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CHAPITRE VI.

MATIÈRES COMMERCIALES, MARITIMES ET D'UTILITÉ GÉNÉBALE: Loi des douanes. Traité de commerce avec la Hollande.-Paquebots à vapeur. Loi des travaux publics extraordinaires.

Chambre des députés. Du 4 au 18 février. - Après cinq années d'expérience de la dernière loi des douanes (1836), le ministère, sollicité par des réclamations qui ne s'accordaient pas toutes entre elles, vint reporter devant les Chambres, juge suprême en cette matière, les questions nombreuses, difficiles qu'elle soulevait. Une loi de douanes est presqu'une loi d'impôts, c'est pourquoi la Chambre élective dut la première discuter les mesures proposées, les réformes nécessaires, les améliorations possibles.

Cette fois le gouvernement et la commission chargée de rendre compte du projet ne marchèrent pas absolument d'accord: les points de dissentiment ressortiront surtout de la discussion des articles. Seulement, nous ferons remarquer que le ministère ne tendait (et il l'en faut louer) qu'à continuer l'application du principe posé en 1836, à savoir: s'avancer prudemment vers la liberté commerciale. Au contraire, la commission inclinait vers un but tout opposé: elle donnait plus de force au système protecteur. Une divergence si considérable ne pouvait manquer de répandre un grand intérêt sur les débats, en un temps où les questions de commerce touchent de si près à la politique générale. Aussi bien la discussion préparatoire à celle des articles, d'ordinaire assez stérile, eut-elle quelque animation.

Des industriels également recommandables défendirent ou repoussèrent l'un ou l'autre système; puis, entre ces intérêts si opposés, M. Lherbette proclama, ce semble, les plus sages principes. Et d'abord M. Bignon (de la Loire-Inférieure), bien qu'il se déclarât opposé au régime prohibitif, trouvait ce

pendant la protection mal assise ou appliquée avec peu d'intelligence. Il est nécessaire, disait ce député de l'un de nos départements maritimes, il est nécessaire qu'il y ait entre les peuples une alliance d'intérêt mutuel, c'est-à-dire une parfaite réciprocité. Au lieu de cela que voit-on? La France s'isole, pour ainsi dire, en frappant de droits exorbitants les produits étrangers. Pour établir la vérité de cette assertion, M. Bignon passa en revue certaines industries d'ailleurs importantes, les machines à vapeur, les fers, les bestiaux, et le commerce maritime considéré à un certain point de vue. -Et quant aux fers, leur prix n'est-il pas trop élevé? Et qui veut-on favoriser de cette manière? la propriété foncière. Mais, d'autre part, quels dommages pour nos travaux publics! à peine si nous parvenons à construire quelques rails. Même observation en ce qui touche les houilles : voilà un élément essentiel et dont l'acquisition devrait être rendue facile, et cependant, même en ce moment, des droits trop considé rables pèsent à l'entrée sur les houilles étrangères. Plus loin ce sont les machines à vapeur. Il y a vingt-trois ans (21 avril 1818) qu'elles paient 40 pour 100 ad valorem.-Puis, ce sont les cuivres laminés en barres ou en planches; depuis la lòi du 5 juillet 1836, on les arrête par un droit excessif. L'orateur cite à cette occasion ce fait curieux que, d'après les états de douanes, il n'a été consommé en 1839, en France, de cet objet de fabrication que 881 kilogrammes. Il ajoute que le cuivre à doublage est, pour cette cause, de la plus mauvaise qualité : c'est un produit dont cinq ou six usines ont le monopole et dont elles gouvernent à leur gré le prix.

Passant ensuite à un intérêt plus actuel et surtout plus général, M. Bignon se plaignit de ce qu'on avait laissé à l'état de question celle du tarif qui doit régler le droit à l'entrée pour le bétail étranger. Il reprocha, en quelque sorté, à la Chambre d'avoir écarté par l'ordre du jour un sujet aussi pressant: il rappela qu'en 1838, les conseils généraux du commerce et des manufactures émirent l'avis (qui du reste com

mence à être celui de tous) de substituer au droit au poids, celui par tête, et de diminuer la taxe, nonobstant les réclamations que l'état actuel des choses faisait naître dans les départements moins favorisés par la nature que ceux que l'on veut protéger. II importe encore de remarquer que nos échanges à l'extérieur souffrent de cet état de choses: la Prusse, la Sardaigne, la Belgique, repoussent la plupart de nos produits. Enfin, après avoir exprimé l'opinion que l'on pouvait sans danger, vu l'état de notre industrie, lever les prohibitions qui grèvent la poterie fine, la coutellerie, les cristaux, les selleries, les voitures et les tabletteries, et après avoir demandé que l'on protégeât plus amplement le commerce maritime, que des agents consulaires bien choisis préparassent d'utiles traités, M. Bignon ajouta qu'il était temps de rapporter la disposition de la loi du 27 juillet 1822, qui veut que, pour jouir du privilége colonial, on vienne directement des lieux de production, sans faire escale, c'est-àdire sans compléter dans les ports étrangers les chargements: alors cependant que la faculté contraire permettrait d'alléger les dépenses par les bénéfices probables qu'amèneraient les frets.

M. Lestiboudois fit comme le précédent orateur, il appuya en particulier sur les intérêts qu'il représentait directement. Député du Nord, il s'occupa particulièrement des toiles de lin et de chanvre. Nous retrouverons, au surplus, les idées de l'orateur sur cette question à la discussion des articles.

Il se leva ensuite un adversaire ardent, déclaré, du système que la commission prétendait maintenir au moins en partie: Protéger le travail par la prohibition, c'est ne rien protéger, dit M. Anisson-Duperron; c'est nuire à la fois aux intérêts matériels, politiques et moraux de l'État. Combattez l'industrie étrangère, mais ne la supprimez pas. Notre système de douanes rend la production plus chère; comme on ne trouve pas de retours possibles sur notre marché, il

faut bien essayer des marchés étrangers: de là des frais considérables d'aller et de retour, qui absorbent les bénéfices; de là aussi l'état déplorable de la marine marchande et l'impossibilité d'y recruter des matelots pour la marine militaire. On crée un isolement commercial, première cause de l'isolement politique. L'orateur ne voit en effet (ce qui est vrai à quelques égards), il ne voit dans les questions d'Orient et d'Espagne que des questions de commerce. Quant à l'influence morale du système, elle est telle, que d'honnêtes gens font violence à leur patriotisme, et, sous peine d'une ruine complète, sont obligés de se livrer à la contrebande. Le directeur des douanes ayant, à ce moment interrompu par un geste négatif M. Anisson-Duperron, celui-ci cita un fait, un fait personnel à l'administration: Avant la réduction des droits sur les cotons filés, une partie de ces cotons était introduite par la contrebande; que fit alors l'administration? Elle ferma-les yeux et laissa faire. Il le fallait bien, sans quoi les fabriques de tissus de coton eussent été infailliblement ruinées. La conclusion de tout ceci est, selon l'adversaire du système actuel, qu'il faut marcher sur la trace des États-Unis et de l'Union allemande; substituer aux prohibitions des taxes élevées; établir une perception qui soit en rapport de poids, de nombre ou de volume avec les espèces; adopter un maximum ad valorem; dégrever annuellement les taxes supérieures, et enfin revoir périodiquement les tarifs.

Le système de la commission trouva en M, Grandin presque un apologiste: il combattit M. Bignon et les intérêts dont ce député était en quelque sorte l'organe, et qui tendraient à fomenter entre les industries diverses une sorte de guerre civile; puis il passa en revue quelques-unes des questions abordées par le député de la Loire-Inférieure. Il convint, quant aux bestiaux en particulier, que, pour n'être pas trop élevés, les droits étaient cependant mal assis. Il faut percevoir au poids, non par tête; ainsi pourront être introduites les petites races. C'a été l'avis des trois conseils généraux

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des manufactures, du commerce et de l'agriculture; il faut avant tout établir ce système à l'intérieur à Paris, par exemple, quel que soit le poids, la tête de bétail paie 40 fr.;. c'est trop. En ce qui touche les tissus, ils ont besoin d'une constante protection; on protége les blés, pourquoi ne feraiton pas ainsi pour la main-d'œuvre? On se préoccupe de la condition des fers? En 1814 on les payait, en France, de 50 à 60 fr. Les fers anglais ne coûtaient guère que 30 à 35 fr.. Aujourd'hui en 1841, on paie les fers français ce que coû→ taient en 1814 les fers anglais. Notre sol, dit fort justement M. Grandin, ne réunit pas sur un seul point tous les éléments de fabrication, de là de nombreux frais de transports. Pour rendre les choses égales, il faut donc multiplier les voies de communication.

Ici M. Duperron interrompit l'orateur pour insister sur la différence même actuelle du prix entre les industries commerciales...

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Toujours est-il, répliqua M. Grandin, qu'en 1841; notre fer de France est moins cher qu'il ne l'était en 1814. On a parlé des laines et des 22 p. 100 qui les grèvent; mais à cette condition seulement, on a pu prévenir l'invasion des produits du dehors. Les propriétaires d'Espagne ont le libre parcours; ceux d'Allemagne ont d'immenses troupeaux sur lesquels le trésor national ne perçoit aucuns droits. Il fallait donc établir l'équilibre. Il y a plus: introduire les moutons étrangers, c'eût été nuire à l'alimentation du pays. On conseille les traités? Or, dans un traité, une partie cherche nécessairement à duper l'autre. On revoit, on modifie un tarif; on ne change pas si facilement un traité.

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Le gouvernement, dit à son tour M. Cunin-Gridaine, le gouvernement n'a point voulu faire de la théorie; il s'est attaché à l'application, ainsi que le prouvent les négociations nouées avec l'Angleterre et avec la Hollande; on ne peut que regretter de voir en cette matière la commission se séparer du cabinet.

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