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M. Lherbette se montra un sage défenseur de la liberté commerciale; il approuva la marche suivie par l'administration depuis 1836. Il qualifia de rétrogrades les doctrines de la commission, et de fausse la base qu'elle avait adoptée, à savoir: la différence entre le prix de revient de nos fabriques et celui de l'étranger. C'était donc une prime à l'incapacité. Il fallait au contraire mettre en demeure l'industrie française; la stimuler, lui montrer de loin la liberté commerciale annoncée en 1836.

M. Gauguier demanda qu'on mit moins de précipitation à refaire les lois de douanes.

Et M. Gauthier de Rumilly, au nom de la commission, déclara qu'elle n'avait consulté que les faits et tenu compte des inégalités des industries concurrentes.

Discussion des articles. Houilles. Les droits établis sur les houilles étrangères, le système des zones introduit par l'ordonnance de 1835, devenue loi en 1836, donnèrent lieu à une assez vive polémique entre les ministres et députés défenseurs de ce régime et les partisans en quelque sorte exclusifs de la production française. MM. Bignon, Billaut, Barbet et Duperron argumentèrent de l'inégalité que les zones établissent entre les diverses parties d'un même ter ritoire, sinon pour les faire disparaître immédiatement, du moins pour faire réduire encore les droits portant à l'entrée sur les houilles étrangères (amendement Bignon): il leur paraissait que la frontière maritime devait être sur ce point traitée sur le même pied que celle de terre. Les détails dans lesquels l'un de ces orateurs, M. Billaut, entra avaient quelque chose de spécieux : « On grève de 15 cent. les houilles belges, de 10 cent. les houilles prussiennes, et par mer de 30 et 50 cent., selon une ligne arbitraire passant par les Sables-d'Olonne. Le droit de 10 cent. assure les marchés de la Lorraine et de la Champagne aux houilles prussiennes en concurrence avec celles du centre; les 15 cent. ont donné aux houilles belges une faveur considérable. Et en

ce qui touche en particulier ces dernières, il suffit, pour faire remarquer combien elles sont redoutabies à notre industrie, d'observer qu'elles ont dans leur voisinage, dans le dépar tement du Nord, les mines d'Anzin.

M. Billaut pense, comme l'auteur de l'amendement (M. Bignon), que le régime actuel n'a eu pour objet que de condescendre aux exigences de l'Angleterre. Un remède lui paraît possible: celui de faciliter les transports; ainsi parviendra-t-on à égaliser les droits; seulement il faut procéder par gradation, comme le fait l'amendement.

Au sujet du principe même qui a fait introduire les zones, M. Barbet partage l'opinion de MM. Bignon et Billaut. C'est une lutte entre les houilles belges et anglaises : « On nous met, ajoute le député de Rouen, dans une situation exceptionnelle qui n'est d'aucun intérêt pour le pays, puisque nous ne consommons point les houilles du centre, qui ne peuvent pas arriver ou ne nous arrivent qu'à un prix trop élevé, soit à cause des difficultés de transport, soit à cause de la navigation, des sécheresses en été ou des gelées en hiver. Mais on ne peut pas attendre le perfectionnement des voies de communication, des canaux en particulier, et laisser jusque là l'industrie du Nord à la merci d'une autre qui ne peut pas profiter des avantages qu'on lui fait... » Une dernière considération touche l'orateur : les Anglais trouvent dans la Méditerranée les produits qui leur conviennent, ils les prennent en retour, et par ce moyen le fret est moins considérable; tandis qu'ils ne pourraient guère rencontrer dans le bassin de la Seine que des produits similaires.

Il n'y avait qu'une voix sur la nécessité d'améliorer les transports, et M. Anisson-Duperron se joignit en ce point à ses collègues.

A tous ces arguments, MM. Duchâtel, Cunin-Gridaine, Lanyer et Jaubert en opposèrent de décisifs: le régime que F'on attaque, loin de nuire à la production française, lui est essentiellement favorable, et la protection marche, s'élève

ou s'abaisse avec le progrès que fait notre industrie. Mais, sur beaucoup de points, elle est encore nécessaire: des chiffres viennent à l'appui de cette manière d'envisager les choses. Avant la réduction des droits, on n'importait que 6 ou 7 millions de quintaux métriques de houilles étrangères; aujourd'hui l'importation est de 12 millions, presque le double. Au contraire, la production française ne va encore qu'en décroissant: 31 millions de quintaux métriques en 1838, 30 millions seulement en 1839 (M. Duchâtel). Il y a toujours pour un pays le plus grand danger à s'approvisionner dans de trop fortes proportions de houilles étrangères : qu'une circonstance quelconque, une guerre, les fasse manquer, et son industrie sera pour longtemps arrêtée.

Bien qu'il abondât dans cet ordre d'idées, M. Jaubert s'éleva cependant, et avec raison, contre le règlement des matières de douanes par voie d'ordonnances que l'on vient ensuite, mais beaucoup trop tard, convertir en lois : témoin l'ordonnance de 1836, modifiée en 1837, et devant devenir loi aujourd'hui.

Sur tout le reste, le raisonnement des ministres et des partisans d'un système tempéré de protection était trop concluant pour ne pas prévaloir la réduction de 20 c. proposée par M. Bignon fut rejetée.

Marbres-écossines. Une loi de douanes porte nécessairement sur des intérêts qui, pour n'être pas toujours généraux, ont cependant une importance relative, qu'un compterendu législatif ne saurait omettre. Une taxe de 10 pour 100 seulement, c'est-à-dire le simple droit des pierres à bâtir, est assise sur certaines espèces de marbre de Belgique, employés presque généralement pour la construction, dans le département du Nord: la commission, pour accorder ensemble l'intérêt des marbriers de ce département et celui des consommateurs auxquels les écossines (c'est le nom de celte espèce de marbre) sont nécessaires, la commission Surrêta à un sage milieu. Elle déclara qu'excepté les écos

sines introduites par les bureaux que le gouvernement désignerait, c'est-à-dire les localités où elles sont indispensables, partout ailleurs elles paieraient le droit qui grève les marbres non dénommés.

Ce parut être un progrès à un député, M. Marchant, chaleureux défenseur des intérêts rivaux de ces marbres étran gers; mais il ne trouva point que ce fût assez : il pensait que la marbrerie du Nord devait d'autant plus être protégée qu'elle était plus récente (1814 est la date du premier établissement de ce genre); d'autant encore qu'elle faisait plus d'efforts pour produire. Au rapport de l'honorable député, 72 carrières de marbre se trouvent en ce moment en état d'exploitation; 37 scieries fournissent annuellement 1,500,000 pieds de tranches; autant que la Belgique elle-même en produit. La conclusion de ces chiffres et de ces considérations tendait à ce que l'on ne reconnût pour pierres à bâtir que les pierres taillées et appareillées pour cette destination spéciale, et soumises aux 15 pour 100 de la valeur : les blocs à convertir en marbre sciés paieraient le droit des marbres ordinaires, 2 fr. 75 c. les cent kilogr. La rédaction de la commission, combinée avec celle du gouvernement, l'emporta M. Gauthier de Rumilly ayant fait observer que la disposition soumise à la sanction de la Chambre réalisait quelques-unes des vues de M. Marchant, et le commissaire du roi, M. Gréterin, ayant déclaré que pour difficile qu'était la distinction entre les espèces diverses, l'administration recommanderait cependant à ses agents de la faire avec le plus grand soin.

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› Ardoises. —Il s'agit ensuite d'un autre de ces intérêts que nous venons de caractériser comme secondaires, et sur lequel un ministre du roi (M. Duchâtel) vint déclarer que des négociations étaient ouvertes avec la Belgique : en effet il fut établi dans la discussion que les ardoises belges ne paient qu'un droit assez peu considérable (2 fr. par mille), tandis que les nôtres sont imposées en Belgique à une taxe

qui s'élève plus qu'au double (5 fr.). Un amendement de MM. Oger et Lavocat aurait fait cesser cette inégalité : les observations du ministre de l'intérieur le leur fit retirer.

Produits d'au-delà de la Sonde. Mais un débat beaucoup plus vif s'engagea sur l'espèce de prime ou plutôt sur la réduction accordée aux produits naturels (le sucre excepté), venant des contrées situées au-delà des passages de la Sonde, et postérieurement à l'ordonnance du 2 septembre 1832..

Jusqu'où devait s'étendre, dans l'intérêt de notre navigation, l'encouragement accordé à ces expéditions? ce fut la question que l'on agita comme elle l'avait été déjà précé demment. L'exception relative aux sucres s'explique d'ellemême : c'est une nécessité dans l'état actuel de la législation sur cette matière; ce fut au surplus de la disposition que s'attacha l'ordinaire et constant orateur des intérêts maritimes, M. Bignon (de la Loire-Inférieure) : il demanda que l'on permit aux bâtiments en expédition dans ces parages de revenir aux îles de la Sonde, d'y compléter leurs cargai sons, soit par des échanges, soit en utilisant les valeurs qu'ils auraient à bord. Ce serait à la fois une facilité de plus et un utile encouragement donnés à notre navigation.

Assurément il en pouvait être ainsi; mais il y avait à craindre que l'on ne se contentât d'aller à quelques pas au-delà pour réclamer la prime; il y avait à craindre encore que trop de facilités données aux échanges avec les colonies. néerlandaises, avec Java par exemple, ne portassent un dommage réel et d'une bien autre portée à nos relations avec Haïti, le Brésil et nos propres colonies d'où viennent les cafés que l'on consomme dans le royaume; les objets d'industrie française expédiés dans ces lieux de production y trouvent d'ailleurs des débouchés que l'Archipel indien ne fournissait point. Quelle que fût la valeur des assertions contraires à ces raisons mises en avant par le ministre du commerce et MM. Gauthier de Rumilly, Fulchiron et

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