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Une question importante fut ensuite adressée par M. de Tracy au ministre de la guerre : Le gouvernement travaillet-il à mettre le Code Pénal en harmonie avec notre organisation, militaire et l'ordre social actuel? Songe-t-il sérieusement à modifier cette partie de la législation, dont la réforme est généralement reconnue et proclamée nécessaire?

Le maréchal Soult annonça que ce travail, d'ailleurs considérable, serait bientôt terminé, et que peut-être avant la fin de la session un projet de loi serait présenté par lui sur cette matière. Du reste, la pénalité, qui ne devait former qu'une partie de ce Code, plus urgente que la juridiction et que la compétence, pourrait être soumise plus tôt aux délibérations de la législature.

Un article intercalé dans le projet par la commission (art. 4) fut assez longuement discuté. Voici la pensée qui l'avait inspiré La loi organique du 21 mars 1832. stipule que le contingent de 80,000 hommes pourra être partagé en deux classes de 40,000 hommes chacune: la première destinée à être immédiatement mise en activité; la seconde laissée à la disposition d'une ordonnance royale. Jusqu'alors le gouvernement avait inséré cette distinction dans son projet; mais cette fois il l'avait, omise. La commission, au contraire, se croyait liée irrévocablement par une stipulation aussi positive. Elle avait craint que le contingent ne passat immédiatement en totalité sous les drapeaux et que cela ne nuisit à la population. D'autre part, dans le budget annuel, on n'accorde pas au gouvernement les fonds nécessaires pour l'habillement et la solde de 80,000 hommes; ce n'est que lorsque le gouvernement veut lever les 40,000 hommes qui restent, ou une partie, qu'il demande un crédit supplémentaire; et rien de semblable n'avait été fait.

A ces considérations, le président du conseil répliqua que l'intime liaison qui existait entre la loi actuellement discutée et son projet sur le recrutement, qui devait prolonger le

service d'une année, et que le système de réserve dans lequel nous allions entrer nécessilaient la levée de toute la classe de 1840. La libération qui avait eu lieu en décembre dernier avait laissé des vides, et celle qui devait avoir lieu en décembre prochain allait en faire de nouveaux. Il fallait les remplir. Les fonds demandés à la Chambre dans les crédits supplémentaires pour 1841 et le budget de 1842 se trouvaient calculés pour la totalité des contingents des deux années. En sorte que, si la Chambre adoptait l'article de la commission, le ministre serait obligé d'avoir immédiatement recours à l'ordonnance royale.

Cet article fut rejeté et la loi fut adoptée par 220 voix contre 15.

Dans la séance du 20 mars, la Chambre des pairs s'associa à ce vote à une majorité de 132 voix sur 138 membres présents.

La législature fut, peu de temps après, appelée à voter également, et d'avance, le contingent de 1841; innovation heureuse qui fut généralement approuvée.

Quant au projet de loi organique du recrutement luimême, que le gouvernement avait récemment présenté à la Chambre élective, il était, comme on a pu le voir dans les Annuaires précédents, appelé par tous les vœux.

A une époque où l'intervention pacifique de la diplomatie tend sans cesse et de plus en plus évidemment à se substituer à la force des baïonnettes dans les relations des peuples, des publicistes pensaient que le nouveau projet soulèverait des questions de principes portant sur l'organisation même de l'armée. Il n'en fut point ainsi, et les modifications que lc ministre de la guerre essaya d'introduire n'étaient que des modifications de détail.

Au surplus, bien que la discussion ait absorbé six longues séances au Palais-Bourbon, la Chambre semble-t-elle n'avoir vu, dans cette loi, qu'un intérêt entièrement secondaire. Un seul orateur, M. de Beaumont (de la Somme), fut entendu sur

l'ensemble. L'organisation militaire des autres États de l'Europe, et de la Prusse particulièrement, lui paraissaient préférable à celle de la France. Il reprochait ensuite au projet de manquer de hardiesse et de ne pas attaquer franchement la loi du 21 mars 1832, tout en portant avec lui un caractère évidemment hostile à cette loi, vice fondamental qui le frappait d'impuissance. L'orateur critiquait également le plus grand nombre des dispositions particulières, notamment celle de la durée du service, qu'il conseillait d'élever à neufans, dont cinq seulement seraient passés sous les drapeaux et quatre dans la réserve ; et celle qui avait trait au remplacement, qui lui paraissait avoir pour conséquence nécessaire et unique de créer des difficultés aux pères de famille pour acheter des remplaçants. A cet égard, il proposait un autre système qui eût consisté d'abord à supprimer les compagnies. Mais comme le remplacement est dans les habitudes du pays, tous les ans, lors des inspections générales, il eût été dressé un état, dans chaque régiment, des soldats qui terminent leur temps de service à la fin de l'année et qui désirent rester au corps comme remplaçants. Il en eût été de même pour les hommes de la réserve qui auraient été sur le point d'en sortir. Enfin, un troisième état aurait compris tous les jeunes gens qui se seraient trouvés libérés du service par la chance du sort et qui auraient voulu servir comme remplaçants.

Immédiatement après ce discours, les articles furent soumis à la Chambre. La disposition fondamentale contenue dans la loi de 1832, et stipulant que l'armée se recrute par des appels et des engagements volontaires, fut consacrée dans l'art. 1er, qui passa sans discussion.

L'art. 2, relatif à la nationalité, arrêta plus longtemps l'attention de la Chambre. Suivant M. Corne, il était juste que le service militaire fût imposé aux jeunes gens nés sur le territoire français de parents étrangers, établis en France depuis plus de vingt ans ; et l'honorable membre avait rédigé en ce sens un amendement qu'il développa avec énergie.

MM. Fulchiron et Poulle partagèrent et appuyèrent cette opinion. MM. Odilon Barrot, Vivien, Guizot et Vatout la combattirent; et la grande majorité de la Chambre se réunit à ce dernier avis. Suivant l'observation de M. Vivien, c'était lă une question d'État, de droit civil laissée en suspens par l'art. 9 du Code Civil, et à laquelle il convenait de donner satisfaction par voie de disposition générale. Du reste cette question était en ce moment à l'étude à la Chancellerie, et probablement, ajoutait l'honorable membre, elle sera avant peu soumise à la législature.

M. de Golbéry avait encore présenté un amendement qui eût stipulé pour le tirage des fils d'étrangers un sursis d'âge, d'une année par exemple: puisqu'à l'époque de leur majorité ils doivent faire choix de leur nationalité, il est juste, disait l'auteur de l'amendement, qu'ils remplissent les devoirs que cette qualité leur impose, en même temps qu'ils jouiront des droits qu'elle leur confère; mais, sur cette communication de M. Vivien, l'honorable membre retira son amendement, convaincu que toute modification opérée pour remédier aux inconvénients qu'il signalait serait nécessairement conforme à la pensée qui l'avait dicté. Tous les articles, jusqu'au 16 inclusivement, passèrent avec une extrême rapidité; mais alors s'engagea une discussion longue, minutieuse, obscure. Voici quel en fut l'objet : En vertu de la législation existante, les déclarations des conseils généraux sont définitives et sans appel. Le projet du gouvernement proposait dé modifier cette disposition et d'établir un recours près le conseil d'État et au profit des parties. La commission admettait également ce recours, mais dans le simple intérêt de la loi, et le gouvernement, abandonnant son idée première, était entré dans cette pensée. Les partisans de ces deux systèmes invoquaient également l'intérêt des populations. Le second fut surtout défendu par M. Vivien.

Quel est, en ce qui touche le recrutement, disait-il, le pre

mier intérêt de la population? la promptitude d'opération, la fixation rapide et irrévocable du sort de tous les jeunes gens appelés à concourir au tirage. Tout ce qui tend à laisser leur condition en suspens peut être fatal à leur avenir. D'ailleurs, une fois le droit de recours accordé aux parties lésées, ce droit prend une extension immense et redoutable. En effet, un individu peut être indûment appelé dans deux cas: ou l'on a refusé à tort de l'exempter du service; ou l'on a exempté des individus qui avaient un numéro antérieur au sien et dont la réformation est la cause de son admission dans l'armée. Le gouvernement avait vu cette conséquence de son principe, et il n'avait pas osé aller jus. que-là; c'est pourquoi son projet était illogique.

Cependant, continuait l'orateur, le droit ne peut être morcelé... Les pourvois seraient innombrables; une foule de droits individuels seraient par suite mis en question, et la clôture définitive de la liste du contingent serait indéfiniment ajournée. A ces diflicultés s'en joignait une autre : le pourvoi serait-il déclaré verbalement dans le sein du conseil de révision, ainsi que le voulait le gouvernement? Cela était bon lorsque le pourvoi était dirigé contre l'individu sur lequel on venait de statuer; mais si l'on admettait que l'on pût se pourvoir contre des décisions rendues à l'égard d'autres individus, il était impossible d'exiger que le pourvoi fût formé verbalement et à l'instant même. De là la nécessité d'une procédure spéciale, l'obligation de stipuler des délais, d'établir des formes ayant pour conséquences des retards dangereux et nuisibles au service. En outre, la commission s'était demandé si, lorsqu'on formerait les pourvois, ils seraient affranchis de l'enregistrement, du timbre, du ministère des avocats; elle avait reconnu qu'il était impossible de refuser la dispense de toutes ces charges à ceux qui se pourvoiraient, par la raison même que celle faveur est accordée à tout contribuable exerçant un recours devant le conseil d'État.

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