et aboutissants des biens ruraux. M. Pascalis fit très-bien remarquer qu'une semblable désignation serait, sinon impossible, au moins difficile.

Les articles 676 et 677, le premier relatif au visa de la saisie, l'autre à la denonciation à la partie saisie, ayant été

adoptés sans débats, on passa au 678°, qui règle la transcription de la dénonciation et du procès-verbal de la saisie. M. Lambert aurait voulu, pour moins de formalités et de frais, que l'on se bornât à transcrire le procès-verbal. Mais le ministre des travaux publics, et ensuite M. Dusollier, firent remarquer fort justement, qu'il ne s'agissait pas en cette occurence d'économiser les frais, mais bien d'instruire le public, qui a besoin d'être informé.

L'article 679, qui a trait à l'ordre des transcriptions, et l'article 680, qui règle le cas où une saisie étant déjà faite, le conservateur des hypothèques refuserait d'en transcrire une nouvelle, furent également admis par la Chambre.

Ce fut ensuite l'article 681, dont les deux premiers parágraphes disposent, l'un, que le président du tribunal pourra retirer, par ordonnance de référé, le séquestre judiciaire laissé au saisi; l'autre qu'il pourra, sur simple requête, ordonner la coupe des fruits pendants par racines. MM. Paul Boudet, Dugabé et Parès présentèrent à ce sujet des observations: il leur paraissait exorbitant qu'on pût ainsi enlever au saisi le séquestre qu'il tient de la loi; que l'on put le dépouiller en quelque sorte sans l'entendre (MM. Dugabé, Chégaray). Il y avait lieu surtout d'étendre la critique au paragraphe relatif à la coupe des fruits (les mêmes). Selon M. Boudet, il faudrait appeler à figurer dans l'incident la partie saisie, et, selon M. Parès, le poursuivant comme représentant la masse. Un savant magistrat dont l'opinion en cette matière devait être d'un grand poids, M. Debelleyme, se joignit au préopinant et demanda que la coupe ne fût ordonnée que sur référé. Cette doctrine fut combattue par le garde-des-sceaux et MM. Quénault, Moreau, Durand de Romorantin et Pascalis, rapporteur de la commission, qui firent remarquer que son application entraînerait de nouveaux frais (le garde-des-sceaux); qu'il ne s'agissait que d'une coupe de fruits ordinaires (M. Moreau); d'un simple acte conservatoire (M. Pascalis); que l'on aurait d'ailleurs

une double garantie, celle du magistrat qui connaît la solvabilité du créancier, et celle de la caisse des dépôts et consignations qui recevrait le prix (M. Durand de Romorantin). Un renvoi à la commission amena entre les deux opinions un moyen terme : le réferé fut étendu à la coupe des fruits, et l'ensemble de l'article voté dans cet esprit.

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Point de discussion sur l'article 682, qui traite de l'immo. bilisation des fruits naturels ou industriels. Au contraire, 683 amena un débat qui ne manqua pas d'intérêt : le saisi ne doit point commettre de dégradation sur l'immeuble frappé par la main-mise du créancier. En cette occasion le gouvernement le menaçait de poursuites que « la gravité des circonstances devait faire qualifier. » Au contraire, la commission spécifiait tout d'abord, en renvoyant formellement aux peines portées par la loi. Ce système devait-il être préféré? Pouvaiton ainsi enchaîner l'appréciation du juge en donnant au fait du saisi un caractère déterminé? C'était, comme on voit, une assez délicate question de législation? Bien que le gouvernement, par l'organe du garde-des-sceaux et du ministre des travaux publics, se fût venu ranger ensuite à l'avis de la commission, son système, qui paraît en effet conforme aux principes, trouva des partisans: MM. Parès, Hébert, Croissant. On aurait ainsi le choix entre l'action criminelle et l'action correctionnelle (M. Hébert); il pourrait arriver que le saisi-délinquant ne fût plus séquestre judiciaire, ce qui changerait, quant à la contrainte par corps par exemple, le caractère des poursuites (M. Croissant). En conséquence, cet honorable membre proposait une rédaction ainsi conçue : «< Sans préjudice des peines portées au Code Pénal. » MM. Vivien, Isambert, Durand de Romorantin, puis le garde-des-sceaux et le ministre des travaux publics défendirent l'article de la commission: Pourquoi ne pas préciser? pourquoi rester dans le vague, alors que l'on rencontre dans le Code Pénal modifié une rédaction qui prévoit le cas dont il s'agit? M. Dusollier fit remarquer que les articles invoqués ne disposent que pour

le cas d'incendie. A quoi MM. Isambert et Teste opposèrent que les articles ne parlent de l'incendie que par forme d'exemple, sans être pour cela limitatifs. L'ensemble de l'article en discussion fut adopté dans les termes proposés par la commission; mais il résulte de la réponse faite par le rapporteur, M. Pascalis, à M. Vivien, que dans aucun cas les poursuites ne seront forcées. M. Isambert pensait de même; mais cette opinion trouva un contradicteur en M. Quénault.

L'article 684 soulevait à son tour une question qui pouvait également partager les esprits: la commission, combinant sa rédaction avec celle de M. Dalloz, déclarait que le juge pourrait annuler les baux postérieurs au commandement ou n'ayant point date certaine avant cet acte, à moins d'un commencement d'exécution (M. Dalloz). MM. Vavin et Gaillard Kerbertin firent des objections: adopter le paragraphe final de l'article serait favoriser la fraude, la collusion; que si l'on oppose l'intérêt du locataire, la réponse est facile il peut faire enregistrer son bail (M. Vavin).

La fraude n'est pas possible; le cas est prévu par l'art. 1167 du Code Civil, qui prononce, si le concert frauduleux est établi, la nullité. L'enregistrement du bail pourrait bien enrichir le trésor, favoriser les notaires; mais ce serait un renversement de tous les principes en cette matière; on sait que la plupart des baux sont sous seings privés ou verbaux: comment les soumettre à l'enregistrement?

A cette argumentation du ministre de la justice, M. de Kerbertin opposa qu'il faudrait alors fixer d'une manière claire, et sans laisser en ce point de place au doute, la durée du bail, ou ne lui accorder que la durée ordinaire, celle du bail verbal.

Une réplique de M. Martin (du Nord) fit ressortir avec justesse que l'art. 1736 du Code Civil réglait encore ce cas. L'espèce de faculté que laissait la rédaction de la commission en ce qui touchait l'annulation de ces sortes de baux, prêtait à un vague, que MM. Renouard, Amilhau et ensuite

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