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Athalie, le Misanthrope, le système de Newton, l'Apollon du Belvédère et la Sainte-Famille de Raphael!.... On ne demande que ce qui est juste, de permettre aux sciences, aux arts, aux lettres d'alimenter par eux-mêmes, les veuves et les héritiers de ceux qui ont honoré leur pays. M. Portalis parla dans le sens des adversaires du principe; il ne fit pas valoir d'autres arguments; ils se trouvaient en effet tous, quelle que fût leur valeur, dans le discours de M. Berville.

́Les doctrines du rapport trouvèrent un sage partisan en M. de La Grange: cet orateur démontra en particulier que. le prix des ouvrages ne dépendait pas, ainsi que le croyait M. Renouard, de la différence entre les propriétés de domaine privé et de domaine public, mais bien du nombre des consommateurs.

23 Mars. M. Allier fit bien, il laissa la partie de la discussion sur laquelle il restait peu de chose à dire, et s'attacha à la question artistique, dont on ne s'était pas assez occupé. Seulement il n'envisagea guère que les vices de rédaction du projet en ce point. C'était devancer le débat sur les articles.

On s'était surtout attaqué à la pensée du rapport, le gouvernement ayant été moins explicite sur le principe de propriété. M. de Lamartine devait nécessairement répondre; il allait en quelque sorte se défendre lui-même. Il répondit à la négation entière et radicale du principe (M. Portalis), que refuser à l'exercice des facultés du génie humain le titre et les droits du travail, c'était arriver à cette conclusion absurde que le travail ne se constitue, qu'il ne constitue ses droits d'inviolabilité dans le monde qu'en raison inverse des facultés même qui le créent; c'est-à-dire que la loi devrait reconnaître le titre et les droits du travail, non-seulement dans ce Guttemberg, qu'on citait avec tant de raison, mais, en descendant plus bas, dans le prote d'imprimerie, dans le constructeur de machines mécaniques : et qu'il faudrait mé

connaître le titre et le droit du travail, spoliable à volonté, et dans l'âme de Racine et dans l'âme de Newton; un pareil paradoxe n'a pas besoin d'autre réfutation que celle qu'il porte en lui-même, il suffit de le dévoiler pour l'anéantir. Le rapporteur dit ensuite à ceux qui revendiquaient pour la société sa part de collaboration à l'œuvre (MM. Lestiboudois, Renouard, Portalis, Berville) :

Oublie-t-on que toute grande idée est au contraire un combat avec la société, une révolution, un martyre souvent? Où sont donc ces grands ouvrages, ces œuvres de génie qui ont été salués dès leur apparition par le génie de la société qui les avait conçus et qui les reconnaissait; où sont-ils ? Demandez-le à Socrate buvant la ciguë! demandez aux précurseurs de toutes les vérités, mourant sur les bûchers ou sur les croix ! Demandez à Colomb, repoussé comme insensé pour avoir découvert un monde dans sa pensée avant de l'avoir vu de ses yeux? Demandez à Galilée dans son cachot, puni pour avoir résolu le problème du monde, et contraint par la torture à apostasier l'évidence; demandez-leur si c'est leur temps, si c'est la société de leur époque qui a fait leurs découvertes? Ils vous répondent par leurs persécutions et par leurs membres déchirés dans les tortures! Prétendre que la société est co-propriétaire des vérités qu'elle tue, ou des œuvres du génie qu'elle persécute, c'est ajouter la dérision à l'ingratitude. De telles maximes ne sont plus de ce temps. Non, cela n'est pas vrai. Le caractère du génie est précisément de marcher si loin en avant de son siècle qu'il n'en est pas reconnu, ou bien de lui apporter des vérités si hostiles à ses préjugés, qu'elle les persécute et les tue, pour que ces vérités ne troublent pas son repos... »

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A M. Berville, qui se plaignait de la petite part que l'on faisait aux inventeurs, le rapporteur disait que les inventears vendent toujours, alors que les auteurs ne vendent qu'une fois; les premiers vendent une chose, les autres une faculté. Une autre objection a été faite : la possession par la famille enchérira les livres? Erreur! Tout au plus si cela ajoutera au prix une part perceptible qui se trouvera noyée dans l'immense débit d'une grande et longue consommation. Enfin, on craint la contrefaçon intérieure, la contrefaçon extérieure que l'on favoriserait en constituant un certain nombre d'années à la propriété littéraire; peut-être empê

cherait-cn la conclusion de transactions réciproques avec les nations voisines (M. Berville). Mais il ne s'agit pas d'équipondérer les bénéfices ou les pertes qui résulteraient pour nous et pour nos voisins de l'inégalité du nombre d'années ou du nombre d'ouvrages garantis entre les gouvernements, mais de reconnaître, de constituer, de garantir un principe de plus entre les nations civilisées.

M. Dubois (de la Loire-Inférieure) fit également des efforts pour faire triompher les arguments contraires au projet de loi. Et M. Renouard répliqua à M. de Lamartine.

La discussion générale était close de fait, si le ministre de l'instruction publique, bien compétent assurément en cette matière, ne fût venu prendre la parole: et loin de repousser toute solidarité avec M. de Lamartine, M. Villemain déclara que, lui qui n'avait pas mis une seule fois le mot propriété dans la rédaction de la loi, lui qui s'était borné à l'expression de droit exclusif et l'avait supposé temporaire, il ne s'en était tenu là qu'avec regret et par le sentiment de l'impossibilité réelle de mieux faire pour les lettres. Mais, quand on ferait durer le droit de propriété cent ans après la mort de l'auteur, quand on le rendrait perpétuel, empêcherait-on que la descendance de Corneille eût besoin des secours de l'État? Non, à moins de déclarer que la propriété littéraire n'est pas seulement perpétuelle, qu'elle est incessible sous toutes les formes, qu'elle n'est susceptible d'aucune aliénation.... Que la propriété de l'auteur cesse donc un jour, mais que ce ne soit pas au profit d'un spéculateur privé, « que l'auteur ait un jour pour héritier le public qu'il a éclairé de son génie et qui protége son nom. »

La conclusion du ministre était qu'il serait bon de prendre pour point de départ les trente ans, que les deux opinions opposées (Lamartine et Renouard) admettraient également: «Cela fût-il le seul point obtenu, ce serait un avantage pour les lettres. >>

On passa aux articles: D'après le premier, le droit ex

clusif de publier un ouvrage ou d'en autoriser la publication par la lithographie, la gravure, la typographie ou tout autre mode, est garanti à l'auteur pendant sa vie, et, à ses représentants ou ayant-cause, pendant cinquante ans (rédaction de la commission), trente ans (rédaction du gouvernement) à partir du jour de son décès.

Adoption du premier paragraphe : La propriété viagère. A propos du mot ayant-cause du deuxième paragraphe, M. Lherbette demanda s'il fallait l'entendre de telle sorte, que des créanciers pourraient saisir non-seulement les exemplaires d'une édition publiée, mais le droit de publier les éditions subséquentes.

Ce mot, dit M. le ministre de l'instruction publique, d'accord en cela avec l'interprétation donnée dans l'autre Chambre, doit être compris, non pas comme un mot opposé à héritier, mais comme un mot très-étendu qui indique la diversité des droits d'après lesquels on peut se présenter. Les créanciers y devaient donc être compris. Le créancier qui n'est pas payé peut se mettre au lieu et place de son débiteur dans ses propriétés, quelle qu'en soit la nature (M. Dumon).

-

C'est donc une propriété qu'on expropriera, qu'on vendra aux enchères ! (M. Berger.) Toute la question se réduisait à savoir si le manuscrit serait insaisissable. - Oui, d'après le ministre de l'instruction publique, argumentant de ces mots : « Le droit exclusif appartient à l'auteur. » La question soulevée par M. Lherbette ne se pouvait donc présenter qu'à la mort de l'auteur.

La logique rigoureuse de M. Renouard inclinait à laisser au droit du créancier toute la latitude, et à prévenir ce qu'il appelait la constitution d'un majorat.

Mais M. de Salvandy rétablit la discussion sur son terrain véritable: Le principe de la loi est une rémunération; ce qui est rémunératoire est insaisissable. Il s'agit seulement de le proclamer, de lui donner ce caractère.

24 Mars. La commission proposa de porter à l'art. 2 (deuxième paragraphe) la solution qu'elle avait en vue, de la question qui venait d'être soulevée. Cette solution était un moyen terme : la saisissabilité ne devenait possible, da vivant de l'auteur, qu'aux mains des cessionnaires.

Cette rédaction demeurait donc réservée pour revenir en son temps, et l'on adopta, après la plus confuse discussion, les termes de la commission, relatifs aux représentants de F'auteur.

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Venait le nombre d'années.

M. de Carné voyait dans les trente ans, qu'avait proposés la minorité de la commisson, un terme qui préviendrait les difficultés, nécessairement plus nombreuses, que l'on aurait à débattre, après un demi-siècle, avec des héritiers toujours plus éloignés.

M. Vatout interpréta avec sagesse l'avis de la majorité: Nous venons vous demander une garantie d'avenir; nous venons vous demander un chiffre qui représente la famille tout entière; un chiffre qui permette à l'auteur, quand il travaille, d'espérer que sa veuve, après lui, ne mourra pas de faim, et que ses enfants pourront soutenir le nom glorieux qu'il leur a laissé. Au nom du ciel, laissez à l'auteur cette pieuse espérance!...

M. Taschereau parla dans le sens de M. de Carné contre les cinquante ans.-M. Cayx pour.-Les cinquante ans furent rejetés à la presque unanimité.

Nouvel amendement proposé par M. Lherbette: Vingt ans.-Rejeté (25 mars) après deux épreuves au scrutin.

25 Mars.-Les trente ans proposés par le gouvernement furent adoptés, ainsi que le deuxième paragraphe et l'art. 1o dans son ensemble.

Art. 2. Cession du droit, adoption du premier paragraphe. Le deuxième fut voté avec la rédaction modifiée qui suit : « A défaut de convention expresse, la cession est présumée faite pour une édition seulement. »

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