Page images
PDF
EPUB

prendre la parole pour rassurer la Chambre sur les conséquences de l'incident soulevé par le discours du président du conseil. Une explication avait eu lieu entre la commission et le gouvernement; le maréchal Soult avait déclaré de nouveau, comme il l'avait fait primitivement au sein de la commission, que, dans sa conviction trèssincère, le double système d'ouvrages n'en était que plus fort; que l'enceinte continue assurait plus certainement même la défense extérieure; que, dans son opinion, ce n'était pas une concession qu'il faisait, mais une utilité qu'il proclamait. Si, dans sa pensée, la défense extérieure était la première à établir, l'enceinte ajoutait à la défense extérieure une solidité indispensable qui lui donnait sa force et sa liberté. D'autre part, tous les membres de la commission étaient restés eux-mêmes unanimes et ils persistaient, nonpar esprit de concession, mais par conviction éclairée, à soutenir d'un commun accord qu'il faut aussi fortifier la capitale, et qu'il faut la fortifier par un double système d'ouvrages, s'appuyant et se complétant l'un l'autre.

Le général Paixhans ajouta quelques considérations sur l'application de l'artillerie de marine au service de terre. Le résultat de cette amélioration serait pour les places bâties comme elles le sont aujourd'hui dans toute l'Europe une moins grande facilité de résistance; mais pour les places bâties dans des conditions nouvelles, une plus grande facilité de résistance, surtout si elles étaient éloignées de la frontière. En effet, ce nouveau moyen d'artillerie consistant principalement en ce que, dans un temps trèscourt, on pourra faire tomber sur l'ennemi une masse considérable de projectiles, la défense aura la faculté d'accumuler cette masse peu à peu, presque autant qu'elle le voudra, tandis que l'attaque sera obligée de la traîner avec elle, et cette difficulté du transport s'agrandira évidemment en raison des distances. Quant au projet de lọi, l'orateur lui accordait son adhésion, du moins relativement à l'en

semble et au système général; il ne le regardait cependant point comme à l'abri de toute critique, et se réservait de produire son opinion à ce sujet dans la discussion des articles.

M. de Tracy votera dans un sens contraire; il pense comme M. de Lamartine sur la confiance que l'on doit avoir dans l'autorité de Vauban et celle de l'empereur. Dans une guerre d'invasion comme en 1813, 1814, 1815, il n'y a, il ne peut y avoir qu'une seule chance de salut, le mouvement unanime, spontané, universel, irrésistible de la population. Eh bien! aujourd'hui ce mouvement serait plus terrible, plus puissant, plus énergique qu'il ne le fut jamais; à la condition pourtant qu'au moment du danger, car alors toutes les mesures que l'on prend sont généralement tardives et infructueuses, à la condition qu'à l'avance, toutes ces mesures fussent dominées par cette grande pensée que le concours général de tous les Français est notre chance de salut: D'ailleurs, y avait-il contre nous quelques probabilités d'invasion à la manière de 1814 et 1815? l'orateur ne le reconnaissait point. Il faudrait qu'un gouvernement de la France, quel qu'il fût, commît des fautes énormes pour qu'une telle coalition se formât de nouveau; car on ne peut plus faire maintenant la guerre dans aucun pays contre le vœu des peuples. En 1812, c'étaient les peuples qui voulaient la guerre; en 1812, à Moscou, Alexandre voulait la paix; c'est la noblesse russe, qui, là, représente la nation, qui a voulu et fait la guerre. Mais, en supposant une coalition européenne, une invasion de la France, un siége de Paris, que fera le gouvernement ? « On vous l'a déjà demandé, ajoutait M. de Tracy, et l'on n'y a pas encore répondu. » N'est-il pas impossible d'imaginer un gouvernement restant à délibérer au bruit du canon, au milieu des horreurs possibles d'une ville assiégée et peut-être prise d'assaut? Mais si le gouvernement quitte Paris, à quoi bon le fortifier? à quoi bon l'exposer à des dangers inutiles? à quoi bon l'exposer à des dépenses colossales? L'orateur propose de multiplier les obstacles sur les

frontières, et de préparer Orléans à pouvoir devenir le refuge du gouvernement dans le cas où l'ennemi s'avancerait vers Paris. Ce serait un obstacle certain à la prise de la ca. pitale. Napoléon lui-même n'a-t-il pas avoué que s'il s'était présenté devant Paris, infailliblement les alliés l'auraient évacué?«< Ils n'auraient pas, disait l'empereur, commis la faute, impardonnable dans l'art militaire, de livrer bataille ayant derrière eux une ville comme Paris. » Une armée de 250,000 hommes qui s'emparerait de Paris, le jour même où elle y entrerait perdrait de fait 100,000 hommes, qui cesseraient d'être à sa disposition.

[ocr errors]

Mais qui lèveraient des contributions, interrompit M. de Chasseloup-Laubat.

- C'est précisément pour cette raison, reprit M. de Tracy, que je ne veux pas des forts. Quand on sera maître des forts, on n'aura pas besoin d'entrer dans Paris; on ordonnera aux habitants d'apporter l'argent dont on aura besoin. L'orateur ajoute, comme dernière considération, que toutes les grandes capitales de l'Europe ont été fortifiées et qu'elles ne le sont plus, grâce sans doute à l'esprit de paix que la civilisation a substitué à l'état de guerre permanente de la société en enfance.

Le concours de M. de Rémusat était naturellement acquis au gouvernement dans cette circonstance; l'ancien ministre de l'intérieur vint lui prêter l'appui de sa conviction. Comment enfermer l'armée dans Paris? avait dit le maréchal Soult, pour justifier l'opinion qu'il avait proclamée en 1833. Sans doute, répondit M. de Rémusat, c'est en rase campagne que l'armée doit défendre la capitale, si l'armée tient la campagne, si elle est maîtresse de ses mouvements; si elle peut livrer la bataille d'Austerlitz, elle fera bien de délivrer Paris par la bataille d'Austerlitz; mais, et c'était là la question, si nous sommes battus, si nous sommes débordés, il faut alors que Paris puisse se défendre par lui-même, pour que l'armée puisse

revenir et prendre les assiégeants à revers, faire une trouée dans leurs lignes, où les appeler sur le terrain qui lui conviendra. Les fortifications les plus sérieuses, les plus solides, les plus imprenables seront donc les meilleures.

M. de Lamartine, et après lui M. de Tracy, avaient combattu l'opinion de l'empereur. M. de Rémusat ne la proclamait point infaillible; il demandait, au contraire, que l'on réparât une des fautes de ce grand homme, une faute qu'il avait lui-même reconnue. Le soldat français est plus propre à l'offensive qu'à la défensive, avaient dit les mêmes orateurs; donnez-lui donc, répliquait encore M. de Rémusat, donnez-lui d'énergiques moyens de défense qui lui facilitent ce que, par sa nature, il ne sait pas aussi bien faire. Quant à l'objection tirée de l'excès de centralisation, l'honorable membre croyait que, s'il y a quelque chose qui puisse refroidir l'esprit défensif des populations du reste de la France, c'est la pensée qu'elles peuvent se défendre en pure perte, qu'elles seront vaincues par cela seul que Paris l'aura été; mais si les départements savent que Paris est imprenable, alors ils seront glorieusement condamnés à se défendre eux-mêmes. Enfin, dans l'hypothèse d'un siége, que se passera-t-il au sein de la capitale? Peut-on craindre une guerre civile à l'intérieur? Oui, si Paris, n'est pas fortifié! Si, la ville ouverte, sans défense, cette population ardente demandait des armes, et que de bons citoyens répondissent : « Il faut se résigner, il faut traiter avec l'ennemi; » alors une lutte violente pourrait s'établir entre les diverses classes de la société; alors les moyens violents et révolutionnaires deviendraient, non pas nécessaires, non pas utiles, mais plausibles. Le moyen de prévenir cette triste éventualité, c'était de constituer des moyens réguliers de défense.

M. de Rémusat terminait en déclarant qu'il aimait mieux, en ce moment, voir s'affermir le ministère du 29 octobre que de voir rejeter le projet de fortifier Paris.

Les arguments contre la loi, déjà mis en avant par divers orateurs, furent résumés et reproduits par M. de Mornay. 25 Janvier.-M. de la Tournelle opposa de sages raisons. Un adversaire du projet avait dit que 100,000 hommes seraient nécessaires à l'ennemi pour garder Paris une fois qu'il l'aurait envahi et que par les fortifications, on leur donnerait le moyen de le dominer. C'était supposer Paris bien fort lorsqu'il est ouvert, et le supposer bien faible quand il est fortifié. On avait dit encore : Les fortifications attireront l'ennemi; l'orateur citait les paroles d'un militaire distingué : <<< Les fortifications attirent l'ennemi comme les portes fermées attirent les voleurs.» Du reste, M. de la Tournelle, au lieu de craindre le parti de la guerre, s'inquiétait de l'affaiblissement de l'esprit militaire et de l'infériorité à laquelle pourraient nous faire descendre l'affaiblissement, le dépérissement de nos institutions militaires, et il le craignait dans l'intérêt de la paix; car si nous sommes moins forts, nous serons moins respectés et non moins fiers sans doute, mais plus susceptibles; il y aura une irritation permanente, une chance permanente, un danger permanent pour la paix.

Les considérations que fit ensuite entendre M. Janvier portèrent spécialement sur l'équivoque que semblait avoir jeté dans les débats le discours du maréchal Soult. Il importait de convenir que les travaux d'exécution auraient lieu simultanément dans le sens que la commission avait donné à ce mot.

M. le ministre des affaires étrangères pénétra dans la question politique plus avant peut-être qu'aucun orateur ne l'avait encore fait. Il avait compris que la Chambre croyait à l'utilité, à la nécessité des fortifications, mais qu'elle avait des doutes, des inquiétudes sur les résultats; elle n'en prévoyait pas clairement la portée et les effets; elle craignait que cette mesure ne devînt l'instrument d'une politique autre que celle qu'elle approuvait et qu'elle voulait soutenir. Ces inquiétudes ne sont point fondées, disait le ministre. Les

« PreviousContinue »